Les petites humiliations jalonnent bien malheureusement notre quotidien. On s’en plaint, ou on en rit, c’est selon, mais on est chaque fois surprises. Pourtant, les petites humiliations, ça n’a rien de nouveau : on les côtoie depuis notre plus tendre enfance. C’est juste qu’entre-temps, leur nature a totalement changé.
Du coup, pour relativiser les fails de ta vie de tous les jours, je te propose de retourner faire un petit tour dans le passé, à l’époque où on ne pouvait même pas mettre un mot sur le sentiment de « honte » qui nous troublait en plus de nous blesser l’ego. Tu verras : après, tu risques pas de regretter d’avoir dépassé le stade de l’enfance, période où franchement, on faisait vraiment toute une histoire d’un petit pet de travers.
Appeler l’institutrice maman/l’instituteur papa
La journée d’un enfant est souvent divisée en deux ou trois : le foyer parental, l’école et éventuellement, la garderie/nourrice/les grands-parents. C’est restreint. Quand on est adultes on a l’habitude de diversifier nos éléments de socialisation mais alors pendant l’enfance tu fais ce qu’on te dit de faire et c’est tout. Du coup, y a parfois méprise. On fait tout fusionner dans notre esprit et on passe bien pour un couillon.
L’exemple le plus frappant d’emmêlage de pinceaux, je pense qu’on l’a toutes vécu : l’affront d’appeler l’institutrice « maman » ou l’instituteur « papa ». C’est arrivé comme ça. Tu étais tranquillement en train de faire un exercice, comme la petite élève de CE2 ou CM1 que tu étais, et puis tu as eu besoin d’aide. Tu aurais pu, bien sûr, te contenter de demander à ta copine assise juste à côté de toi, mais tu voulais te prouver à toi-même que tu étais capable d’interpeller ton institutrice, malgré ta timidité maladive. Et aussi, t’as toujours été une enfant un peu fayote alors tu voulais te faire mousser aussi, si ça se trouve.
Alors tu as levé ta main tremblante, tout doucement. L’institutrice, profitant du calme pour recopier l’énoncé au tableau, ne te voyait pas. Alors tu as inspiré très fort et tu l’as appelée. Sauf que, dans un réflexe de panique étrange, dans ton besoin d’être rassurée, tu ne l’as pas appelée en disant « maîtresse ». Tu l’as appelée en disant « maman ».
Tu l’auras compris : je viens d’accoucher dans la douleur d’une anecdote qui me concerne, moi. Parce qu’en appelant l’institutrice « maman », je n’ai pas eu l’impression que de faire un lapsus : j’avais VRAIMENT le sentiment qu’elle allait penser que je l’aimais comme ma mère, genre « eh tu veux pas m’adopter ? ». Et franchement, c’était hors de question.
Du coup, comme j’étais plus à une humiliation près, j’ai pleuré comme lui, là.
Le truc, c’est que je sais que je suis loin d’être la seule à avoir vécu ça, et à avoir dû attendre que quelqu’un d’autre ne fasse la même erreur pour qu’on oublie de se moquer de moi.
Attraper la main d’un inconnu
Je sais pas si c’est moi qui suis particulièrement coincée de la phalange, mais j’ai toujours trouvé que tenir la main de quelqu’un était vachement intime. Que ce soit aujourd’hui (quand ça signifie dans ma tête « j’ai un peu envie qu’on se voit souvent pendant un temps indéterminé, jusqu’à ce qu’on se trouve mutuellement con ») ou que ce soit pendant l’enfance où je ne voulais tenir la main que des membres de ma famille.
Forcément, du coup, quand par mégarde, j’attrapais la main que je croyais être au bout du bras de mon père ou de ma mère et que c’était en fait un inconnu, je flippais sa race. J’avais l’impression d’être salie par la paume de cette personne qui n’avait rien demandé, et que je l’avais salie, elle.
Le combo de la mort, ce serait d’attraper par mégarde la main de mon institutrice à la boulangerie. Là j’aurais vraiment pas su où me foutre.
Ou pire : tenir la main du cadavre d’un animal.
L’absence de maîtrise du colon
À part en cas de gastro, il y a peu de chances pour que tu connaisses actuellement, tous les jours, la douleur de réaliser que tu as eu une fuite du colon dans ta culotte.
La dernière fois que ça m’est arrivé, je m’en souviens, j’avais 3 ans, ou peut-être 4. J’étais en train de jouer dans la cour et soudain, plop. Oui : plop. Au début, c’était rigolo : ça faisait bouingbouing quand je me balançais les reins et j’avais l’impression d’avoir une queue de lapin. C’était rigolo, un certain temps. Un certain temps seulement.
Après, c’était moins rigolo. Surtout quand je me suis assise et que la pression exercée par la chaise d’un côté et mes fesses de l’autre a fait s’exhaler les effluves de ce rejet de mon anatomie. Alors j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée chercher de l’aide. En guise de punition supplémentaire, j’ai eu droit au regard réprobateur des assistantes d’éducation de mon école maternelle et à une culotte de rechange trop grande pour moi.
Je sais pas toi, mais je m’en souviens comme si c’était hier. C’est limite si j’en rêve pas la nuit. Et je me demande si ce micro-évènement ne serait pas en lien avec mon complexe de la déjection dans les toilettes des autres.
Se réveiller dans son pipi
L’autre jour, j’ai rêvé que j’urinais. Je sais pas si tu sais mais rêver qu’on urine, ça se termine toujours de la même façon : dans l’urine. Je me suis alors réveillée en sursaut, persuadée que j’allais sentir de l’humidité sous mes fesses et dans mon dos. Je dormais chez mes parents et je m’imaginais, la goutte perlant sur mon front, qu’ils allaient m’entendre changer mes draps et venir me demander ce qu’il se passait avant de me regarder, effrayés à l’idée d’une possible régression de leur vingtenaire de fille. Je nous voyais déjà nous observer en chien de faïence, les sourcils froncés par l’angoisse et la honte.
Fort heureusement, il n’en fut rien. Ce rêve n’était qu’une fausse alerte. Mais je me suis souvenue. Je me suis souvenue des fois où j’allais tout doucement dans la chambre de mes parents pour les réveiller et leur dire, d’une petite voix geignarde, désespérée par moi-même, « J’ai fait pipi ». En quatre mots, toujours prononcés de la même façon, je ruinais leur nuit.
Il fallait alors changer les draps, puis m’emmener dans la salle de bain pour me nettoyer et me mettre un pyjama propre, tout ça tandis que je sanglotais doucement d’avoir fait ça à un âge que j’estimais trop avancé. « T’es grande maintenant », que je me disais. « Tu peux plus faire pipi comme ça n’importe où, à tire-larigot. »
Pareil mais en moins assumé, quoi.
Peut-être bien que je disais pas « à tire-larigot », à l’époque. Toujours est-il que cette honte cuisante, cette détestation de moi-même, cette humiliation suprême, je ne l’oublierai jamais.
Mais respirons : maintenant, on a probablement appris à gérer un peu mieux les humiliations. Et je dirai même que sans elles, ma vie serait un peu triste. J’étais un boulet, comme tous les enfants. Je suis restée un peu gauche, comme un grand nombre d’adultes. Embrassons ce qui nous gêne et assumons.
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Les Commentaires
J'ajouterais à ce traumatisme originel de la caisse un autre qui lui n’apparaît qu'à l'âge adulte et qui est celui de craindre de faire sonner les portiques de sécurité à la sortie alors même qu'on a rien volé
Quand j'étais perdu dans le supermarché c'est mes parents qui allaient à l’accueil faire l'annonce, c'était encore pire