Cette chronique aurait également pu s’appeler « Pourquoi je n’ai pas d’humour ? » mais j’ai décidé de croire que la paille était toujours dans l’oeil du voisin et la poutre, et bien, qu’il se la mette là où il lui plaira.
Ne nous arrêtons pas à cette douce note de poésie car je tiens à soulever un véritable problème. L’autre soir, c’est à dire il y a trois mois, j’étais assise sur mon canapé, tremblante de fièvre et de froid des suite d’une longue et tumultueuse maladie. J’insiste bien sur l’altération de mes capacités physiques et mentales pour justifier l’action qui va suivre car il est évident qu’en pleine possession de mes moyens, jamais, ô grand jamais, je ne regarde Le Grand Journal (je ne vis que d’Arte et d’eau fraîche) (non c’est faux, j’adore aussi M6 et j’ai bâti un autel à Estelle Denis) (on s’en fiche).
Après avoir dit à Laurent Voulzy qu’il était un incroyable et formidable artiste aux milles facettes et que son album était merveilleux, le brave Michel Denisot, toujours impec’ dans son costard Burberry, a introduit sur son plateau le sémillant Kev’ Adams.
Je ne connaissais pas particulièrement bien le bonhomme car je ne m’intéresse qu’aux personnalités décédées depuis plus d’une décennie, or Kev Adams est très vivant et, semble-t-il, très jeune. Du moins il est plus jeune et plus célèbre que moi, ce qui me donne deux raisons suffisantes pour susciter ma méfiance. En quelques minutes d’interview, l’humoriste des cours de lycées a réussi l’exploit d’accoupler les deux usages promotionnels que je supporte le moins patiemment chez les comédiens :
– La blague capilotractée écrite à la va-vite dans les coulisses pour faire sensation sur le plateau. On devine, par l’âpreté de la diction, combien de méninges ont du être triturées pour arriver à un tel résultat. Là où Laurent Ruquier ne se fait plus aucune illusion sur la qualité de ses blagues le jeune humoriste croit encore qu’il peut faire preuve d’inventivité spontanée.
– L’humoriste qui joue des morceaux de son spectacle pour répondre aux questions des journalistes : « Alors comme ça, vous aimez les pommes ? » « Oui j’adore les pommes, d’ailleurs dans mon spectacle je raconte que je connais un type qui lui, n’aime pas les bananes, et donc + blablabla pendant cinq minutes. » BON SANG, faites une véritable interview ou un nouveau sketch mais pas ça ! Quel intérêt à voir un homme assis récitant sans emphase un texte de dix minutes résumés en trente-trois secondes ?
POURQUOI ?
C’est peut-être parce que ces « nouveaux » humoristes font tous du stand-up depuis plus d’une décennie que nous commençons à être gavés de cette récurrence stylistique, du phrasé identique et du même quotidien qu’ils dépeignent sans imagination.
Kev’ Adams, de son vrai nom Kevin Smadja, candidat à l’uniformisation humoristique hexagonale est loin d’être la seule de ces étoiles montantes que les médias tentent d’ériger en emblème générationnel ; c’est là tout mon problème.
Moi je ne riais qu’aux blagues du siècle dernier.
C’est peut-être parce qu’ils ne gênent personne et ne remettent rien en question à travers leur art que je les trouve aussi insignifiants.
Ne nous méprenons pas, je ne suis pas totalement hostile à l’humour d’aujourd’hui. Comme tout le monde j’ai adoré les vidéos de Norman car je n’avais jamais rencontré cette forme d’expression auparavant et je suis persuadée que le succès de Bref
est davantage mérité pour sa narration et sa mise en scène plutôt que pour son contenu.
Les humoristes ne sont plus drôles parce qu’ils parlent trop d’eux-mêmes, tout comme la chanson française est chiante parce qu’elle chante la « vraie vie ». Extirper du quotidien une essence artistique est une réalisation magnifique mais, hélas, les artistes préfèrent extirper du quotidien sa banalité misérable : une trame facile sur laquelle ils brodent des répliques bancales et sans enjeux car elles plaisent et parlent au plus grand nombre.
Non, je n’aime pas tellement le stand-up; ou disons que j’apprécierais mieux la chose si elle était consommée avec davantage de modération plutôt qu’en me la faisant ingérer par overdose.
J’en arrive donc à cet élément de réponse : les comiques ne sont pas drôles parce que leur humour est tiède, leur courage absent, parce qu’ils reproduisent inlassablement ce que leurs pères ont fait avant eux sans inventivité.
Le rire doit-il fédérer ?
Je pense, comme le disait si bien Desproges, que l’humour est la politesse du désespoir et pas seulement un accessoire pour choper de la meuf ou des mecs en soirée. L’humour, c’est ce qui va rendre le quotidien supportable. La vie est si violente qu’elle nécessite une échappatoire aux drames réels, c’est, entre autres choses, un oxygène vital de rire et tourner le monde en dérision.
À notre époque nous ne rions plus des mêmes choses qu’il y a trente ans et nous ne esclaffons plus de la même manière non plus. C’est bien normal me direz vous – je garderai le silence par pudeur mais je n’en penserai pas moins.
Bien sûr il existe encore des Stéphane Guillon, des Christophe Alévèque et des Nicolas Bedos qui pratiquent l’humour politique et corrosif comme on en fait plus depuis ce nouveau millénaire. Certes il y a encore Groland et les Guignols de l’info à la télé; mais c’est à peu près tout ce qu’il nous reste du siècle passé.
Nous sommes devenus un pays qui rit devant « Scènes de ménages » (le quotidien de couples caricaturés filmés en studio) après s’être esclaffés devant « Caméra Café » (le quotidien de cadres caricaturés filmés devant une machine à café).
Au cinéma lorsque l’on se marre devant le cynisme de certaines répliques d’Intouchables on ne manque pas de justifier notre euphorie en tirant toute la sensiblerie possible du scénario « tu sais avant d’être un film drôle c’est l’extraordinaire histoire d’amitié entre un riche handicapé et un noir issu des cités » (heu, d’accord.)
[rightquote]Je suis convaincue que le rire est fédérateur mais que vaut ce rire s’il est standardisé, aseptisé ?[/rightquote]La presse nous offre quant à elle une magnifique version aseptisée et modernisée de Fluide glacial en nous proposant Fluide G., le canard écrit par des twittos qui cible, entres autres, les gonzesses décomplexées. Hara-kiri est bien mort et enterré, on dépoussière les anthologies à l’occasion de Noël et nous tournons les pages avec nostalgie en répétant « Oh, c’était osé quand même, on pourrait plus faire ça aujourd’hui. »
Alors nous rions, certes; mais d’un rire consensuel, par peur des procès, par peur de l’excès et de la mise à l’écart. Je suis convaincue que le rire est fédérateur, au même titre qu’un choix de vie particulier ou qu’une passion, il rassemble les gens entre eux et il est le liant des plus grandes amitiés mais que vaut ce rire s’il est standardisé, aseptisé ? Et s’il est le seul modèle accepté à une ère où les procès pleuvent sur ceux qui détonnent un peu trop de la nature morte à la mode du moment ?
Nous sommes dans une époque qui préférera toujours écouter dix Kev’ Adams répéter les mêmes litanies plutôt qu’un seul Dieudonné.
Nous sommes d’ailleurs à une époque où tous les Kev Adams du monde (rien que ça) sont invités au Casino de Paris et à l’Olympia et où Dieudonné, après s’être médiatiquement et politiquement suicidé par abus de provocations et de n’importe quoi, se retrouve à jouer dans un bus ou dans une chambre d’hôtel parce que personne ne veut lui louer une salle.
Nous sommes entre deux excès, la politesse désespérée de celui qui n’osera jamais faire rire par autre chose que ce qui est attendu et la folie provocatrice de l’humoriste désespéré prêt à toutes les infamies pour que l’on fasse attention à lui lorsqu’on refuse de l’écouter.
Quoi de plus subjectif que l’humour ? Vous allez peut-être trouver que j’en manque sacrément et vous aurez tout aussi raison que j’ai tort, vice et versa.
Je ne condamne pas tout ce qui existe aujourd’hui et je serai bien mal placée pour moraliser sur ce que vaut notre rire ni sur qui le mérite; moi qui en suis encore à regarder tous les épisodes de H et de Kaamelott en boucle jusqu’à les connaître par coeur.
J’éprouve juste une pointe de déception face à l’uniformité du paysage drôlatique, j’aime quand ça déborde un peu du cadre sinon c’est un coup à me coller un sacré bourdon.
- Si le sujet vous intéresse, regardez (en VO) l’émission Talking Funny, où Ricky Gervais, Louis CK, Chris Rock et Jerry Seinfeld parlent d’humour.
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