2006. Le public découvre Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not, premier album des Arctic Monkeys, pur produit d’Internet. Et c’est un véritable carton. Dans la foulée, le groupe sort alors Favourite Worst Nightmare en 2007. Deux années s’écoulent pendant lesquelles Alex Turner, leader des Arctic Monkeys, fait ses propres expériences en formant The Last Shadow Puppets, ce qui n’empêche pas le groupe de reprendre le chemin des studios, aux États-Unis : c’est aujourd’hui qu’on goûte au troisième fruit de leurs efforts, avec Humbug.
L’album démarre en trombe : il y a de la propulsion dans les chaumières. À la septième seconde cependant, tout se calme… en apparence. C’est une voix plus grave, plus sombre que jamais, qu’Alex Turner ose à peine poser sur « My Propeller ». Calme promenade à la campagne ou tempête en pleine mer ? On retourne le problème dans tous les sens que déjà…
« Crying Lightning » tranche la question pour nous : c’est noir. Les riffs s’enchaînent, tourbillon encadré par de furieuses cordes. Et le chant sort ses griffes, Alex Turner se lâche. Souvent très lisse sur ses précédents albums, la voix du jeune britanique vocifère et martèle littéralement son désamour pour un tour de passe-passe appelé cri foudroyant.
La tendance se confirme au troisième morceau, qui, après une intro un peu déconcertante, relance de plus belles la machine Humbug. « Dangerous animal » est sauvagement épelé. Le combat entre l’homme dormant et la bête féroce détonne et étonne. À ce stade, on n’avait jamais perçu telle brutalité dans le son des Arctic Monkeys. On a libéré les fauves, et ils sont plutôt enragés.
Après un enchaînement parfait de trois titres relativement enflammés, « Secret Door » vient injecter quelques onces lumineuses ici et là. Un début onirique d’une vingtaine de secondes précède un retour à la douceur d’antan. Derrière cette fameuse porte secrète, le paradis ? Pas sûr.
Derrière elle, « Potion Approaching » se déclare définitivement diabolique. Dominée par la batterie de Matt Helders, au bord de la folie, se calquent guitare et basse, chant et chœurs, avec un décalage inquiétant, troublant. Et c’est peut-être la clé de ce renouveau. Les musiciens n’obéissent qu’à leur instinct : jouer ou mourir, se battre pour jouer, se battre ou mourir. Les Arctic Monkeys mène un combat aux portes de l’enfer, en tentant de ne pas s’y engouffrer.
« Fire and the Thud » nous relève alors la tête hors de l’eau. Percussions plus diffuses et riffs plus aigus, la voix d’Alex Turner nous emmène pour la seconde fois, dans un rêve où l’on s’allonge pour se laisser bercer par l’agitation. La chute se fait encore plus brutale. À la fin de la deuxième minute, la bête reprend du poil. Un solo plus tard, et une voix féminine se joint gaiement à la baston… Une femme, une baston ? Dans la dernière ligne droite de la chanson, ce n’est autre qu’Alison "VV" Mosshart, chanteuse mythique de The Kills, qui vient clandestinement prêter sa voix aux jeunes anglais avant de s’évaporer.
« Cornerstone » marque clairement un temps d’arrêt : îlot de plénitude où les rescapés échouent, c’est le moment de crier qu’on est vivant, miraculé, déchiré entre la victoire sur la mort et l’enfermement imminent dans une profonde solitude.
Un changement de piste, et des notes viennent nous rappeler par leur obscurité, des sons qu’auraient pu produire les Sonic Youth. Dans un murmure douloureux, on semble désirer nous entraîner dans des contrées jusque-là inexplorées. Déconcentré par tant d’astéroïdes musicaux, « Dance Little Liar » confirme ce que l’on soupçonnait déjà : les Arctic Monkeys ont pris de l’assurance, celle due à l’expérience. Les gamins ont grandi et ils n’hésitent pas à le placarder, sans pour autant ériger ce vieillissement comme une nouvelle marque de fabrique.
Enfouis dans nos méditations, les « Pretty Visitors » nous en extirpent et le titre sonne comme un clin d’œil aux précédents albums. Cette énergie qui a fait autrefois fureur est de retour ! Le chant s’excite et les instruments s’emballent, jusqu’au break qui nous permet de souffler un peu, avant de recommencer la danse épuisante qui se volatilise soudainement.
La place est laissée au magnifique « The Jeweller’s Hands ». C’est à la fois le dixième et le dernier morceau d’Humbug, et le plus long : il scintille pendant six minutes, concluant, toujours dans la cohérence, une bande son originale, pleine de rebondissements.
Qu’on se le dise, les Arctic Monkeys ne cherchent plus à faire des tubes survitaminés, on l’aura compris. Mais ici, ils vont véritablement au bout des choses : ils approfondissent leurs techniques, creusent leurs idées, titillent leur imaginaire. Et le résultat est teinté par mille fois de cette impression d’accomplissement d’une musique plus réfléchie d’une part, et plus imagée d’une autre. D’ailleurs, ces scènes qu’évoquent les dix nouvelles chansons de Humbug peuvent se réécrire d’autant de façon qu’il y aura d’oreilles pour recevoir les mélodies. Une chose est certaine, Humbug n’est en tout cas, pas une arnaque.
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Les Commentaires
C'est vrai que ça se discute. C'est trop facile de dire que le "bon" et "mauvais" n'existait pas, en fait j'ai dit ça pour ne pas m'égarer, pour ne pas juger mais surtout parce que l'avis d'une seule et unique personne n'est pas intéressant.
C'est certain, certains morceaux sont plus travaillés et plus recherchés que d'autres. On parle de "raffinement" aussi même si je trouve le mot super pompeux et prétentieux. Mais c'est tellement relatif tout ça. Chaque avis, chaque pensée et chaque gout est unique, et personne n'est assez bien placé pour distinguer ce qui est bon du mauvais je pense.
M'enfin bon, on s'égare du sujet comme tu dis.
@Je suis Léo C'est vraiment gentil à toi, t'es pas la seule à me dire de participer au site, donc je crois que je vais y penser même je pense pas avoir le temps cette année.