Ça vous est peut-être déjà arrivé : quelqu’un-e vous annonce une mauvaise nouvelle, un truc bien grave, et vous… vous faites une blague. Vous êtes en plein deuil, ou en plein enterrement, et pourtant, vous pensez à un truc drôle et riez. En bref, vous adoptez une attitude complètement décalée par rapport à la situation. Sommes-nous dénué-e-s d’empathie ou le rire agit-il comme un moyen de défense ?
Dans un article pour la revue Humor, Plaisanter face à la mort : une approche de la gestion de la terreur par la production d’humour, Christopher Long et Dara Greenwood se penchent sur le sujet et s’interrogent : et si activer des pensées concernant la mort pouvait faciliter notre capacité à faire de l’humour ?
Les auteur-e-s appuient leur hypothèse sur des travaux menés par d’autres chercheurs à propos de la « Terror Managment Theory », autrement dit la « Théorie de Gestion de la Terreur » (Pysczynski, Greenberg et Solomon, 1997) : avoir conscience de l’aspect éphémère de notre vie pourrait potentiellement créer une angoisse paralysante et, pour contrer cette anxiété, nous adopterions différents mécanismes de « coping » (d’adaptation, de défense) – l’humour serait l’un d’entre eux.
« J’ai écrit sur la carte : Toutes mes condoléances. LOL. »
Des recherches antérieures ont par exemple déjà démontré que l’humour était l’un des composants essentiels de la résilience face à des situations de vie difficiles (Abel, 2002 ; Keltner et Bonanno, 1997), ou encore que l’humour était particulièrement prégnant chez des personnes régulièrement confrontées à la mort, comme les équipes médicales (Van Wormer et Boes, 2009) ou les prisonniers de guerre (Henman, 2001).
Pour faire court, l’humour serait (entre autres) une arme pour se préserver de certaines angoisses – et Long et Greenwood se basent notamment sur ce constat pour explorer si notre capacité à créer de l’humour est effectivement influencée par la mention de la mort.
Porter des Crocs à un enterrement : le trolling élevé au rang d’art.
Le déroulement de l’expérience
L’expérience menée par Long et Greenwood a deux objectifs « pratiques » :
- Tout d’abord, comme dit plus haut, déterminer si les participant-e-s sont plus à même de faire de l’humour lorsqu’on les amène à penser à la mort ou à la douleur.
- Et ensuite, vérifier du même coup si la manière de faire penser à la mort ou à la douleur a un impact – pour être plus précise (c’est toujours mieux), l’humour change-t-il selon qu’on parle de la mort ou de la douleur de manière subliminale ou de manière explicite ?
Cette dernière idée ne jaillit pas de nulle part : dans une recherche de Amdt, Greenberg, Pysczinski et Solomon (1997), il apparaît que des rappels subliminaux de la mort amènent des mécanismes de défense plus forts – selon les auteurs, ce serait « précisément lorsque les gens ne sont pas conscients de cette peur qu’elle aurait l’impact le plus fort sur leur comportement ».
La Mort dans la série Supernatural, une certaine idée de la classe.
Pour tester ces deux réflexions, 123 étudiants, qui ne connaissent pas les buts réels de l’expérience, sont répartis en 4 groupes expérimentaux :
- Deux groupes doivent réaliser des exercices sur un ordinateur. Pendant la réalisation de l’exercice, un mot est diffusé de façon « subliminale » (pendant 33 millisecondes) sur l’écran — pour le 1er groupe, le mot diffusé est « douleur », pour le second groupe, il s’agit du mot « mort ».
- Les expérimentateurs-trices demandent aux deux groupes restants d’écrire une rédaction exprimant leurs émotions concernant soit leur propre mort (3ème groupe), soit une visite douloureuse chez le dentiste (4ème groupe ) — la mention de la mort et de la douleur est donc ici parfaitement explicite.
Ensuite, on fait faire à tout ce petit monde un exercice d’humour : chacun-e des participant-e-s doit ajouter des légendes à des dessins humoristiques issus du journal The New Yorker. C’est sur cet exercice que l’humour des sujets sera jugé : y a-t-il un groupe plus drôle qu’un autre ?
Pour évaluer l’humour des membres des 4 groupes, les chercheurs-ses utilisent une « méthode des juges » : ils demandent à des gens qui ne connaissent rien de l’expérience d’évaluer à quel point les légendes sont drôles (en utilisant une échelle allant de « 1 – extrêmement pas drôle » à « 7 – extrêmement drôle »).
Les résultats : penser à la mort rend drôle ?
Patatras (oui, patatras) : le jury a jugé les légendes écrites par les personnes inconsciemment exposées au mot « mort » plus drôles ! À l’inverse, les légendes créées par les individus exposés de façon explicite à l’idée de la mort ont été jugées comme moins drôles.
Pour Long et Greenwood, rappeler explicitement l’existence de la mort pourrait mener les individus à avoir une réponse moins positive au dessin (le percevoir comme moins drôle), ce qui aurait pu inhiber la création d’humour dans leurs légendes.
Finalement, la production d’humour serait inhibée par une idée explicite de la mort, mais facilitée par une idée subliminale de la mort, vous voyez le truc ? Pour les auteur-e-s, l’humour aiderait ainsi effectivement à maitriser l’anxiété produite par l’idée de notre mort, et le rire agirait comme une thérapie inconsciente… De ce fait, les résultats de l’étude s’accordent avec les recherches antérieures qui indiquaient que l’humour était essentiel à la résilience.
Si l’expérience menée par les deux chercheurs-es permet d’entrevoir quelques éléments de réponse à propos de la relation entre l’idée de mort et la fonction de l’humour, Long et Greenwood restent conscients des « failles » de leur recherche (un nombre réduit de moyen de mesures, un seul « exercice d’humour », un nombre restreint de sujets…) et soulignent le besoin de travaux complémentaires à ce propos, pour étudier l’efficacité de l’humour comme mécanisme d’adaptation, mais aussi pour identifier ses bénéfices potentiels émotionnels, cognitifs, sociaux…
Somme toute, ce que l’on pourrait retenir de leurs analyses, c’est surtout que l’humour pourrait être particulièrement sensible aux influences inconscientes.
Pour aller plus loin :
- L’article initial de Long & Greenwood
- Un article de Science Daily sur l’étude
- Un papier de Cerveau&Psycho sur le sujet
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Les Commentaires
Petite anecdote, lors de l'enterrement de notre arrière grande mère, alors que la tension familiale était à son comble, ma grande soeur a sortie en rentrant dans le cimetière: "ça pue le mort." En effet, ça puait, et la pauvre ne s'est pas rendu compte de son expression avant de m'entendre hurler de rire. (et d'entendre ma conasse de tante hoqueter de stupéfaction!)