Quantité raisonnée, matières upcyclées et/ou fabrication artisanale en circuit court… Les jeunes créatrices françaises indépendantes Alice Vaillant, Elia Pradel, Miss Boo, Nathalie Chebou Moth, Kitesy Martin, Florentina Leitner, Ester Manas et Jeanne Friot n’attendent pas d’être à la tête de grandes maisons de luxe pour changer l’industrie de la mode.
Plus les milliardaires investissent dans la mode, et plus les femmes s’y raréfient au poste de création des grandes marques. De là à dire qu’elles sont en voie de disparition, il n’y a qu’un pas.
Qui sont les rares femmes directrices artistiques de maison de luxe en France ?
Au sein des quatorze maisons du groupe de luxe LVMH, on peut compter Fendi avec Silvia Venturini Fendi à la tête des collections homme de Fendi ; Maria Grazia Chiuri à la tête des collections femmes de Dior ; et Camille Miceli à la tête de Pucci. Chez Puig, qui compte cinq maisons de mode, Florence Tétier dirige Jean Paul Gaultier, et Harris Reed (personne genderfluid) Nina Ricci. Richemont compte neuf maisons de mode et accessoires, et seule Chloé est dirigée par une femme : Chemena Kamali. Le plus mauvais élève côté parité et diversité revient au groupe Kering avec ses six maisons de mode, toutes dirigées par des hommes cisgenres blancs. En dehors des groupes de luxe, notons également Virginie Viard à la tête de Chanel, Nadège Vanhée à la tête des collections femme d’Hermès, et Véronique Nichanian pour celles masculines du grand sellier français.
Mais comme tout ce beau monde du luxe n’a clairement pas besoin d’un coup de projecteur supplémentaire, profitons plutôt du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, pour mettre en lumière huit jeunes créatrices qui changent la mode avec style et conscience.
Alice Vaillant, de Vaillant Studio
Fille aînée de l’humoriste Anne Roumanoff et de son producteur Philippe Vaillant, née en 1995, Alice Vaillant a grandi en se formant à la danse classique à l’Opéra de Paris, avant d’arrêter cette pratique à 18 ans, après un crochet par Montréal. Là-bas, elle entame des études de mode, qu’elle poursuit dans la ville Lumière, et commence des stages dans les studios de Nina Ricci et Jean Paul Gaultier, avant de fonder sa propre marque, Vaillant Studio en 2019. En pleine pandémie, elle gagne en popularité grâce aux réseaux sociaux, et se trouve revendue par la plateforme multimarque en ligne SSense. De quoi l’aider à taper dans l’œil de stylistes qui habillent de ses créations des célébrités comme Bella Hadid, Tina Kunakey, ou encore Kylie Jenner. Alice Vaillant adore frotter des pièces de lingerie très féminine, volontiers pleine de dentelle (sa signature), à l’univers plus masculin du tailleur acéré.
La jeune créatrice guadeloupéenne Elia Pradel a lancé en 2020 sa marque Anicet, qui doit son nom au deuxième prénom de son père, tout en étant l’anagramme de « ancient » en anglais. Face à l’impact environnemental et humain colossal que peut avoir la joaillerie quand il s’agit d’extraire des matières vierges comme de l’or ou des pierres précieuses et fines, Elia Pradel s’inscrit dans une démarche éco-responsable en recyclant des bijoux qui existent déjà pour les déconstruire et les remixer ensemble autrement. Briser des chaînes afin de se les réapproprier, c’est une vision de l’upcycling plus précieuse que jamais. L’autodidacte a rejoint en novembre 2022 le programme de résidence du Bureau du Design, de la Mode et des Métiers d’Art de la Ville de Paris (BDMMA Paris, également surnommé les Ateliers de Paris), qui l’a donc accompagnée pendant un an pour l’aider à propulser sa vision créative et ses savoir-faire encore plus loin.
Miss Boo est une créatrice de mode dirigeant son atelier de couture et de sur-mesure. Elle obtient un bac professionnel métiers de la mode puis sort diplômée de l’école de mode ESMOD Paris, doublement major de promo. Ses pièces, souvent sur-mesure, s’inspirent de techniques coutures, en particulier côté corseterie. Elles subliment les corps, expriment le penchant provocateur ou fatal des personnalités qu’elle habille, libres, charismatiques, affranchies. Après avoir fait ses armes chez Yazbukey, Miss Boo commence très vite à prendre ses propres commandes et recevoir ses client·e·s dans son atelier. Elle participe aussi aux défilés de Weinsanto et Thom Browne auxquels elle apporte son expertise. Elle a également signé les costumes de la parade des 150 ans de la Samaritaine.
Nathalie Chebou Moth a fait des études de macroéconomie et microéconomie, pour devenir une experte des marchés financiers. Après des années d’expérience dans le milieu bancaire, elle a basculé vers celui plus créatif des médias, de la beauté, et de l’édition touristique, tout en se formant aux métiers de la mode. En novembre 2018, l’autodidacte multitâche a créé OMÔL (ce qui signifie « mademoiselle » dans la langue de son père, le banen), sa propre marque made in Africa. Depuis, une dizaine d’artisan·e·s travaille dans l’atelier de couture qu’elle a constitué à Douala, au Cameroun, pour les créations audacieuses et empouvoirantes de sa griffe indépendante.
Diplômée des Arts Décoratifs de Paris, Kitesy Martin est styliste depuis presque dix ans. Après être passée par différentes maisons telles que Balenciaga, Balmain, Lacoste ou Perrin Paris, elle lance sa marque éponyme de bijoux upcyclés en 2018. Kitesy Martin chine des pièces vintage qu’elle désassemble et réassemble afin de confectionner des pièces uniques à la main dans une logique d’économie. Elle puise ses inspirations dans l’art contemporain et la pop culture pour mettre en lumière un style graphique mixant les matériaux, les genres et l’argent avec le doré. Kitesy Martin est aussi un laboratoire créatif avec des pièces upcyclées appliquées à la décoration, la chaussure, la maroquinerie ou le vêtement.
Après son diplôme de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, la créatrice autrichienne Florentina Leitner a fait ses débuts auprès du grand designer belge Dries Van Noten, avant de lancer son label éponyme en 2020. Basée à Anvers, elle manie l’art des imprimés 3D et des fleurs acidulées pour proposer des créations ludiques, à partir de fabriques artisanales en Italie à base de matières écoresponsables. En 2022, elle a reçu le prix du Emerging Talent of the Year aux Belgian Fashion Awards grâce à son esthétique à la fois girly et dérangeante, façon princesse du bizarre. Par exemple, sa récente collection inspirée de Jeanne d’Arc convoque dans son lookbook aussi bien des références au Grinch qu’à des rites ésotériques.
La marque belge Ester Manas s’est fondée en 2019 par la créatrice du même nom et Balthazar Delepierre (son époux). La griffe propose des vêtements à taille unique, seyante du 34 au 50, grâce à un ingénieux système de fronces, de laçage, de boutonnières et de tissus extensibles (notamment grâce au travail de la maille chenille, ainsi que la mousseline rideau). Elle part principalement de matières upcyclées, confectionnées localement par des femmes en réinsertion socioprofessionnelle, pour donner naissance à des pièces capables d’accompagner des femmes dans toutes leurs variations de poids. Inclusive par design, la marque Ester Manas coche presque toutes les cases et ce, sans pour autant le crier sur tous les toits.
Diplômée de l’École supérieure des arts appliqués Duperré et de l’Institut Français de la Mode, passée par APC, Maison Kitsuné, Wanda Nylon et Balenciaga, Jeanne Friot conçoit depuis 2020 des collections en son nom propre. Depuis La Caserne (le plus grand accélérateur de transition écologique dédié à la filière mode et luxe en Europe) à Paris, la créatrice fière d’être lesbienne crée des vêtements et accessoires non-genrés, éco-responsables, made in France, à la fois créatifs et engagés. Vous avez peut-être vu passer certaines de ses pièces devenues cultes comme son t-shirt « If you are not angry you are not paying attention » dont les bénéfices allaient au National Network of Abortions Funds (NNAF) ou son jean upcyclé de plumes d’autruche peintes à la main.
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