Le 9 mars 2015 :
Fin 2013, j’ai obtenu ma licence de webmestre éditorial, et j’ai décidé de partir à l’autre bout du monde, en Corée du Sud, pour décompresser de ces trois années d’alternance. Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’au retour de ces vacances je serais aussi pauvre… Et malheureusement je ne trouvais pas de travail dans ma branche : en temps de crise les offres sont rares en communication, on nous préfère les stagiaires parce qu’ils coûtent moins cher, et je n’avais pas envie de faire du community management.
Car webmaster éditorial est un métier très vaste qui dépend essentiellement de la vision de ce poste par l’entreprise et de la taille de celle-ci. En général le webmaster éditorial gère le contenu du site Internet ; c’est lui qui assure la cohésion du contenu rédactionnel et le respect de la charte éditoriale. Par comparaison, c’est une sorte de rédacteur en chef du site Internet. Mais parfois son rôle s’étend aussi au community management ou encore au webmarketing.
Durant mon alternance j’étais plus axée sur le webmarketing, avec la mise en place de newsletters dont l’objectif était de vendre avec l’utilisation d’un logiciel CRM (logiciel permettant une optimisation de la relation client) et de mettre en place des sites Web bilingues, etc.
Les quelques offres de travail dans ma branche ne me correspondaient donc pas, et la pression financière était là. Il m’était impossible de faire la fine bouche car je ne voulais pas rentrer chez mes parents. C’est comme ça que je me suis retrouvée à passer un entretien pour un poste de hotliner — un métier hautement dénigré par mes professeurs de BTS informatique. Mais quand on a faim et qu’on doit payer son loyer, on n’a pas trop le choix, et je n’aimais pas assez le community management pour accepter d’être payée le SMIC.
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Les entretiens
L’embauche s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord j’ai été contactée par une agence d’intérim pour un poste de hotliner bilingue. Avant l’entretien avec l’agence, j’ai contacté un ami qui fait ce métier pour me donner des tuyaux. Il m’a conseillé de postuler aussi pour son entreprise parce que « Tu parles anglais, t’as un diplôme technique, et comme ils embauchent soit des tech soit des linguistes, tu peux y aller ! ».
« Vous n’êtes pas faite pour ce poste. Vous allez vous ennuyer, je ne pense pas que vous positionner sur ce poste soit une bonne idée pour votre épanouissement personnel. »
Au vu de mes expériences, j’étais en effet plus au niveau de la gestion de projet que de l’exécution.
Être hotliner
J’ai donc démarré mon nouveau travail de hotliner le 12 novembre 2013. À mon arrivée, j’ai tout de suite dû intégrer le langage de la SSII. Ici on ne parle pas de collègue mais de collaborateur. On n’est pas dans un open space, mais sur un plateau. On ne parle pas de client mais d’utilisateur. On ne dit pas son chef mais son superviseur. Et enfin, on ne parle pas non plus d’ensemble de bureaux, mais de… pâquerette !
Un exemple de plateau téléphonique.
Passé l’apprentissage du vocabulaire, petite formation sur le contexte de travail, on m’a directement jetée dans la gueule du loup, c’est-à-dire en prise d’appel. On a juste pris soin de m’apprendre la phrase type selon l’entreprise au bout du fil. Cela va de « Assistance informatique Florence bonjour » à « Support informatique – nom de la société – Florence à votre service ». Ici on ne travaille pas pour le grand public, mais pour des entreprises.
Selon Wikipédia, un hotliner est :
« Un téléassistant (hotliner en anglais) est une personne aidant à distance (par téléphone le plus souvent) les utilisateurs ou clients d’une ou plusieurs sociétés selon le contexte. Son rôle principal est de diagnostiquer et d’apporter des solutions aux incidents techniques rapportés par les utilisateurs ou, le cas échéant, de faire remonter lesdits incidents au niveau supérieur (couramment appelé Niveau 2). Les incidents peuvent être d’ordre logiciel ou matériel. »
Être hotliner c’est savoir prendre de la distance, avoir de l’empathie et surtout être à l’écoute de l’utilisateur. Et tout cela en sachant que dans l’entreprise où je suis, on doit décrocher en moins de 15 secondes 90% des appels : sur 100 appels, 90 utilisateurs ne doivent pas rester plus de 15 secondes en attente. Un appel doit de plus durer en moyenne 6 minutes et ne jamais dépasser les 15 minutes, et on ne doit pas raccrocher ! Autant vous dire que ce n’est pas toujours facile.
Nous étions alors trente chargés de support (hotliners) pour trois clients, et sur mon deuxième poste dix-neuf chargés de supports pour sept clients différents.
À partir du moment où l’on répond au téléphone on voit de tout, et encore on ne parle pas du grand public. Cela va de l’utilisateur très gentil et aimable à l’utilisateur très énervé, odieux et irrespectueux. Je me suis très vite rendu compte que si je prenais à cœur toutes les réflexions que je me prenais dans les dents quand je décrochais, je ne ferais pas long feu.
Au départ j’ai eu la chance, les utilisateurs étaient gentils et même lorsqu’ils étaient énervés il y avait du respect. Puis on m’a proposé : « On a besoin de monde pour le projet transporteur, ça te tente ? ». Je commençais à me lasser et j’ai accepté.
Et là ce fut le début des « problèmes ». Les utilisateurs étaient soit odieux, soit misogynes, insultants. Je ne compte pas le nombre de fois où l’on m’a sorti des phrases du type « Ma petite dame vous avez raté votre vocation ! Vous auriez dû faire du téléphone rose avec une si jolie voix ! », ce qui a poussé mes collègues à m’appeler pour vérifier si j’avais vraiment une jolie voix (à mon grand désespoir).
J’ai aussi eu le droit à « Quand une femme s’y connaît mieux en informatique qu’un homme c’est dur. C’est un peu comme une perte de ma virilité. Les femmes c’est dans la cuisine ! ». À chaque fois il faut garder son calme, remettre les gens à leur place mais toujours avec le sourire : oui, le sourire ça s’entend au téléphone. Heureusement qu’il existe la touche mute !
En fait, être hotliner ce n’est pas faire de l’informatique, c’est essentiellement faire dans le social, rassurer, écouter, guider, former etc.
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L’importance de l’ambiance de travail
Malgré le côté stressant (la prise d’appels est continue, ici on est à un volume de 40 appels par jour par technicien) et la pression des chiffres, je suis déjà à quinze mois de travail dans cette entreprise. Mais pourquoi ? La première réponse, et la plus honnête, est que j’ai un CDI. Mais cela ne fait bien sûr pas tout.
Faire ce genre de job, c’est être quasi assuré•e de se retrouver avec une équipe jeune et dynamique. En général la moyenne d’âge est de 25 ans : pour beaucoup d’entre nous c’est le premier emploi (hors alternance) que nous occupons.
Cela permet d’avoir une bonne ambiance au boulot, les bonnes blagues fusent, et nous faisons des soirées entre « collaborateurs ». C’est rires garantis chaque jour, et il faut bien ça si on veut tenir. Sur d’autres plateaux à l’ambiance moins positive, le renouvellement des équipes est plus important.
Après tout ce temps je peux dire qu’être hotliner m’aura appris qu’on fait rarement ce métier par passion, et qu’on reste rarement plus de deux ans à ce poste. J’ai appris que je savais faire preuve de patience, pas illimitée mais presque, que savoir prendre du recul n’est pas chose facile, et qu’être hotliner ce n’est pas se plier aux quatre volontés des utilisateurs.
J’ai aussi compris qu’on pouvait avoir un job « nul » et aimer aller bosser. Et surtout j’ai enfin pris conscience de l’importance de l’ambiance de travail, car honnêtement c’est elle qui me faisait rester dans cette entreprise. Sans ça j’aurais très vite fui !
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Et après ?
Malheureusement, malgré les bons moments passés au boulot, je vais arrêter ce travail d’ici 2016. D’une part parce que mon premier EAE (entretien annuel d’évaluation) s’est très mal passé : je ne suis pas rentrée dans le moule de l’entreprise, et mon manager a appuyé là où ça fait mal sans jamais mettre en avant mes qualités, ni vraiment m’expliquer clairement les axes de progressions.
De plus un récent entretien avec mon superviseur a confirmé ce que je pensais déjà : la carrière est limitée, et les étapes sont, grosso modo, toujours les mêmes. On commence par être hotliner, puis technicien de proximité, co-superviseur, superviseur et enfin manager, rien qui me tente vraiment.
Par ailleurs mon superviseur m’a dit que j’étais « une trop bonne personne » (je cherche encore ce que cela veut dire) pour rester ici, que cette entreprise allait me briser, qu’il ne comprenait pas pourquoi avec toutes mes compétences j’étais encore là si ce n’est par souci alimentaire ; qu’il ne pensait pas que je pourrais m’épanouir ici, que je manquais d’ambition pour cette entreprise et enfin que même s’il voulait me garder, il ne ferait rien pour me retenir et m’écrirait toutes les lettres de recommandations dont j’aurais besoin car je le mérite.
Du coup j’ai pris une grande décision : partir en Working Holiday Visa en Corée du Sud avant d’être trop installée en France, pour découvrir autre chose. En attendant d’avoir assez d’économies, je reste à mon poste !
Le 24 juillet 2015 :
Finalement la pression financière des impôts et la baisse des effectifs sur notre plateau auront eu raison de moi : je quitte officiellement mon poste de hotliner le 21 août. Je n’aurais pas tenu jusqu’à mon départ en Corée. En effet, depuis la rédaction de cet article cinq personnes ont quitté l’entreprise, le chef a changé et la pression est devenue plus présente. Il était temps pour moi d’arrêter avant qu’aller travailler ne devienne un calvaire.
Le 1er septembre j’intègre l’équipe de support logiciel (le support informatique spécialisé sur un logiciel) d’une PME de cent employé•e•s. Avec une taille plus humaine, une équipe de support de quatre personnes, des horaires fixes, plus d’astreinte et surtout plus la nécessité de faire constamment le boulot de huit personnes à trois, j’espère ainsi retrouver l’envie d’aller bosser !
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