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Homophobie et stigmatisation, nos lectrices (et lecteurs) témoignent

Dans le débat pour ou contre le mariage pour tous, on oublie parfois les principaux concernés : comment se sentent-ils ? Comment gèrent-ils les attaques dont ils sont la cible ? Témoignages.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’un débat particulièrement clivant a lieu depuis quelques mois dans la société française : alors que le projet de loi sur le mariage pour tous et pour l’adoption a franchi le cap du Conseil des Ministres le 7 novembre dernier – quoique dépourvu de la procréation médicale assistée et sans mention des questions de filiation – les esprits ne cessent de s’échauffer, les avis divergents de se confronter.

Alors certes, c’est l’occasion d’entendre les voix des soutiens à la cause des homosexuel-le-s, qu’ils soient hétéros, bi, homo, asexués ou autre. Mais c’est aussi l’occasion pour les opposants au mariage pour tous d’exposer leurs arguments, avec plus ou moins de calme, avec plus ou moins de retenue et de bon sens. Et plus ou moins de combinaisons moulantes argentées.

Et comme à chaque fois que la société évolue de manière progressiste, les mots se font plus durs, les opinions plus tranchées, et le fossé se creuse entre les deux points de vue principaux. Mais comment le vivent les principa-ux-les concerné-e-s ? Comment gérer à la fois l’envie de se battre pour ses droits quand on est homosexuel-le- et favorables au mariage pour tous (une petite partie des gays ne revendiquent pas ce droit), tout en gérant les attaques quotidiennes à l’encontre de leur « mode de vie » somme toute très peu différent de celui des hétérosexuel-le-s ? C’est ce que nous avons décidé de demander à nos lecteurs et lectrices homosexuel-le-s après avoir lu un post de Rainbowarrior dans les forums de madmoiZelle qui nous a fait réfléchir à la question :

« Je crois que si je trouve si important que madmoiZelle s’engage vraiment, c’est parce que depuis que je sais que je suis lesbienne, 7 ans maintenant, c’est la première fois que la société me donne l’impression d’être une sous-merde. Et je crois que c’est ce que ressentent beaucoup de gays et de lesbiennes aujourd’hui. »

Du coup, forcément, ça a beau n’être qu’un ressenti, ça donne envie de creuser un peu le sujet et de vérifier si ce mal-être est si répandu qu’on pourrait le croire. Et cette stigmatisation, d’où vient-elle vraiment ? Pourquoi semble-t-elle beaucoup plus forte actuellement alors qu’on pourrait croire que l’homosexualité n’est plus un sujet aussi tabou qu’avant ? À quel point se sent-on stigmatisé-e, mis-e à l’écart alors que la seule différence est qu’on désire des gens du même sexe. C’est la raison pour laquelle on a lancé un appel à témoins il y a quelques jours, et c’est ce que nous allons tenter de voir dans cet article.

Amalgame, clivage et incompréhension

Pour ceux qui en douteraient parce qu’ils auraient la chance de vivre dans un environnement complètement gay-friendly, le contexte actuel est une façon de vérifier que l’homophobie n’est pas un mythe. D’un côté, les homophobes qui s’assument n’ont pas hésité à prendre la parole quand on voulait bien leur donner, comme l’a fait l’industriel Serge Dassault. Au début du mois, il estimait que l’homosexualité était responsable de la « décadence de la Grèce », et en rajoutait deux ou trois tonnes au micro de France Culture. Extrait :

« Regardez dans l’histoire, la Grèce, c’est une des raisons de sa décadence. C’est l’arrêt de la famille, c’est l’arrêt du développement des enfants, c’est l’arrêt de l’éducation, c’est un danger énorme pour l’ensemble de la nation, énorme. »

Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs sur le dos de Serge : il n’est pas le seul. Ainsi, début octobre, François Lebel (maire du 8ème arrondissement de Paris) a envoyé une lettre à ses administré-e-s. Une lettre dans laquelle il n’hésitait pas à assurer qu’il ne marierait pas de couples homosexuels et confiait ses craintes que le mariage pour tous n’entraîne la polygamie ou la pédophilie :

« Si le tabou immémorial du mariage hétérosexuel vient à sauter, qui et quoi s’opposera désormais à ce que d’autres tabous le concernant, bien moins anciens, bien moins universels, ne tombent à leur tour ? Par exemple : comment s’opposer demain à la polygamie en France, principe qui n’est tabou que dans la civilisation occidentale ? Pourquoi l’âge légal des mariés serait-il maintenu ? Et pourquoi interdire plus avant les mariages consanguins, la pédophilie, l’inceste qui sont encore monnaie courante dans le monde ? »

journal-intimeLa polémique n’aurait pas eu lieu si François avait pensé à faire l’acquisition d’un journal intime plutôt que de faire un édito fondé sur des idées qui picotent.

Cette petite habitude qu’ont certain-e-s de faire l’amalgame entre l’homosexualité/la bisexualité d’un côté et la pédophilie de l’autre est une sorte de running gag dans ce débat sur le mariage pour tous. Christian Vanneste avait été menacé de renvoi de l’UMP en février dernier pour avoir, entre autres, proféré des propos à ce sujet, après avoir déjà dérapé de la sorte en 2010. À ce sujet, Elise, une de nos lectrices lesbiennes, explique en avoir franchement assez d’être considérée comme une « anomalie » :

« Évidemment, les gens ont le droit d’être contre – même si j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi […] mais j’aimerais être respectée en tant qu’être humain. Non je ne suis pas déviante sexuelle, non je ne suis pas malheureuse par rapport à ma sexualité, et à chaque fois que quelqu’un avance l’argument que c’est contre nature, j’ai juste envie de pleurer parce que non, ça ne l’est pas, nous sommes des êtres humains, comme vous, nous avons nous aussi des droits et des envies. »

Un avis que partage Alex, qui observe les débats du pays étranger où il fait ses études :

« […] qu’ils arrêtent de nous comparer avec des incestueux, qu’ils arrêtent de dire qu’on est dangereux. Ils oublient un peu vite le passage tolérance de la Bible, ces cathos intégristes ! Tout ce que je leur souhaite, c’est d’avoir un fille qui aime les autres filles, un fils qui aime les autres fils, pour comprendre, connaître. »

Mais d’où vient cette idée qu’ont certains, que l’homosexualité n’est pas si loin de la pédophilie ? En 2010, Olivier Vanderstukken tentait une explication sur site du Nouvel Obs pour expliquer les fondements de cet amalgame qui paraît complètement surréaliste tendance Kamoulox :

« Une des bases possibles de cette fausse croyance réside dans l’appellation péjorative faite aux homosexuels : « pédé », provenant de pédéraste et qui signifie attirance d’un homme adulte pour les jeunes garçons ou adolescents. Ce terme a connu des glissements sémantiques considérables pour arriver par extension à l’homosexualité masculine.

Ceci sème la confusion avec la pédophilie. Les pédophiles sont des personnes souffrant de fantaisies sexuelles portant sur des enfants (garçons ou filles) pré-pubères, non formés, ce qui n’a rien à voir avec les préférences sexuelles qu’elles portent sur des hommes ou des femmes adultes. »

Ce genre d’amalgamoulox ne seraient donc dus qu’à une mauvaise utilisation des mots. Si c’est pas être têtu de la sémantique… Pour plus de raccourcis WTF, Terrafemina a listé quelques uns des pires arguments des anti-mariages pour tous : inceste, zoophilie, consanguinité, c’est festival.

L’homophobie, une xénophobie comme les autres

Il y a quelques jours, un site comme on en crée des milliers par jour est né. Sauf que Ça vous choque ? a une façon toute simple de pointer l’homophobie du doigt. Lancé par le centre CGLBT de Rennes, il présente des phrases choquantes emplies de racisme sur les noirs, les maghrébins, les personnes d’origine asiatique… Puis, en un clic, on change un mot pour le remplacer par homosexuels. Pour une partie des Français, cette phrase devient alors beaucoup plus acceptable. C’est ce qu’essaie de faire comprendre Amandine, avec ses propres mots :

« Ça ne vous choque pas d’entendre « Un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants » ? Et si on disait « Les blancs avec les blancs, on ne colore pas les enfants », là ça vous choquerait ? Ces mots, sous couvert de liberté, ne sont qu’homophobie, peur et haine. Moi je n’ai plus la force de rire devant les propos de Frigide Barjot, ou les vidéos de manifestations Civitas qui tournent à l’agression violente pure et simple des homosexuels. »

Les vidéos auxquelles Amandine fait référence, c’est celles de la manifestation de dimanche dernier où des militantes du FEMEN ont été agressées physiquement et verbalement par des membres ou des proches de Civitas. Certes, les féministes en question ont concédé aux Inrocks avoir provoqué les manifestants : « On a provoqué ces intégristes, mais on ne méritait pas une telle agression », explique l’une d’entre elles. Enora est lesbienne et elle a son avis sur ce regain de violence et cette homophobie qui semble prendre de plus en plus de place au quotidien. Elle qui avoue ne s’être jamais réellement sentie stigmatisée tant elle est entourée par des gens qui partagent ses opinions ressent malgré tout, dans la rue et sur Internet, cette violence de laquelle elle avait jusqu’ici été protégée :

« […] le véritable problème c’est que une fois le débat politique lancé, les passions du peuple se déchaînent, sur la Toile, dans les journaux et même dans la rue. Vous pouvez imaginer mon indignation l’autre jour lorsque me promenant dans les rues de ma ville je suis tombée sur une manifestation anti-homosexuels. J’ai l’impression que parce que le thème de l’homosexualité est de moins en moins tabou et qu’il est en ce moment un thème de société et de politique, cela permet à certaines personnes de se « lâcher » en quelques sortes sur leur vision des choses. »

Ce qui est sans conteste le plus revenu dans les témoignages que j’ai pu recevoir, c’est l’impression pour les jeunes homosexuel-le-s qui m’ont répondue d’être rabaissé-e-s. Pas juste « un peu montré-e-s du doigt » : « sous-merde », « contre-nature », « destitué-e-s de (leur) humanité », « mal-être », « ne plus être une personne » sont des termes qui sont revenus très souvent. En 2012, savoir que de nombreuses personnes se sentent à ce point rabaissées pour la seule raison qu’elles sont attirées par des personnes du même sexe qu’elles, c’est effarant.

Dans un billet qu’elle m’a envoyé, Charlène explique qu’avec toutes ces réflexions lues çà et là, entendues un peu partout, elle a l’impression qu’on lui rappelle constamment « qu’elle n’est plus personne ». Elle écrit :

« Aujourd’hui, et à chaque fois que j’allume la télé, Twitter, Facebook… on me rappelle que je ne suis personne. Et j’en prends plein la gueule. Et c’est épuisant. »

Ce qui est « marrant », si je puis dire, c’est qu’un bon paquet des personnes qui ont répondu à l’appel à témoins ne vivent mal leur homosexualité que depuis peu de temps. Je ne dis pas que c’est une généralité, puisque je me base sur un panel d’une trentaine de personnes, mais ça picote bien, bien fort de lire que des gens hyper épanouis et bien dans leurs pompes se retrouvent soudain à se sentir réellement stigmatisés. Tree Hugger (qui a d’ailleurs écrit ces trois fantastiques papiers sur les clichés sur l’homosexualité) est l’une d’entre elles :

« J’ai toujours bien vécu le fait d’aimer les filles, et ma famille et mes amis l’ont accepté sans aucun problème. Les remarques dans la rue, j’y ai été confrontée quand j’étais en couple, c’était lassant, mais finalement pas si fréquent. Mais le débat actuel m’épuise. Je suis lasse de, tous les jours, être confrontée à des articles suintant l’homophobie, refusant le mariage pour tous et l’adoption sous couvert de « On fait ça pour le bien des enfants et pour la dignité de la société ». Je suis lasse d’avoir l’impression d’être une paria, une « sous-merde » pour reprendre le terme de Rainbowarrior, voire un monstre. »

De son côté, Alex en serait presque résigné :

« Qu’ils gardent leur mariage, tant pis, qu’ils gardent leurs enfants, même si j’ai toujours rêvé de devenir père et qu’à chaque fois que j’ai croisé un môme je me suis senti comme une merde incapable de fonder une famille avec des yeux attendris. C’EST PAS GRAVE, c’est pas grave, ça sera qu’une grosse perte, et c’est pas la première […] mais qu’ils arrêtent de nous comparer avec des incestueux, qu’ils arrêtent de dire qu’on est dangereux. Ils oublient un peu vite le passage tolérance de la Bible, ces cathos intégristes ! […]

Je me sens d’une tristesse incroyable et je rejoins totalement Rainbowarrior : c’est la première fois qu’on est autant salis, insultés et blessés. »

Et même à distance, les attaques contre le mariage pour tous qui se transforment parfois en attaque contre les homosexuel-le-s blessent. Zoé, expatriée à l’étranger, en atteste et s’en sent d’autant plus impuissante :

« Que ce soit ma famille ou mes ami-e-s, j’ai toujours été parfaitement acceptée. Je n’ai jamais eu à faire face à des critiques, à une discrimination quelconque… mais les commentaires que je lis, je les prends comme une claque en pleine figure. J’ignorais que j’étais un être malade, une sous-humaine, une abomination, quelqu’un à enfermer d’urgence… simplement parce que le malheur (ou le bonheur à mon sens!) d’oser aimer les filles ?!

Ça me fait souffrir cette situation. Surtout que je ne peux pas me battre directement sur place… Mais j’ai également honte des ces Français qui nous haïssent tout en osant dire que non, bien sûr que non, il ne sont pas homophobes. »

La morale de cet article ? Il n’y en a pas. C’est juste un constat, que certains estimeront biaisé alors qu’il ne s’agit que d’un angle : tou-te-s les homosexuel-le-s ne vivent pas les choses de la même façon, tou-te-s les homosexuel-le-s ne sont même pas favorables au mariage pour tous et certain-e-s militent même pour que l’institution reste comme elle est. Malgré tout, malgré l’homophobie qui semble faire partie d’une partie de notre société, les homosexuel-le-s ne sont pas des victimes, ne se posent pas en victime. Charlène, elle, explique ce qu’elle veut. En fait, c’est tout simple :

« Alors voilà, je voudrais juste pouvoir un jour, si l’envie me prend, me marier, protéger mes enfants même si ce n’est pas mon sang qui coule dans leurs veines et les élever avec le même amour et le même respect que mes parents l’ont fait avec moi. Je voudrais juste pouvoir marcher dans la rue en tenant la main de la personne que j’aime sans entendre les gens m’insulter. Sans avoir peur. Sans devoir RÉFLÉCHIR avant de faire quelque chose qui pour la plupart d’entre vous est naturel et ô combien banal.

S’il vous plait. Laissez-moi être un citoyen. Laissez-moi être un être humain. »

Non parce qu’en fait, c’est pas compliqué, d’être homo. Ça ne devrait jamais être plus compliqué que d’être hétéro. C’est juste que ça le devient quand on vit dans une société dont une grosse partie refuse d’évoluer en offrant à tous le droit de faire les mêmes choix que ceux qui ont déjà accès à toutes les possibilités.

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Les Commentaires

63
Avatar de Coffeencig
28 novembre 2012 à 21h11
Coffeencig
Merci pour cet article, un article qui explique la situation, au milieu de multiples articles coup de gueule d'un bord ou d'un autre.
Et ce faux débat sur l'homosexualité, est lui même biaisé, les "opposants" se basent sur des croyances surannées, des peurs, ils jouent sur la peur. Rappelons que ce qui fait et a toujours fait le beurre de l'Eglise c'est la peur.
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