Cet article a été écrit dans le cadre d’un partenariat avec les Éditions Hugo & Cie. Conformément à notre Manifeste, on y raconte ce qu’on veut.
*Certains prénoms ont été modifiés.
Dans le roman Comme un livre ouvert, la lycéenne Ashleigh se rend compte qu’elle est plus chamboulée par sa prof de littérature que par son petit ami. Liz Kessler aborde ainsi la découverte de l’homosexualité et l’apprentissage de l’amour. L’adolescence, c’est l’âge où on change, où on se découvre… et où le regard des autres n’est pas toujours le plus tendre. D’abord perdue dans ses sentiments, l’héroïne lutte ensuite pour se définir et s’affirmer, accablée par son dilemme entre être acceptée en taisant son orientation sexuelle mal vue par certain•e•s, et entrer en conflit en affirmant son identité.
« Vais-je passer le reste de ma vie à agir en douce, à faire mine d’être quelqu’un que je ne suis pas ? Ou vais-je compter parmi celles qui s’affirment et disent qui elles sont, et se la jouent au culot, en un sens ? Je me sens claustrophobe, piégée par la prise de conscience soudaine des choix limités qui s’offrent à moi.
C’est bien beau d’envoyer chier le monde entier, mais qu’est-ce qui se passe quand le monde se retourne contre vous ? »
À l’occasion de la sortie du roman le 4 février dernier, aux Éditions Hugo New Way, nous avons souhaité parler de l’homosexualité à l’adolescence, et plus largement du fait de ne pas être dans la « norme » généralement imposée de l’hétérosexualité. Des lectrices et des lecteurs nous ont raconté comment ils en sont venus à se définir comme non hétérosexuel•le•s, et les problématiques auxquelles ils et elles ont été confronté•e•s.
Adolescence et définition sexuelle
C’est à l’adolescence que les madmoiZelles et madmoiZeaux qui ont témoigné se sont rendu•e•s compte qu’ils et elles n’étaient pas hétérosexuel•le•s, ce qui a entraîné le sentiment d’être différent•e — un statut souvent particulièrement difficile à assumer à cet âge. Nyao a mis un peu de temps à se comprendre, mais son orientation sexuelle s’est ensuite imposée très clairement :
« En seconde, je n’étais pas attirée par l’idée d’avoir une relation avec un garçon, même si je disais avec mes copines qu’untel ou untel était beau. J’étais agacée lorsqu’un garçon agissait de manière romantique avec moi. À l’époque je pensais simplement ne pas être prête à avoir une relation, et que je préférais être célibataire.
Et puis j’ai commencé à m’intéresser plus ou moins inconsciemment aux filles. J’ai d’abord ressenti plus une sorte d’admiration qu’un désir. Puis quand je suis rentrée en première, j’ai eu le béguin (avec les papillons et tout) pour une fille dans ma classe.
Ça a été l’élément déclencheur du doute sur ma sexualité. J’ai mis du temps à comprendre et à accepter ce qu’il se passait avec cette fille, mais quoi qu’il en soit, je savais que personne d’autre ne m’avait jamais fait ressentir ça. Puis durant toute l’année de première, il m’est arrivé plein de péripéties de ce genre. J’ai commencé à être intéressée par ma prof de SES (une très belle femme !), je fantasmais sur des célébrités féminines, j’ai eu le béguin pour d’autres filles dans mon lycée…
Au bout d’un long moment, après avoir malgré tout beaucoup souffert de stress et de confusion, j’ai fini par me dire que c’était comme ça : j’aimais les filles. »
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C’est également une fille en particulier qui a révélé sa bisexualité à Léa :
« Avant mon année de troisième, je ne me suis jamais posé de questions sur ma sexualité. Je n’étais jamais sortie avec qui que ce soit, mais j’étais attirée par les garçons et je tombais régulièrement amoureuse des « beaux gosses » de mon bahut (un peu trop facilement, même). Je ne m’étais jamais demandé si les filles pouvaient me plaire : l’idée ne me traversait pas du tout l’esprit.
Puis à force de divaguer sur la Toile, j’ai rencontré plusieurs personnes très différentes les unes des autres. Certaines venaient d’autres pays, avaient d’autres cultures, d’autres sexualités… J’ai appris grâce à ces découvertes ce qu’était, entre autres, l’homosexualité. C’était aussi la période du passage au mariage pour tous, donc le sujet s’abordait beaucoup plus facilement dans ma famille ou avec mes ami•e•s, et j’ai pu entendre les premiers préjugés.
Je savais globalement que mon père était assez fermé d’esprit là-dessus (et pas que, ceci dit…) et que les autres membres de ma famille ne se prononçaient pas mais n’en pensaient certainement pas moins.
Ça m’a un peu fâchée, j’ai pas compris toute cette haine qu’on voyait partout et j’ai décidé de me bouger les fesses pour lutter pour l’égalité. J’ai participé à plusieurs manifestations, rejoint plusieurs associations, écouté plusieurs témoignages… Sans jamais me questionner sur ma propre sexualité. Je ne me disais pas hétéro pour autant ; je ne me définissais juste pas, et j’en voyais pas vraiment l’intérêt.
Et un jour, j’ai envoyé un banal message à une amie que je connais d’Internet, pour prendre de ses nouvelles. Je lui ai demandé si elle allait bien, si ses études se passaient bien, si ça marchait avec sa copine… Elle m’a répondu que sentimentalement, ça n’allait pas vraiment et qu’elle était en train de se séparer de sa chérie. Tout de suite je me suis sentie très joyeuse, surexcitée ; j’ai immédiatement pensé que j’avais peut-être une chance avec elle.
Toujours sans me poser la moindre question (aussi étonnant que cela puisse paraître), j’ai tenté une approche, petit à petit, et on est sorties ensemble. C’est seulement à ce moment-là que je me suis dit « Hé mais… J’aime une fille ! ». C’était même pas un questionnement, juste une… surprise, disons. Puis voilà, j’ai continué ma vie avec elle. »
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Marie a eu un cheminement similaire, et elle pense qu’elle a pris conscience de son homosexualité un peu tard à cause de l’hétérocentrisme de la société.
« J’ai dû mal à m’en souvenir, mais je pense que j’ai réalisé que j’étais lesbienne vers 14/15 ans. Il me semble cependant que j’avais déjà été attirée par des femmes avant. Peut-être que grandir dans une société hétéronormée m’a empêchée de voir l’évidence plus tôt en ne m’apprenant pas que c’était possible? Car je n’avais absolument jamais regardé les garçons, même pas l’ombre d’un petit amoureux en primaire ni rien.
Peut-être que si la question, qui me semble être la préférée des adultes quand ils parlent aux enfants, « Alors, t’as un amoureux dans ta classe? » avait été complétée par « ou une amoureuse », tout aurait été différent. Comment savoir alors que c’était une possibilité ? […]
Ce que j’ai trouvé difficile en découvrant mon homosexualité au collège, c’est que c’est une période où je ne choisissais pas encore vraiment les médias et les œuvres culturelles qui m’influençaient, et forcément dans une société hétérocentrée… j’avais pas trop de modèles. Aujourd’hui je fais ma vie et c’est facile d’aller voir Carol au cinéma, d’acheter le projet 17 mai et de regarder The L Word en streaming puisque j’ai mes sous, mon ordi, mon appart ! Mais au collège c’est beaucoup plus difficile d’avoir accès à tous ces modèles, et ça n’aide pas à avoir confiance en soi.
En n’étant pas représenté•e, on se sent hors-norme ! »
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C’est également ce que souligne Salomé :
« Le pire avec la découverte de l’homosexualité à l’adolescence est qu’il s’agit d’un fardeau bien lourd à porter dans la pire période de ta vie émotionnellement parlant. Tout est tellement exacerbé, surtout la volonté absolue de s’intégrer, d’être acceptée, et aimée.
J’ai globalement passé mes années collège à être la bonne copine sans histoire, qui faisait comme ses potes en parlant des beaux gosses de notre entourage, en voulant à tout prix un copain. Mais sans avoir l’impression de mentir, parce que j’y croyais vraiment. Il y avait d’un côté ces amitiés et sentiments forts pour certaines filles, et ce fantasme de ce que pouvait être l’amour et l’envie d’avoir un copain de l’autre côté. Mais je sentais bien qu’il y avait quelque chose de particulier et de secret que je ne disais pas aux autres, quelque chose de latent qui a pris forme au fur et à mesure.
Et peu à peu, en faisant face à ces sentiments qui revenaient toujours, j’ai commencé à entrevoir ce que cela pouvait être, et je me disais une chose : non.
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Je me rappelle m’être dit que si je l’étais, « ça », et ben je ne le dirais jamais et je vivrais comme tout le monde, en taisant le « ça ». Parce que cette éventualité m’a vraiment désespérée. Je me disais que j’avais vraiment la poisse que « ça » tombe sur moi.
J’ai aussi mis du temps à m’en rendre compte et à l’accepter parce que, globalement, le thème était soit absent de mon environnement, soit pas toujours vu de manière positive. Disons que tout le long de ma période collège et un peu après, c’était quelque chose de lointain, et que je n’avais aucun moyen de voir que ça existait, que je n’étais pas toute seule à me débattre avec ce genre de pensées, que tout irait bien.
J’étais surtout terrifiée, si je le disais, de n’être perçue que comme ça, comme ce personnage, ce truc différent, juste un stéréotype. Qui n’a jamais dit « Mon pote gay, ma pote lesbienne ? ». J’avais l’impression que je ne serais que ça, que j’aurais pour toujours cette espèce de halo qui ferait que les gens me verraient différemment des autres. D’abord quelqu’un d’anormal, ensuite une personne.
Et tout cela participait aussi du fait que j’étais globalement mal dans ma peau, pas à l’aise avec moi-même. Les problèmes d’image de soi à l’adolescence peuvent être très prégnants, alors quand on se trouve déjà moche et empotée, et qu’on se dit en plus qu’on va dégoûter les gens, il faut redoubler d’efforts pour essayer de tendre vers la sérénité et la paix avec soi-même. Et c’est un long processus : j’ai 23 ans et je me bats encore. »
De la difficulté de s’accepter et s’affirmer
La plupart des madmoiZelles et madmoiZeaux qui ont témoigné ont fait état de la difficulté d’accepter leur orientation sexuelle dans un contexte ne la représentant généralement pas, et d’assumer cette identité auprès des autres. Rebecca a ainsi caché sa relation avec sa première copine :
« Je suis arrivée au lycée et j’ai fait des recherches sur Internet. Je n’osais pas parler à mes parents ni à mes ami•e•s, et l’éducation sexuelle à l’école était si pauvre que je me retrouvais à devoir moi-même fouiller sur le Web pour savoir « ce que j’étais ». Je me suis cachée, jusqu’en première où je suis sortie avec ma première copine. C’était une relation cachée : je menais une double vie, me servant de garçons pour tisser mes mensonges.
Je m’étais même arrangée pour que ma soeur me surprenne avec l’un d’eux à la maison, car je savais qu’elle irait tout raconter à nos parents. Mais en première, j’ai craqué et j’ai décidé d’assumer, du moins à l’école. »
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Ludivine a également dû combattre ses propres conceptions pour s’accepter :
« Rien n’a été facile. J’ai été élevé dans une famille catholique non-pratiquante avec des parents sympathisants du FN ; lorsque que je me suis aperçue que je n’étais pas ce qu’ils avaient voulu faire de moi, le combat n’a pas été de combattre leurs idées mais de me combattre moi-même, me convaincre que ce modèle n’était pas universel et rigide, pour me libérer de toutes ces idées pré-requises qui m’avaient été inculquées durant mon enfance, de toutes ces cases dans lesquelles j’avais dû rentrer et m’identifier.
Ça n’est pas difficile d’aimer les filles, je crois au contraire que c’est la plus belle chose qui me soit arrivée ; ce qui est difficile à accepter, c’est de briser les rêves qu’on avait établis sur le modèle commun d’un beau mari, de beaux enfants, une belle maison et un chien. »
De la même façon, pour Camille :
« Être lesbienne, ce n’est pas une évidence. Je ne sais pas si je suis née lesbienne, ou bien si je le suis devenue. Mais dans tous les cas, le comprendre et l’accepter est tout un processus. »
Et cette identification est importante pour de nombreuses madmoiZelles. Léa a eu besoin de mettre une identité nommée sur son orientation sexuelle :
« Il y a près d’un an, mon ex-copine et moi nous nous sommes quittées, et c’est étrangement à ce moment là que je me suis questionnée. Tout ce qui me passait au-dessus de la tête avant faisait surface (peut-être parce que l’amour que je lui portais était très fort, assez pour oublier le reste). Je pense que j’étais assez bien entourée, que j’avais assez d’expérience et que j’étais assez ouverte pour ne pas me torturer l’esprit. Je me suis simplement demandée dans quelle « case » je me rangeais. Après tout, c’est rassurant de se mettre dans une case… C’est finalement la seule utilité que ça a.
Aujourd’hui, je peux dire que je suis bisexuelle. C’est en tout cas le terme qui semble me correspondre le mieux. J’apporte une importance particulière au genre de la personne, je n’aime pas de la même manière un homme ou une femme, je n’ai pas sexuellement les mêmes envies, mais ces deux genres me plaisent. Différemment, certes, mais ils me plaisent quand même. »
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Salomé a commencé à mieux vivre son homosexualité au lycée, quand enfin elle ne s’est plus sentie seule face au poids de la société hétéronormée :
« Arrivée au lycée, il fallait se refaire des ami•E•s, s’intégrer, essayer d’être comme tout le monde. Mais j’ai commencé à apprivoiser cette dimension, qui a commencé à faire plus partie de mon environnement. Une de mes meilleures amies a eu des histoires avec des filles, et dans ma classe de seconde il y avait cette fille qui affirmait très fort son homosexualité. En plus j’ai commencé à nourrir cette nouvelle identité grâce aux films, séries et sites communautaires.
Je découvrais tout un monde qui me plaisait, qui venait combler un besoin de reconnaissance, un besoin de se sentir entourée, de savoir qu’on n’est pas seule. Si tout allait mal, je pouvais me réfugier là-dedans et ça allait un peu mieux.
J’avais l’impression de rencontrer ma famille, le monde auquel j’appartenais. La pop-culture LGBT a littéralement changé ma vie. J’ai compris mon décalage avec la société classique, fortement hétéronormée et croulant sous les cases et les stéréotypes, et pourquoi je ne m’y sentais pas à ma place. J’ai compris qu’il y avait d’autres gens comme moi, et que des choses existaient pour nous. »
Car à l’adolescence Salomé a aussi pris conscience des problématiques de l’homosexualité dans une société où elle n’est pas encore toujours bien acceptée.
« Être gay à l’adolescence, c’est évidemment faire face à l’homophobie ordinaire, au secret, à la sensation éternelle d’être un peu à part, de ne pas être partie intégrante de tous les gens normaux. C’est la présomption d’hétérosexualité, l’éternel coming-out. C’est une perspective peut-être plus difficile, pour rencontrer son âme sœur déjà, vivre une vie de couple normale, avoir des enfants plus tard etc. Car être gay ce sera de facto galérer un peu plus pour les trucs déjà relous de la vie. »
Assumer sa non hétérosexualité dans ce contexte n’est donc franchement pas évident. Marilou a reçu l’aide d’une amie dans ce processus :
« J’ai en quelque sorte été un peu apaisée lorsque ma meilleure amie a eu le courage de me dire : « Écoute ma chérie, je t’adore mais maintenant il est temps que tu assumes le fait d’être homo et que ce n’est pas grave ! Ça change rien, je serai toujours là ». Quel soulagement énorme : j’ai enfin pu assumer ce que j’étais devant quelqu’un. Ça a tout changé. J’ai alors appris à nager dans le sens contraire des vagues et à me sentir bien dans mes baskets.
Après ça a été une autre période, celle des coming-outs familiaux et scolaires. Vivre cela lors de l’adolescence n’est vraiment pas simple. J’ai eu de grands passages de dépression : je ne sortais pas, je restais dans ma chambre à noircir des pages et des pages de textes, de réflexions ou de poèmes… »
Le regard des autres entre homophobie, biphobie… et acceptation
Car confronter sa non-hétérosexualité aux autres s’est avéré extrêmement difficile et douloureux pour beaucoup des personnes qui ont témoigné. Nombreux sont les clichés insultants, les idées reçues et les jugements inappropriés.
Quand elle a appris sa relation avec une fille, la mère de Manon lui a par exemple dit que ce n’était qu’une « erreur de jeunesse », probablement un « effet de mode » qui passerait avec le temps. Et la jeune femme raconte qu’elle a souvent entendu des remarques problématiques sur l’homosexualité,
« la plus fréquente étant que la nature ne permettant pas d’avoir des enfants à deux personnes du même sexe, ce n’était pas naturel et que surtout nous ne pouvions aucunement prétendre à en avoir. Ou encore que les homosexuels sont dangereux, vecteurs de maladies, pervers, paumés… On entend un peu tout et n’importe quoi. J’ai aussi souvent été confrontée à des hommes qui voulaient absolument me faire « changer de bord ». Comme si l’homosexualité était un caprice et qu’on pouvait faire autrement. »
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Angèle remarque de plus :
« En grandissant, ce qui me fait peur surtout, c’est d’avoir intégré autant d’homophobie envers moi-même alors que je n’avais même pas un entourage hostile. C’est dire si c’est insidieusement ancré dans notre société. »
Un ancrage qu’elle a constaté chez de nombreuses autres personnes.
« J’ai pleuré plusieurs fois dans un coin en entendant des « Mais c’est la mode en ce moment d’être lesbienne » et des « J’ai appris que Machine était lesbienne — quand je pense que j’ai dormi avec elle »…
Par la suite, je suis tombée amoureuse d’un garçon. J’ai nié : je ne voulais pas être celle pour qui « c’est juste une phase », celle qui « est revenue dans le droit chemin », je ne voulais pas qu’on puisse raconter mon histoire et la récupérer dans les Manifs pour Tous. Et puis bon, ça s’est fait quand même, et j’ai serré les dents devant les blagues des copains comme « Haha t’as réussi à converti une lesbienne, bravo ». »
Et elle a également été confrontée à une grave homophobie de la part de médecins :
« J’ai fait une dépression. Ma psy m’a fait passer le test de Rorschach et la première chose qu’elle en a sortie était : « Tu n’as pas une réflexion d’homosexuelle ». Bon.
J’ai ensuite fait une tentative de suicide. Quand je lui ai raconté mon histoire, la première chose que la psychiatre de l’hôpital a dit était : « Pourquoi tu es lesbienne, tu as peur de la pénétration ? ». Maintenant que je suis dans le milieu médical, je n’en reviens pas qu’on ait pu me sortir des choses pareilles à ce moment-là. »
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L’homophobie est malheureusement présente à de nombreux niveaux ; les madmoiZelles et madmoiZeaux qui ont témoigné n’ont ainsi pas souvent été soutenu•e•s par les figures de protections comme les médecins ou les professeurs responsables d’eux. Quand son homosexualité a été dévoilée, Yume a par exemple été victime de harcèlement scolaire pendant des mois.
« Seul•e•s mes ami•e•s proches étaient au courant de ma relation avec S. Un jour sa meilleure amie a découvert les mails amoureux qu’on s’échangeait, mortifiée. S. a paniquée, n’a pas osé assumer notre relation, et a dit à sa meilleure amie que c’était moi qui la harcelait et qu’elle n’arrivait pas à se débarrasser de moi, cette « gouine ». S. m’a avoué tout ça le lendemain et m’a quittée ; j’ai compris que j’allais devoir me débrouiller toute seule.
Sa meilleure amie a fait passer le mot à tout le collège, ce qui a entraîné de longs mois d’insultes de la part de mes camarades et le silence de mes ami•e•s qui ne me soutenaient qu’en privé. Cela a également donné un joli discours de l’infirmière lors de l’heure d’éducation sexuelle (je n’ai eu que deux heures dans tout mon parcours scolaire) : « Les homosexuels ne sont pas mauvais, c’est juste un dysfonctionnement de leur cerveau qui fait qu’ils sont attirés par les mauvaises personnes ; c’est pas leur faute, c’est un peu comme des trisomiques ». C’était en 2007, il n’y a pas si longtemps.
Aucun des professeurs n’a réagi à mon harcèlement, qui se déroulait pourtant sous leur nez, comme souvent dans ces cas-là.
Tout ça a fini par cesser grâce à S., qui a demandé à un lycéen influent de calmer ceux qui me faisaient du mal. Tout ça est arrivé par sa faute, mais je ne peux pas lui en vouloir : elle a sauvé sa peau dans l’univers hostile qu’est le collège.
C’est à cette période qu’ont commencé ma dépression et mon automutilation. »
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Ces faits ne sont pas isolés, tant la non-hétérosexualité à l’adolescence peut être synonyme de discrimination, voire d’agression. Marine a par exemple perdu plusieurs amies quand elle leur a parlé de son homosexualité, et Lyu s’est vue rejetée et insultée, un traitement qui a eu ses effets sur son parcours scolaire et familial. Surtout, en quatrième elle a été agressée par trois garçons au motif qu’elle avait « trop regardé » leurs copines.
Les violences verbales et physiques semblent presque légion. Alice se souvient qu’après son coming-out au lycée, sa meilleur amie l’a délaissée : son copain lui avait dit que « si elle me tournait le dos dans la rue, j’allais la violer ». Il y avait les regards désapprobateurs des autres élèves, les « Broute-minous ! » et autres « Sales lesbiennes ! »… Célia a quant à elle été marquée par la phrase d’un gars de sa classe : « Aucun mec voulait d’elle, alors elle s’est tourné vers les filles ». Heureusement, en-dehors de cette remarque, elle souligne que les choses se sont améliorées à partir du lycée.
Malgré les insultes qu’elle a reçues, Alice a elle aussi tenu à souligner que son coming-out ne l’avait pas isolée :
« Je me suis fait de nouveaux et nouvelles ami•e•s, qui étaient assez ouvert•e•s pour m’accepter comme j’étais, sans préjugés. Et d’autres qui n’étaient pas forcément hétéros, mais bi, homo, parfois trans… »
Les personnes qui ont témoigné ont ainsi souvent raconté avoir pu compter sur des ami•e•s de qualité, parfois rencontrés sur des forums. Un soutien notamment au moment d’annoncer sa non hétérosexualité à sa famille.
L’orientation sexuelle et le cercle familial
L’annonce de son homosexualité à ses parents n’a pas été sans conséquences pour Lisa :
« Mon coming-out est récent, c’était l’année dernière, en octobre. Ça s’est bien passé et en même temps assez mal. Je l’ai annoncé à mes deux parents un soir, de but en blanc. Mon père a réagi le premier. Il m’a dit que c’était très courageux de ma part de leur dire, mais qu’il fallait que je reste cachée parce que les gens dehors seraient méchants avec moi. Pour ma mère, c’était une autre histoire.
Elle ne m’a pas parlé pendant trois jours. Ces trois jours ont été horribles, alors je n’ose même pas savoir ce que ressentent les personnes à qui leurs parents ne parlent plus. Maintenant tout le monde me parle comme si rien ne s’était passé, mais je vois bien dans leurs attitudes qu’il y a quelque chose de différent. Par exemple, avant ma mère avait l’habitude de laisser la porte de la salle de bain ouverte lorsqu’elle se douchait. Cette porte est désormais toujours fermée. »
Une situation que d’autres personnes qui ont témoigné ont connue. La mère de Cindy a tellement mal réagi qu’elle a finalement dû partir de chez elle :
« J’ai eu ma première copine à 17 ans, et il était hors de question que je me cache. J’avais déjà de très mauvais rapports avec mes parents, donc il n’y avait pas de gros enjeux pour moi : l’annonce de mon homosexualité, ça passerait ou ça casserait.
Cela a été avec mon père, mais ma mère… Elle n’a rien dit de spécial quand je le lui ai annoncé, mais trois mois plus tard j’ai dû faire mes valises. Je passais mes semaines en internat, et mes week-ends chez ma copine comme je ne pouvais plus retourner chez ma mère à cause de ses injures, crises et humiliations. C’était devenu insupportable.
Avec l’aide de l’assistance sociale du lycée j’ai pu trouver une chambre universitaire dès le mois de juillet. J’ai pris un petit boulot et j’ai réussi à me débrouiller quasiment seule. »
La non-hétérosexualité des madmoiZelles et madmoiZeaux qui ont témoigné a ainsi été pour beaucoup un facteur d’éloignement de leur famille, à cause de la nécessité pour certain•e•s de cacher leur orientation sexuelle et donc prendre un peu de distance, puis pour d’autres suite à la discrimination ou au rejet du cercle familial.
Alexandra, au courant des opinions de sa famille, ne leur a ainsi pas dit qu’elle était homosexuelle.
« Je ne me sens pas encore prête à l’annoncer à ma famille. Je pensais mes parents très ouverts et tolérants, mais lors du débat pour le mariage pour tous je me suis rendu compte qu’en fait, pas tellement. Un jour à table, mon père a même dit qu’il aimerait bien savoir « quel traumatisme durant l’enfance est arrivé à quelqu’un pour qu’il ou elle devienne homosexuel•le ». Ou bien « comment on devenait homosexuel parce que quand même, c’est pas normal, c’est dégoûtant ». »
« Depuis que je me suis acceptée en tant qu’homosexuelle, mes relations familiales ont beaucoup changé. J’ai pris énormément de recul par rapport aux paroles de ma famille et j’ai appris à affirmer mes idées et convictions de plus en plus. Malheureusement, je peux aussi dire que j’aime moins passer du temps avec mon père. J’ai toujours peur qu’il dise quelque chose de blessant sans même s’en rendre compte. »
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Heureusement beaucoup de familles acceptent l’orientation sexuelle de leur enfant, même s’il leur faut parfois un temps d’adaptation, comme ce fut le cas pour la mère de Mlle C. :
« C’est au tout début de l’année 2013, à un repas de famille, que j’ai enfin sauté le pas, ce fameux pas qui m’angoissait depuis des années. J’avais mis plusieurs de mes amis au courant la veille, histoire que je ne me défile pas. J’avais aussi prévu un plan B au cas où la réaction de mes parents serait violente au point qu’ils me mettent à la porte – une amie avait accepté de m’héberger chez elle…
Ma mère a pleuré, ma sœur m’a sorti un surprenant « Je le savais ! » et mon père n’a dit que quelques mots, qui m’ont marquée. « C’est bien que tu nous en aies parlé. »
C’est clairement ma mère qui a eu le plus de mal. On a eu du mal à reconnecter après que je lui ai dit que je n’étais pas attirée par les hommes. Du mal à parler comme avant, je la sentais distante et moi qui suis tellement proche d’elle, j’en ai beaucoup souffert, même si je ne lui ai jamais dit.
Quand je me suis mise en couple avec ma première copine, en juillet 2013, elle ne l’a su qu’en décembre, parce que je voulais attendre que ça fasse six mois. Elle a pleuré à nouveau… Ça a été compliqué pour moi de la voir souffrir autant alors que mon ex me rendait heureuse.
Je crois que c’est environ un mois plus tard, alors que ma relation s’essoufflait, qu’elle m’a appelée un jour pour me dire des choses comme « si les manifestations en faveur du mariage pour tous avaient encore été d’actualité, j’y serais allée sans hésiter », et « si jamais vous voulez des enfants toutes les deux, on fera tout ce qu’on pourra pour vous aider et vous soutenir ». Je ne me souviens pas avoir autant pleuré dans ma vie que quand elle m’a dit ces mots-là. Le nœud dans ma poitrine s’est délié et je me suis sentie acceptée, non plus tolérée.
Aujourd’hui on en parle souvent, sans larmes. Mes parents ont mis la totalité de ma famille au courant, à l’exception de ma grand-mère, et tout le monde l’a vraiment bien pris, très naturellement. »
Cette annonce a même en quelque sorte rapproché Mlle C. et sa mère.
« Avant mon coming-out, ma mère et moi avions tendance à nous disputer régulièrement à ce sujet, et avec à chaque fois un pincement au cœur très douloureux pour moi. Elle a dit des choses que je n’ai pas oubliées à chaque fois que le sujet était abordé, en général au journal télévisé. Je l’écoutais parler et j’avais presque honte qu’elle puisse dire ce genre de choses, mais comme elle le dit maintenant elle-même, « tu m’as forcée à grandir, à évoluer, en nous parlant de ton homosexualité. »
Je suis fière d’elle aujourd’hui, plus que je ne saurais l’exprimer. Elle a fait un énorme bout de chemin, toute seule et je l’aime encore plus pour sa capacité à se remettre en question et son amour inconditionnel pour moi. »
Et dans des familles comme celle de M, tout se passe très naturellement :
« Je me souviens précisément de mes mains moites, de mon tremblement, de mon incapacité à trouver mes mots. Alors que j’ai été élevée dans la tolérance la plus totale ! La devise de ma mère c’est « Tant que tu es heureux•se, on se fout du reste ! »
Pourtant j’ai vraiment eu l’impression que c’était insurmontable. Je me souviens que je fumais une cigarette, et que ma maman était en train de cuisiner un poulet rôti quand je lui ai dit d’une traite, sans même reprendre ma respiration : « Maman je sors avec une fille je suis peut-être lesbienne donc… Voilà.»
Ma mère m’a répondu : « Oh, ok. Je la connais ? ». J’ai dit oui, mais que cette fille voulait rester anonyme. Elle m’a répondu que c’était très bien, m’a dit de faire attention à moi, de le dire au reste de la famille si l’envie m’en prenait, et… C’est tout. Mes petites soeurs l’ont appris en tombant sur moi en train d’embrasser ma petite amie, et elles n’ont même pas réagi. Mon petit frère était ravi pour nous (étant très proche de ma petite amie), et mon beau-père n’a pas eu plus de réaction que ça. En papa aimant, il m’a simplement avertie de faire attention dans la rue, au cas où, et de rester assidue en cours, rien de plus. Comme une relation « normale », ce que c’était. Tout s’est passé comme sur des roulettes. »
Ne plus subir les étiquettes
Pour beaucoup, la sortie de l’adolescence a permis de mieux vivre leur non hétérosexualité. Antoinette rapporte ainsi :
« J’ai commencé à changer la perception que j’avais de moi même vers 18-19 ans. Le changement d’environnement avec la fac, et j’avoue, le discours d’Ellen Page m’ont permis de m’assumer. Je me suis rendu compte que ma sexualité n’était qu’une facette de ma personnalité, mais que le mensonge qui l’entourait m’affectait toute entière.
Je me suis détachée du jugement des autres, puisqu’il y aura toujours quelqu’un pour désapprouver. L’essentiel c’est de se sentir bien avec ce qu’on est, et de s’entourer de personnes qui savent apprécier ça. Il m’a fallu des années pour commencer à apprivoiser ce drôle de mot, « homosexualité », alors j’essaie d’être patiente avec mes proches, de ne pas prendre leur ignorance comme une attaque personnelle. C’est pas gagné, mais je suis sûre que c’est avec la discussion que j’arriverai à modifier un peu leur regard. »
Manon est également contente que cette période soit terminée :
« La sortie de l’adolescence m’a permis de confirmer mon homosexualité, auprès de tout le monde. De montrer que ce n’était pas simplement un jeu ou une « erreur de jeunesse », mais que c’était bien moi et que désormais je savais qui j’étais et ce que je voulais. Je suis bien plus confiante aujourd’hui et prête à assumer mon amour pour les femmes jusqu’au bout, parce que j’estime que je n’ai pas à mentir ou à jouer un rôle pour faire plaisir aux autres. »
C’est ce que beaucoup des personnes qui ont témoigné ont exprimé : le soulagement de la fin de l’adolescence, et la sensation d’être enfin relativement libre de s’affirmer homosexuel•le, bisexuel•le, pansexuel•le… ou de ne pas se définir. En ce qui concerne Salomé,
« Je sens en faisant cette rétrospective sur moi-même que j’ai vraiment beaucoup évolué et que c’est comme ça, j’aime vraiment les filles et on n’y changera rien. Si on me proposait une pilule miracle pour me rendre hétéro, je ne la prendrais pas. Car si mon homosexualité ne me définit pas entièrement, elle fait quand même partie de ma personnalité et a sûrement beaucoup influencé mon caractère. Sans elle je ne serais pas moi, donc en fait, la question ne se pose pas.
Maintenant je l’aime, j’aime ce mot, il m’est familier, il conforte mon identité. Même si ce serait cool qu’un jour il n’y ait plus forcément de mots pour ça, et qu’on soit avant tout tous des individus qui aiment d’autres personnes. »
C’est bien aussi l’avis d’Alice :
« J’ai toujours considéré la sexualité comme une chose évolutive et je ne me suis jamais rangée dans la case lesbienne. Aujourd’hui à 22 ans, je ne me considère toujours pas comme lesbienne, mais j’aime les filles et… j’ai rencontré un garçon pour qui j’ai beaucoup d’affection. J’ai rompu avec une fille après plus de deux ans de vie de couple dont un an de vie dans un appartement toutes les deux, et ce petit bonhomme est venu recoller mon coeur à grand coup de romantisme. J’ai fondu, je crois.
Cependant, même si mes parents pensent que je suis repassée du « bon côté de la Force », je sais que j’aime toujours les filles… Je pense à l’heure actuelle être plus proche de la pansexualité. Mon copain accepte cela, et nous vivons une relation libre où je peux continuer d’aimer les femmes, car j’ai autant besoin de lui que d’une femme dans ma vie… et j’ai peur de ne jamais réussir à me « poser » avec un seul des deux genres. Je verrai bien ce que me réserve l’avenir. »
En conclusion, Angèle conseille :
« À toutes les ados paumées : c’est pas grave de pas savoir, on s’en sort quand même, allez juste là où vous vous sentez bien. À toutes celles qui savent et qui en bavent pour ça : tenez bon, protégez-vous. It gets better, comme ils disent. »
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Jade complète :
« Si des ados en questionnement me lisent, j’aimerais leur dire de s’entourer des bonnes personnes, et de ne pas rester avec celles qui les poussent à rejeter qui ils sont. Et que de plus, vous n’avez pas forcément besoin de vous définir ! Parfois il est plus agréable de poser des mots, mais certaines personnes vont poser trop de questions qui peuvent mettre mal à l’aise. Vous avez le droit de ne pas répondre. Tant que vous êtes heureux•se, il n’y a que ça qui compte ! »
Pour aller plus loin :
– Un grand merci à tou•te•s les madmoiZelles et madmoiZeaux qui ont envoyé leur témoignage !
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