Les larmes de Sandrine Rousseau face à la colère de Christine Angot : cette séquence, extraite de l’émission On n’est pas couché diffusée samedi 30 septembre, a fait le tour des médias en ce début de semaine.
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L’élue écologiste a-t-elle raison de chercher à porter son témoignage dans un débat public, a-t-elle raison d’encourager d’autres victimes à prendre la parole, Christine Angot a-t-elle raison de s’emporter comme elle le fait, tous les aspects de cette confrontation ont été commentés, fustigés, reprochés à l’une et à l’autre, aux chroniqueurs, à l’animateur, à la chaîne…
Sur madmoiZelle, Mymy avait adopté une autre perspective sur cet échange bouleversant à bien des égards : pendant qu’on dissèque le comportement public de deux victimes d’agressions sexuelles, autour d’elles, le silence est assourdissant.
« Nous sommes à une heure de grande écoute. Deux victimes de violences sexuelles parlent. Et le sujet, c’est « comment être une « bonne » victime ? ». Comment réagir de la « bonne » façon. Comment « bien » en parler, ou non.
Pendant ce temps, on ne parle jamais, ou presque, des agresseurs.
Comment éduquer au consentement ? Comment élever des hommes dans un monde sexiste ? Comment améliorer la justice pour que les agresseurs soient mieux poursuivis et condamnés ?
Pourquoi des hommes violent-ils, et pourquoi ont-ils ce sentiment de pouvoir le faire en toute impunité ? Comment réduire le harcèlement, les agressions, les abus sexuels ? »
Lire l’intégralité de l’article : Parlons des agresseurs sexuels, au lieu de se demander comment être une « bonne » victime
https://www.youtube.com/watch?v=ne6DS_h9nwI
La séquence en question
Le traitement subi par Sandrine Rousseau chez ONPC signalé au CSA
La confrontation entre les deux femmes a été si violente que Christine Angot a quitté le plateau pendant une vingtaine de minutes (ce qui n’apparaît pas dans le montage final de l’émission).
La séquence en question a été signalée par des téléspectateurs et téléspectatrices au CSA, qui a également été alerté par Marlène Schiappa, Secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Sandrine Rousseau revient sur la séquence ONPC chez Quotidien
Mercredi 4 octobre, Sandrine Rousseau était sur le plateau de Quotidien. Yann Barthès l’a questionnée sur la façon dont elle a vécue cette fameuse séquence.
L’auteure de Parler est revenue sur l’absence de réaction sur le plateau, et en particulier celle des hommes :
« Les hommes du plateau sont absents, on a l’impression qu’ils ne saisissent pas ce qui est en train de se passer ».
Yann Barthès rebondit sur la difficulté qu’il ressentirait à intervenir dans une situation similaire :
« J’aimerais pas être à la place de Laurent Ruquier, […] face à deux personnes qui ont vécu des choses très dures […] ça doit être compliqué, étant un homme, de parler de ça. On se dit qu’on est pas légitime ! Peut-être ! »
Ce à quoi Sandrine Rousseau répond, avec conviction :
« — Vous l’êtes ! C’est un problème de société les violences faites aux femmes, et donc les hommes sont légitimes à en parler, et les hommes sont aussi légitimes à prendre position pour dire que ça n’est pas possible une société où on agresse les femmes et il y a juste 1% des personnes qui ont agressé ou violé, 1% seulement qui sont condamnées.
Les hommes ont quelque chose à dire là-dessus. Et le fait que tout de suite les hommes se mettent en retrait, [explique] aussi pourquoi on parle dans le vide…
Yann Barthès : — Qu’aurait dû faire Laurent Ruquier selon vous ? Prendre parti, vous défendre ?
Sandrine Rousseau : — Non non, la question n’est pas de défendre l’une ou l’autre, parce qu’on ne met pas les femmes qui ont subi des violences sexuelles les unes face aux autres, on est ensemble. »
Effectivement, à aucun moment, Sandrine Rousseau ne reproche quoi que ce soit à Christine Angot, et certainement pas sa souffrance :
« Dire les choses, que ce soit à la manière de Christine Angot ou à ma manière à moi : c’est douloureux, c’est très violent. C’est ça que dit cette séquence. C’est pour ça qu’à mon avis, les hommes auraient dû intervenir en disant « mais vous avez toutes les deux subi— »
On ne saura pas ce que les hommes auraient dû dire, puisque Yann Barthès l’interrompt à ce moment, et ne la relancera pas sur ce sujet précisément. Sandrine Rousseau conclut :
« On ne peut pas laisser les femmes seules avec ça.
Et cette séquence dit que les femmes sont seules avec ça. »
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Les hommes absents de cette discussion, le problème de fond selon Sandrine Rousseau
Un cadre de France Télévision a confié aux journalistes de Quotidien qu’il se dit « en off » que Laurent Ruquier n’a pas joué son rôle de modérateur.
De fait, l’échange entre les deux femmes tourne à la confrontation brute, et la seule intervention de l’animateur sera de relancer Christine Angot en lui demandant « qu’est-ce qui vous énerve ? ». (Je sais pas, au hasard : les violences sexistes en générale, celles qu’elle a subies en particulier, l’omerta et l’inertie qui gangrène le sujet dans la société ?)
« Yann Barthès : — Christine Angot est très attaquée sur les réseaux sociaux suite à l’émission, est-ce que ça vous dérange ?
Sandrine Rousseau — Ah oui, oui oui, encore une fois ce n’est pas elle mon adversaire. Mon ennemi, ce sont les hommes qui commettent des actes de violences sexuelles. […]
Vous imaginez comme c’est dur, d’être opposée l’une a l’autre comme ça, dans un non-dialogue ?
Yann Barthès — ça on le ressent [dans la séquence]
Sandrine Rousseau — ça dit tout de la manière dont on n’entend pas les violences sexuelles.
Pourquoi on laisse les femmes se débrouiller, comme ça, les unes contre les autres ?
Peut-être que c’est aussi un moyen de ne pas gérer la chose. »
Touché.
Pour revoir l’intégralité de l’interview de Sandrine Rousseau par Yann Barthès, émission Quotidien du 4 octobre, cliquez sur l’image.
« Les hommes sont légitimes à parler des violences faites aux femmes »
Cette phrase de Sandrine Rousseau m’a particulièrement marquée. J’avais déjà souligné l’assourdissant silence des hommes au moment où éclatait l’affaire Baupin, en mai 2016.
Je ne leur demande pas, évidemment, de parler de ce qu’ils ne connaissent pas : seul•es des victimes d’agressions sexuelles peuvent témoigner de ce vécu, ça ne s’invente pas… En revanche, nous pouvons tous et toutes réfléchir à nos rôles dans cette société qui produit des violeurs. Parce que les violences sexuelles n’ont pas à être une fatalité.
Le Tumblr Je connais un violeur avait provoqué un déclic de conscience : le nombre et la diversité des témoignages détruisaient le cliché du mec-louche-dans-une-ruelle-sombre. Bien souvent, l’agresseur sexuel est un homme (c’est l’écrasante, écrasante majorité des cas) de l’entourage de la victime.
L’étape suivante, dans la prise de conscience, c’est donc se rendre compte que si je connais autant de victimes de viol… Je connais sans doute aussi des violeurs :
« 74% des viols sont commis par une personne connue de la victime. Les violeurs se trouvent parmi nos pères, nos frères, nos amants, nos maris, nos amis, nos collègues. Les hommes de nos vies. Et parfois les femmes, même si elles sont moins nombreuses. »
— Extrait de Je connais un violeur, et vous aussi, sans doute
Les violences faites aux femmes ne sont pas un problème de femmes
Je suis d’accord avec l’analyse que fait Sandrine Rousseau de la fameuse séquence qu’elle a eu à subir, lors de l’enregistrement de l’émission On n’est pas couché : cette scène, et le silence des hommes présents sur ce plateau donne le sentiment qu’on laisse les femmes se débrouiller avec « ça ».
« Ça », ou le douloureux sujet des violences sexistes et sexuelles, qui commencent parfois dès la maternelle, éclatent au collège/lycée, en pleine adolescence, ces violences qui frappent une femme toutes les 9 minutes, en France, en 2016.
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Sandrine Rousseau le dit, au cours de son interview chez Quotidien : parler de ces violences quand on en a été victime, c’est douloureux. Si elle s’inflige ça, c’est dans l’espoir de faire reculer ces violences.
Yann Barthès le dit aussi, de son côté : parler de ce sujet quand on est un homme, et quand on n’est pas victime de ces violences, c’est délicat, inconfortable…
Face à l’urgence de cette situation, ne pourriez-vous pas supporter un peu d’inconfort, messieurs ?
Comment s’emparer du sujet des violences sexistes et sexuelles
Une inconnue demeure, puisque Sandrine Rousseau n’aura pas eu l’opportunité de répondre à cette question durant son entretien chez Quotidien : comment Laurent Ruquier, ses chroniqueurs et ses invités auraient-ils dû réagir ?
Et, plus globalement, comment contribuer à cette lutte et à ces discussions lorsqu’on n’a pas soi-même un témoignage à apporter ?
Qu’en pensez-vous, vous tous et toutes qui nous lisez, en ce moment ? La parole se libère de plus en plus, mais comment la convertir en progrès concrets ? Comment éviter, à l’avenir, la douloureuse et stérile confrontation des témoignages ? Discutons-en dans les commentaires !
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