Live now
Live now
Masquer
sex-education-eric-adam
Société

Pourquoi il faut en finir avec le cliché du « mec homophobe qui est en réalité un gay refoulé »

Non, les homophobes ne sont pas nécessairement des gays dans le placard, et on aurait grand intérêt à ne plus perpétuer cette idée reçue.

Le 30 mars 2021

C’est l’un de ces clichés qui ont la vie dure. Pourquoi imagine-t-on si souvent que l’homophobie, le rejet, l’hostilité envers les hommes gays seraient forcément le résultat d’une homosexualité refoulée ? Pourquoi est-il si communément admis que les personnes qui montrent le plus ouvertement leur haine et leur mépris des homosexuels sont en fait complètement dans le placard et incapables d’assumer leur désir et leur identité ?

À l’évocation de cette idée reçue, Jean-Baptiste Bonjean, militant gay, ne peut s’empêcher de pousser un soupir d’agacement :

« Ça m’inspire beaucoup de lassitude. Pour moi, c’est quelque chose qui arrange les personnes qui le disent. Ça permet de ne pas s’intéresser à ce qu’est l’homosexualité. »

Ce cliché renvoie aussi, selon lui, à une certaine conception des hommes gays :

« C’est comme si on n’existait qu’à travers les traumatismes, on ne s’intéresse à nous que dans la violence qu’on subit et dans ce cas précis, celle que l’on crée. C’est un discours qui est construit sans nous. »

La piège de la psychologisation de l’homophobie

Certes, des travaux ont effectivement montré des liens entre homosexualité refoulée et comportements homophobes, comme ceux de Boris Cheval, chercheur en psychologie à l’université de Genève. Néanmoins, il existe des nuances, comme l’explique le chercheur lui-même :

« Une partie des hommes homophobes le sont par leur éducation ou leur environnement social. En revanche, il existe aussi des hommes qui ont un intérêt pour l’homosexualité mais qui le cachent, sous l’effet de la pression sociale par exemple, et développent en réaction une attitude homophobe. »

Daniel Borrillo, intellectuel, chercheur au CNRS et auteur de plusieurs ouvrages sur l’homophobie, a par le passé observé cette tendance à vouloir toujours raccrocher l’homophobie à un trouble psychologique :

« Aux États-Unis dans les années 90, j’ai vu un certain nombre d’études qui essayaient de pathologiser l’homophobie, de l’expliquer comme une phobie. J’ai toujours critiqué cette idée : si tout s’explique par la psychologie, par le fait qu’il y aurait de l’homosexualité refoulée, alors on passe à côté des structures politiques qui sous-tendent l’homophobie. »

Il serait pernicieux et néfaste d’expliquer de façon générale l’homophobie par la psychologie. Toutefois, dans un certain contexte, elle peut présenter un intérêt :

« Une expertise psychologique dans un procès, ça ne me semble pas gênant, même parfois utile. Dans le cadre de la compréhension d’un passage à l’acte, ça peut être intéressant de comprendre qu’une personne refoule tellement son homosexualité, que ça lui rend insupportable de voir quelqu’un qui ne correspond pas à son stéréotype du genre masculin et qu’elle va l’agresser. »

Mais la démarche a ses limites : « il ne faut pas tomber dans le piège d’expliquer la hiérarchie sociale, la domination, les discriminations, le harcèlement, par des variants psychologiques et psychologisants, c’est une manière de dépolitiser la question », insiste Daniel Borillo.

Une idée que rejoint Jean-Baptiste Bonjean : « en disant que l’homophobie est la conséquence d’un refoulement de sa propre homosexualité, on en fait un enjeu individuel », explique-t-il.

« Oui, c’est l’une des réalités de personnes qui sont homophobes. Mais en se concentrant sur leur individualité, on dit juste que ces personnes sont trop bêtes pour être “out”, sans prendre en compte ce que ça implique d’être “out”. Ça permet de ne surtout pas penser à ce qui pousse certaines personnes à rester dans le placard : le risque d’être rejeté, de se déraciner de sa famille par exemple. »

En faisant de l’homophobie une affaire de personne, on dédouane ainsi les dynamiques à l’œuvre dans notre société où dès notre plus jeune âge, nous apprenons que l’hétérosexualité est une norme par défaut.

Un cliché entretenu dans les représentations culturelles

Mais la représentation de l’homophobe dans le placard reste un lieu commun qu’on observe encore en 2021. Elle est même entretenue dans une série grand public très populaire, Sex Education sur Netflix, à travers le personnage d’Adam !

Montré comme un garçon violent, Adam s’en prend à Eric quotidiennement. Il le frappe, le traite de « pédé » à longueur de temps… jusqu’à ce qu’on comprenne à la fin de la première saison que derrière toute cette violence, Adam cachait en fait son attirance pour Eric.

Princess Weekes, journaliste, résumait parfaitement dans The Mary Sue pourquoi Sex Education se plante magistralement sur ce point, alors que la série aborde pourtant avec justesse la question de la santé sexuelle, du consentement, du plaisir :

« On ne devrait pas perpétuer l’idée que c’est “ok” ou “excusable” qu’un tyran dans le placard qui tourmente ses camarades gays peut se racheter facilement à travers le pouvoir de son attirance sexuelle envers la personne qu’il avait pour cible. Car c’est bien de la maltraitance. »

Dans la saison suivante, Adam débute une relation avec Eric en secret, alors que celui ci commence à sortir avec Rahim, qui a tout du mec adorable et bien dans ses pompes. Tout le contraire d’Adam ! Pourtant, Eric va finalement retourner vers lui à la fin de la saison… Un arc narratif très violent qui banalise une relation toxique, selon Jean-Baptiste Bonjean :

« Voir le personnage d’Eric développer une attirance pour Adam, qui est un harceleur, un bully, ça cultive ce stéréotype : les relations toxiques qu’on a, c’est nous qui les avons choisies, prétendument. On devient des victimes coupables. Et quand Eric choisit finalement son harceleur, ça envoie le message qu’on aime le drama, qu’on ne peut vivre que dans la douleur, que dans la relation malsaine. »

L’homophobie, une violence de genre

Cette question de l’homophobie doit aussi être regardée à la lumière des violences sexuelles entre hommes. Longtemps ignorée, la question des violences sexuelles dont sont victimes les hommes gays a enfin gagné en visibilité grâce aux témoignages portés par le hashtag #MeTooGay.

« Les gens violent parce qu’il le peuvent, c’est un enjeu de pouvoir, ce n’est pas une question de sexualité », tient à souligner Jean-Baptiste Bonjean. De la même manière que l’homosexualité refoulée n’est pas nécessairement à l’origine de comportements homophobes, les auteurs de violences sexuelles contre des hommes n’agressent pas parce qu’ils seraient attirés par eux.

Pour rendre clair ce propos, le militant rappelle cette maxime féministe expliquant que le viol n’est pas une affaire de désir sexuel, mais bien une affaire de violence: « Si tu prends un coup de pelle, t’appelles pas ça du jardinage. »

Si des hommes violent d’autres hommes, il faut y voir une tentative de punir ceux qui se seraient trop éloignés des normes liées à leur genre :

« C’est une façon de remettre les hommes gays à leur place, de dire à travers un viol “tu es homosexuel, tu n’es pas un homme, tu ne domines pas correctement”. » 

À travers l’enquête Violences et rapports de genre menée par l’Ined et publiée en novembre 2020, on découvre que les hommes gays sont sur-exposés aux violences sexuelles intra-familiales, en comparaison aux hommes hétérosexuels. Mathieu Trachman, chercheur et co-auteur de la partie de cette enquête consacrée aux violences spécifiques aux personnes LGBT, explique au Huffington Post :

« Les violences sexuelles se comprennent comme une manière pour les hommes de faire usage de la sexualité pour rappeler aux femmes les normes du genre. Cela pourrait aussi valoir pour les gays. »

Pour Daniel Borrillo, il faut aussi garder en tête que la construction du genre masculin est « beaucoup plus violente socialement » :

« Cela tient à mon avis à la question de la hiérarchie des genres. Prenons un exemple : si une fille veut dormir avec une autre fille à une fête, à une pyjama party, il n’y a aucun problème d’imaginer qu’elles dorment dans le même lit. Alors que si un garçon propose la même chose, cela crée un rejet de la part des parents, des autres garçons. Ce n’est pas très normal qu’on laisse deux garçons dormir dans un même lit. »  

À travers la façon dont on conçoit l’homophobie et ses causes, on en revient finalement à questionner la façon dont se construit la masculinité : comment les normes de genres, les représentations stéréotypées de ce que doit être et faire un homme, l’hétérosexualité comme modèle dominant, créent de la violence, de l’exclusion, de la hiérarchisation entre les individus.

Et tant que le cliché perdurera, on n’aura pas fini de rappeler que l’homophobie ne cache pas toujours un désir refoulé pour les hommes : parfois, si ça parle comme un homophobe, agit comme un homophobe, pense comme un homophobe, eh bien, c’est un homophobe.

À lire aussi : Pourquoi j’en ai marre que les personnages queer meurent dans les séries


Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.

Les Commentaires

13
Avatar de ~*Galaxy*~
29 juillet 2021 à 14h07
~*Galaxy*~
J'ai toujours compris "les homophobes sont des gays refoulés" avec la signification "les homophobes qui sont des gays refoulés font partie des homophobes les plus véhéments" (comme dans les études qui ont été faites).
Mais c'est complètement ridicule:
1. De se dire que ça rend les choses okay: si tu fais du mal, c'est mal, ton identité n'est pas une excuse, surtout si c'est exprès.
2. De montrer des couples abusifs comme positifs à l'écran.
Je me demande si c'est pas un reste du Hays Code (vieux code de moralité d'Hollywood), qui disait qu'une relation gay était acceptable à l'écran uniquement si elle était punie d'une façon ou d'une autre (mort, relation toxique, ...). Certaines personnes parlent d'ailleurs de créer un équivalent LGBT+ du Bechdel Test pour en finir avec ces bêtises.
0
Voir les 13 commentaires

Plus de contenus Société

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-11-15T163147.788
Livres

Samah Karaki : « C’est la culture sexiste qu’il faut questionner, pas la présence ou l’absence de l’empathie »

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-11-13T154058.525
Santé

« Ah, on dirait que t’as le cancer » : Laure raconte comment l’alopécie affecte son quotidien

6
[Image de une] Horizontale (24)
Culture

3 raisons de découvrir Agatha, le nouveau thriller psychologique à lire de toute urgence

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-10-30T170053.120
Santé

« On n’en parle pas assez, mais être malade prend du temps ! » : Solène raconte son quotidien avec une maladie chronique invisible

1
Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-10-30T164414.844
Société

« Je n’ai pas porté plainte parce qu’il y a des enfants en jeu » : Jade, victime d’exploitation domestique à 17 ans

1
Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-10-30T115104.723
Santé

« Le sommeil occupe une place bien plus importante dans ma journée » : Quitterie, 25 ans, raconte son quotidien avec la sclérose en plaques

Capture d’écran 2024-09-06 à 16.28.20
Bien-être

« On souffre en silence » : 3 femmes nous parlent sans tabou de leurs douleurs menstruelles

Capture d'ecran Youtube du compte Mûre et Noisettes
Argent

Je suis frugaliste : je vis en dépensant moins de 1000 euros par mois (et je vais très bien)

73
Capture d’écran 2024-09-06 à 16.30.20
Bien-être

Douleurs de règles : et si on arrêtait de souffrir en silence ? Une experte nous explique pourquoi il est crucial de consulter

Woman at home suffering from menstrual pain. Menstrual cramps, woman warming the lower abdomen with a hot water bottle, endometriosis, and diseases causing pain.
Santé

Non les filles, ce n’est pas normal d’avoir mal quand on a ses règles !

La société s'écrit au féminin