Il y a quelques semaines, dans un épisode de The Big Bang Theory, Sheldon tentait de trouver le « truc » de l’humour, d’analyser scientifiquement ce qui rendait les choses drôles — et c’est une sacrée bonne question, non ? On ne rit pas tou-te-s des mêmes choses, mais est-ce que le rire est explicable ?
Eh bien figurez-vous que Peter McGraw , professeur de marketing et de psychologie, a saisi le sujet et nous donne quelques billes pour comprendre comment se forme l’humour.
C’est un sujet plus important et sérieux qu’il n’y paraît : l’humour est omniprésent, il existe à tous les âges, dans toutes les cultures, et apporte des bénéfices à la fois sociaux, psychologiques et physiques. Il nous aide à contrer le stress, à mieux vivre l’embarras, à passer par un travail de deuil, à diminuer une douleur…
Pour l’auteur, on peut définir l’humour comme un état psychologique caractérisé par une émotion positive « d’amusement » et une tendance à rire.
C’est drôle parce que…
Qu’est-ce qui peut bien rendre les choses drôles ?
Dans un article (voir plus bas, « pour aller plus loin »), Peter Mc Graw et Caleb Warren expliquent que la littérature et les chercheurs qui se sont jusqu’alors penchés sur l’humour pointent trois conditions permettant de faire apparaître l’humour.
- L’humour demande à ce qu’une « violation » (venir à l’encontre des normes, évoquer un tabou, avoir un comportement inapproprié…) apparaisse
- Mais pour apparaître, l’humour doit également se faire dans un contexte perçu comme « sûr », sans danger, enjoué et bienveillant (Apter, 1982 ; Gervais et Wilson, 2005…) ; Peter McGraw qualifiera cette situation comme « bénigne »
- Enfin, l’humour requiert un « processus interprétatif » – les deux idées précédentes doivent apparaître de façon simultanée pour que l’on puisse interpréter le truc comme de l’humour.
Le truc, toujours dans la littérature, c’est que ces trois conditions sont étudiées séparément – McGraw et Warren ont quant à eux associé les trois conditions pour en faire une théorie, celle de « l’hypothèse de la violation bénigne » – qu’ils illustrent comme ceci :
En d’autres termes, si nous avons un contexte sûr + une blague gonflée = les indicateurs peuvent être au vert et nous pouvons interpréter la blague comme de l’humour.
La « violation », c’est quelque chose qui vient déranger le monde tel que nous pensons qu’il doit être – cela peut être une fausse baffe dans une comédie, un jeu de mots, un comportement contraire à des normes,… Selon McGraw et Warren, du moment que le contexte est sûr et bienveillant, à peu près toutes les « menaces », « violations » peuvent éventuellement devenir drôles.
En clair, pour McGraw, les situations purement bénignes ne sont pas marrantes, justement parce qu’il n’y a aucune violation là-dedans – dans sa conférence TED, l’auteur nous invite à penser par exemple à quelqu’un qui descend des escaliers. Est-ce que cela nous fait rire ? Pas franchement, parce que, selon l’auteur, il n’y aucune menace dans cette séquence.
De la même manière, une situation purement « maligne » n’est pas drôle non plus – quelqu’un qui tombe dans les escaliers et en tire de graves séquelles, a priori, ce n’est pas franchement rigolo non plus.
En revanche, si quelqu’un tombe dans les escaliers sans se faire mal (une violation bénigne, donc), il est possible que nous riions.
Of course… but maybe, sketch délicieusement provocateur par Louis C.K. (les sous-titres sont accessibles via le bouton CC)
McGraw illustre aussi ses propos avec l’idée des chatouilles :
- Lorsque vous vous chatouillez, il y a fort à parier que ça ne vous fasse pas rire (parce que bon, vous savez bien qu’il n’y aucune menace)
- Lorsque que quelqu’un que vous ne connaissez ni d’Eve ni d’Adam vous regarde d’un air chelou et veut vous chatouiller, vous ne devriez pas trop rigoler non plus (parce que la menace est trop forte)
- En revanche, lorsqu’un de vos proches vous chatouille, c’est bon, c’est LOL (il y a une menace, mais un côté sympatoche). Bon, sauf si votre proche vous veut du mal. Ou que vous haïssez les chatouilles (bienvenue au club).
Vous voyez le truc ? En fin de compte, on se rapproche bien de la célèbre (mais souvent incomprise) formule de Desproges : on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui, quoi. Avec cette phrase, souvent reprise à tort pour expliquer « le manque d’humour », Desproges sous-entendait qu’il était compliqué pour lui de rire du racisme en présence de Jean-Marie Le Pen. Effectivement, à blague identique, l’ex-président du Front National ne riait sans doute pas pour les mêmes raisons que Desproges.
Pour qu’il y ait « violation bénigne », il y aurait deux recettes : prendre une situation tout à fait ordinaire et y ajouter une petite dose de détails décalés (ou un chouïa menaçants), ou prendre une situation tout à fait inacceptable et trouver un moyen de la rendre acceptable.
Dans l’émission Un incroyable talent, un groupe de quinquagénaires a débarqué en chantant un truc bien potache de façon tout à fait délicate. Prise seule, ou dans un autre contexte, la chanson aurait pu choquer et ne pas être acceptée ; là, elle a fait rire.
Peut-on rire des tragédies ?
Mais peut-on rire des trucs vraiment tristes ? Des accidents, des catastrophes ? Pour McGraw, la réponse est positive – mais nuancée.
Le chercheur, qui a créé un laboratoire de recherche consacré à l’humour (le HuRL – Humour Research Lab), a effectué une étude sur 1 064 personnes, en souhaitant observer si l’on pouvait rire d’une catastrophe naturelle – en l’occurrence, rire de l’ouragan Sandy. Les participants ont rempli des questionnaires à 10 points temporels différents : un jour avant que la tempête Sandy frappe le Nord des États-Unis, le jour même où l’ouragan a touché la côte, et ensuite régulièrement pendant les trois mois suivants.
Dans ces questionnaires, on demande notamment aux participants d’évaluer trois tweets au sujet de Sandy, dont un tweet disant « Jus blew da roof off a Olive Garden. Free Breadsticks 4 everyone ! » (« Le toit du restaurant Olive Garden vient de péter. Gressins gratuits pour tout le monde ! »). Les volontaires doivent ainsi évaluer sur une échelle de 1 à 7 combien ces tweets sont drôles, offensants ou ennuyeux.
Dans les premiers moments suivant l’ouragan, les participants n’évaluent pas les tweets comme « drôles ». Après quelques jours, les choses évoluent, et ces posts sont reçus avec bienveillance : les volontaires parviennent à accepter de l’humour dans la tragédie et les tweets rigolos sont perçus comme tels. Après quelques semaines, le pic d’humour redescent, et les tweets sont à nouveau perçus comme non-drôles.
Pour McGraw, tout cela soutient sa théorie : pour exister, l’humour a besoin d’une menace, mais ni trop forte, ni trop faible. Lorsque vous craignez qu’un ouragan débarque et blesse vos proches, le sujet n’aura rien de drôle pour vous. Si la menace est lointaine, il est probable que l’humour potentiel diminue également. En revanche, au moment où vous venez d’échapper à l’ouragan, il semblerait que là, vous pourriez rire – le souvenir de la menace est présent, l’adrénaline existe encore, mais le plus dur est passé.
C’est indiscutable, je hais une partie d’entre vous. TRÈS FORT.
En fin de compte, l’analyse de l’humour est loin d’être anodine : pour McGraw, l’humour illustre notre capacité à tou-te-s à prendre quelque chose de tragique, quelque chose qui est source de douleur… et à le transformer en une source de plaisir. L’humour pourrait donc être une réponse adaptative, mais à manier avec précaution et à n’utiliser que lorsque le contexte est bienveillant.
Pour aller plus loin :
- Conférence TED de Peter McGraw et de Caleb Warren
- Des publications de McGraw et Warren (et al) ici et là
- Un article de Salon : Pourquoi Louis CK est si drôle ?
- Un article de Salon sur le sujet
- Et le compte twitter de Peter McGraw @PeterMcGraw !
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