Vous savez quoi ? Je vais imiter Serge Ciccotti (Docteur en psychologie de son état), et commencer cet article par une petite expérience. Oui : avec vous, l’expérience.
1/ Prends une feuille de papier, et fais une colonne de 1 à 10. 1. 2. 3. …
2/ Réponds le plus spontanément possible : en face du chiffre 1, écris le chiffre du jour de ta naissance; à côté des chiffres 2 et 6, inscris le nom d’une personne de sexe opposé que tu connais, à côté des chiffres 3,4 et 5, écris le nom de personnes proches, écris 4 titres de chansons en 7,8,9 et 10
Résultats du test :
- si le nombre correspondant au numéro 1 est un nombre pair, vous êtes une personne capable de fournir beaucoup d’efforts. S’il est impair, vous avec un grand sens des responsabilités
- Vous partagez beaucoup de points communs avec la personne n°2
- La personne n°6 est une personne que vous appréciez beaucoup mais que vous ressentez comme problématique
- Vous tenez particulièrement à la personne n°3
- Vous connaissez des situations très compliquées de la vie de la personne n°4
- La chanson n°7 est celle qui s’associe avec la personne n°2
- Le titre n°8 est pour la personne n°6
- La chanson n°9 est celle qui en dit le plus sur votre état d’esprit du moment
- La chanson n°10 est celle qui révèle vos sentiments généraux par rapport à la vie
Honnêtement… Combien d’entre nous sont un peu tombées dans le panneau ?
Nom d’une loutre putréfiée, évidemment que « two times » (si tu viens des années 85-86-87, cette chanson est pour toi) est faite pour ma keupine Emilie, et bien sûr que « c’est la chenille qui redémarre » correspond tout à fait à ma vision de la vie (accroche-tes mains à ma taille, tout ça).
C’est la faute à l’effet Barnum !
Eh bien voilà : nous sommes victimes de l’effet Barnum. Contrairement à ce que le nom indique, cette bien fameuse découverte nous viendrait de Paul Meehl, en hommage à un patron de cirque (Barnum, donc) qui expliquait le succès de ses spectacles par deux phrases : « à chaque minute naît un gogo » et « il faut réserver à chacun un petit quelque chose ».
Si l’on traduit, pour qu’un public devienne friand d’un show/horoscope/test de personnalité, il faut que :
- le public soit crédule, ou du moins qu’il veuille bien croire (je peux être un peu con-con, ou alors juste avoir envie d’y croire… Je SAIS que Christine Haas me serine des bêtises tous les matins sur RTL, mais quand elle me dit que ma journée va être fan-tas-tique vu que Trucmuche est en Vénus, j’ai envie de lui dire bingo, tu vois)*.
- Chacun se sente un peu concerné (parce que comme la chose la plus importante à mes yeux, c’est moi, eh bien si l’on me parle de moi-même, je risque d’écouter drôlement plus).
(* Nous sommes d’accord : j’aurais pu trouver plus funky que RTL)
En vrai, chez les gens sérieux, l’effet Barnum porte le nom joyeux d’effet de validation subjective, et veut dire exactement la même chose : parfois, nous nous reconnaissons spontanément dans ce que nous croyons être la description de nous-mêmes.
J’ai envie de te dire que ce phénomène colle bien avec l’ambiance société surmoderne & course vers le « qui suis-je, où vais-je, pourquoi ».
C’est-à-dire que les évaluations de notre personnalité pourraient nous paraître juste : lorsque je fais un test de ces magazines pseudo-féminins et qu’il me révèle que « vous allez bien, mais parfois moins », j’ai envie leur dire « ouais, mais tu vois, ça peut valoir pour ma voisine de droite aussi » (ma voisine de gauche, elle est un peu jetée et a dû avoir une majorité de réponses C – « vous n’allez pas bien, mais parfois, si »).
Tu vois, toute cette histoire d’horoscope et autres tests de personnalité, c’est un peu comme la mauvaise presse : à force de vouloir ne vexer personne, on finit par ne plus dire que des banalités.
Les rouages de l’effet Barnum
Quoiqu’il en soit, le processus qui nous rend courge est le suivant :
- trouver LA caractéristique qui peut appartenir à chacun des sujets d’un échantillon (date de naissance, narration du rêve, résultat à « êtes-vous plutôt une fille lisse ou bouclée »…),
- Faire penser aux victimes que l’on est en train d’analyser leur personnalité à partir de cet élément,
- Présenter l’analyse.
- Dans ce cas, la majeure partie d’entre nous va penser que l’analyse leur va comme un gant.
Pour exemple, le chercheur Forer a fait passer à ses étudiants un test de personnalité (1949). Il jette les résultats et recopie ce texte d’une analyse de personnalité extraite de la rubrique astrologique d’un magazine, qu’il donne ensuite à chaque élève :
Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les compenser. Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas tourné à votre avantage.
A l’extérieur, vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l’intérieur, vous tendez à être préoccupé et pas très sur de vous-même. Parfois, vous vous demandez sérieusement si vous avez pris la bonne décision ou accompli ce qu’il fallait. Vous préférez une certaine dose de changement et de variété, et devenez insatisfait si l’on vous entoure de restrictions et de limitations.
Vous vous flattez d’être un esprit indépendant et vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment démontrée. Vous pensez qu’il est maladroit de se révéler trop facilement aux autres.
Par moments, vous êtes très extraverti, bavard et sociable, tandis que, à d’autres moments, vous êtes introverti, circonspect, et réservé. Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes.
Évidemment, les étudiants n’étaient pas au courant de la supercherie et pensaient que l’analyse leur était personnellement dédiée. Par la suite, Forer leur demanda d’évaluer, sur une échelle de 0 à 5, à quel point le résultat du test correspondait à leur personnalité.
Tu sais quoi ? La moyenne des résultats obtenus fut de 4,2 sur 5, autrement dit : la plupart des étudiants considéraient que le test révélait quasi-parfaitement leur personnalité.
Le phénomène traduit une tendance à considérer des énoncés généraux sur la personnalité comme s’appliquant à soi (si en plus les énoncés sont positifs, tu penses bien que l’on va se gargariser).
Subjectivement, on se persuade que le test/horoscope est juste, ce qui signifierait donc que le système théorique qui l’encadre est valide et que celui qui l’a pondu est un expert.
J’en profite pour soulever un léger souci concernant une pseudo-science plus utilisée que d’autres : la graphologie. Non, la graphologie n’est pas scientifiquement valide, et non, si vous faites de grosses barres sur vos « t », vous n’êtes pas forcément une fonceuse.
Mesdmoizelles, promettez-moi que si jamais un employeur vous fait le coup de la lettre manuscrite pour expertise graphologique, vous rirez un bon coup et vous vous enfuirez bien vite.
Mais pourquoiiiiiii ?
Vous allez me dire que tout ça est bien mignon, mais pourquoi tombe-t-on dans le panneau ?
Tout d’abord parce que les descriptions réalisées sont généralistes, et le vocabulaire fonctionne par catégories sémantiques vagues. Les personnes (nous, quoi) définissent les contours, y attachent leurs propres représentations, images, perceptions…
Les vrais bons portraits sont également nuancés, de sorte qu’on puisse y trouver un trait de personnalité et son contraire (« vous êtes éparpillée, mais rigoureuse »/ »vous êtes spontanée, mais réfléchie »), ce qui permet au lecteur de sélectionner un élément significatif au détriment de l’autre. On retient ce qui nous arrange… De la sélection perceptive, en gros.
Le processus fonctionnera d’autant plus lorsque les descriptions sont à notre avantage… La flatterie, les copines, la flatterie permettra de dominer le monde !
Ce biais a à voir avec le « concept de soi » et la construction de notre identité : pour garder une image stable et positive de nous-mêmes (ce qui est une priorité psychologique essentielle), nous devons favoriser les informations qui vont dans ce sens.
Ainsi, l’effet Barnum apparaîtra d’autant plus lorsque l’astrologue chantera nos louanges.
Troisième facteur : plus nous avons de l’estime pour celui qui nous a jugé en fonction de sa « science » (ou plus nous estimons la « science » en elle-même), plus nous sommes prêts à accepter leurs analyses (et même les éléments négatifs, ce coup-ci).
En réalité, l’effet Barnum nous permet d’approcher un peu plus les processus de construction de représentation de soi, et les informations extérieures viennent alimenter cette image, ce concept de moi… Ce qui est nécessaire.
Finalement, toute cette histoire interroge : qu’ai-je besoin de savoir à propos de moi ? Quelle information ai-je envie de garder ? Quelle image ai-je envie de me construire ? L’effet Barnum n’est pas le fruit de notre propre bêtise, mais répond à des processus cognitifs et affectifs courants qui forment les bases de notre identité. Au-delà même de ces considérations, c’est la question de la personnalité qui se pose : existe-t-il réellement une personnalité ? Et quand bien même elle existerait, est-ce possible d’avoir une connaissance objective de nous-mêmes ?
Pour aller plus loin
- Un article du très chouette Serge Ciccoti (de la page 29 à 33), dans la très chouette Revue Électronique de Psychologie Sociale
- L’Horoscope Décadent 2011 du Professeur Bobby Freckles
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
- ma vision de la vie = move bitch de ludacris
- mon état d'esprit du moment = psycho de system of a down... isco:
Ca reflète bien les choses... Par contre, en rouge et noir de jeanne mas pour un mec que je ne peux pas supporter, il faudra m'expliquer...
J'exilerai ma peur, j'irai plus haut que ces montagnes de douleuuuur! En rouuuuuuuuuuuuuuuuge et noiiiiir!