— Publié le 15 mai 2014
Il a raison, je suis malade.
Depuis un certain temps je ne m’en étais plus tellement rendu compte.
Je suis parti de chez ma maman, je vis seul, comme je l’entends, dans mon petit studio perché au dernier étage d’un grand immeuble. Je reçois mes amis et mes amants chez moi, dans ce cocon protecteur et douillet où finalement il fait bon vivre. Je travaillais souvent seul depuis mon « home sweet home » et n’avais donc que peu de contact avec les gens extérieurs.
Depuis quelques semaines, j’ai retrouvé un travail « normal » comme on dit. Celui où tu prends le métro à l’heure de pointe et où tu badges en arrivant au boulot avant de t’engouffrer dans une mare de paperasse. Et, chose qui n’était pas arrivée depuis longtemps, j’ai des collègues. Des personnes sympas qui te demandent si tu as passé un bon week-end, qui vont « comme un lundi » et qui trouvent dommage que la météo ne soit pas meilleure pour la fin de semaine. Ce genre de conversation qui donne l’illusion de faire passer le temps plus vite quand on a rien de mieux à dire.
Oui mais voilà, le week-end dernier un événement de dingue s’est produit : l’Eurovision 2014 remportée par Conchita Wurst. En voilà un bon sujet de discussion à 9h du matin.
Jean, qui est un mec cool, a ramené les croissants pour tout le monde. Il les distribue, tout content et comme je suis le plus jeune et le « p’tit nouveau », il m’en donne même deux (grand prince !).
Seulement, mon Jean, il a du mal avec cette « tata » qui a remporté le concours, parce qu’« on voit déjà que des pédés dans les médias ». Heureusement la petite Sandrine qui n’aime pas trop les grossièretés le remet à sa place avant d’avouer « qu’il était
(tout de même) rigolo, enfin rigolote… hihihi », et qu’elle s’est bien marrée intérieurement devant son poste de télévision (bien qu’elle fût gênée que ses enfants « voient ça »).
Je ne dis rien et dévore mes croissants. Pauvre Jean : comment réagirait-il s’il apprenait qu’il vient de dépenser 2€ pour un petit pédé, sans compter les cafés de la semaine passée ?
À ma pause déjeuner, je lis dans le journal un article qui parle d’une agression envers un couple homosexuel. L’un des deux hommes est défiguré et a été récupéré par les secours dans une mare de sang, pour avoir osé enlacer son amoureux en public. Je laisse le journal sur une table, à cette page. Je ne sais pas trop ce que j’avais en tête à ce moment-là. Peut-être que dans ma trop grande foi en l’humain, je voulais montrer à ces braves gens l’horreur qu’est l’homophobie.
Jean s’en empare, et ne tarde pas à réagir.
« Et voilà, les tatas se tripotent dans la rue et s’étonnent ensuite ! (…) Ils sont malades ! »
Il a changé de regard le Jeannot, il a presque l’air en colère. Apparemment, « ça [le] tue ».
L’entendre parler comme ça m’a rappelé un souvenir que j’avais presque réussi à oublier. Il y a quatre ans, après un baiser furtif avec mon copain de l’époque, je me suis fait cracher dessus en montant dans le bus. Après ça, pendant presque 3 ans, je n’ai plus embrassé, enlacé ou effleuré la main de mon compagnon en public. J’avais ce que j’appelle « la peur du pire ». J’imaginais constamment les pires scénarios suite à un baiser de trop.
Derrière mon bureau et mon écran d’ordinateur, j’avale ma salive et serre les poings, bien décidé à donner la réplique à Jean. Mais rien n’est sorti, et je me suis rendu compte que malgré le temps passé depuis ces quatre années, malgré l’assurance que j’ai acquise, j’ai toujours cette peur du pire.
Je me lève pour aller aux toilettes en faisant attention à ma démarche, et je me dis qu’en arrivant demain je ne dirais pas bonjour d’un « HELLOOOW ! » appuyé mais d’une poignée de main. J’ai l’impression de régresser et de redevenir ce jeune garçon indécis et maladroit qui tente à la fois de dissimuler son secret et de le faire comprendre à la terre entière.
Jean a raison, je suis malade. Je me rends malade. J’ai honte de moi, honte de ne pas oser ouvrir la bouche face à ce genre de discours, de ne pas oser rouler la galoche du siècle à mon mec en centre-ville.
Beaucoup de gens me disent « tu t’en fous du regard des autres, fais pas attention ». Et ils ont sans doute raison : c’est ce que je devrais faire et même ce que j’attends désespérément. Je considère que moi aussi, j’ai le droit de me laisser aller aux joies de l’amourette mielleuse en bécotant mon chéri sur un banc public.
Mais je fais attention. Parce que je souffre de paranoïa, je fais attention à ce que ni mon mec ni moi ne nous prenions un coup de poing dans la gueule.
Et toi Jean, toi qui m’offres des croissants et m’accompagnes à la pause clope, tu pourrais me foutre ton poing dans la gueule ?
Un jour, je te poserai la question. Je me le jure.
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