Je m’appelle Alex, j’ai 22 ans et je suis ce que l’on appelle un travesti.
Si j’ai longtemps rejeté ce terme, car je me sentais très différent de ce qui lui est associé dans l’esprit des gens (drag queens, fétichisme des collants ou des talons, perruques…), j’ai appris progressivement à l’accepter.
Et j’ai eu envie de vous raconter mon histoire !
Dès l’enfance, un goût pour les vêtements « de fille »
Tout a commencé lorsque j’étais enfant.
Je ne saurais dire quand précisément car aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, il me semble avoir toujours eu envie de porter des robes de princesse et d’avoir les cheveux longs, comme les petites filles.
C’est également très jeune que j’ai compris que cela m’était totalement impossible car j’avais eu le mauvais goût de naître petit garçon.
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J’ai eu la chance d’avoir une mère qui ne genrait pas les jouets, donc j’ai pu demander une dînette pour mon anniversaire à une époque où mes amis jouaient déjà avec des Action Man. Mais je savais que les vêtements « de fille » m’étaient interdits.
Je m’en souviens parfaitement. J’avais 3 ans à peine. J’ai dit à ma mère que quand je serai grand, je voulais être une maman. Elle m’a répondu :
« Mais enfin Alex… tu n’es pas une fille ! »
Le harcèlement scolaire qui visait mes différences
J’ai donc grandi sans jamais avoir les robes à paillettes qui me faisaient rêver, sachant au fond de moi que j’étais différent. Durant des années, faire semblant ne fut pas très compliqué, mais la réalité me rattrapa brutalement à l’adolescence.
C’est à cet âge que les stéréotypes genrés se cristallisent et que j’ai commencé à ressentir avec douleur ma différence, me sentant anormal par rapport aux autres. À un âge où les enfants ne pardonnent rien, j’ai été persécuté par les autres élèves.
Tout chez moi appelait leur moquerie : ma petite taille, mon léger embonpoint, mon look pas toujours très inspiré… Le fait d’avoir honte de qui j’étais m’empêchait de m’épanouir, m’obligeant à faire semblant.
En dépit d’un changement d’établissement, rien n’évoluait.
Je continuais à être malheureux, mon estime de moi était au plus bas, les kilos en trop ont commencé à augmenter et ma santé à être de plus en plus erratique, ma détresse psychologique rejaillissant sur mon état physique.
Ces problèmes ont atteint leur paroxysme en terminale : j’ai accumulé plusieurs mois d’absence en raison d’un problème de santé qui, je le comprends avec le recul, était essentiellement psychosomatique.
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Le travestissement, mon « terrible secret »
C’est finalement à la fac que tout a commencé à changer, lorsque j’ai rencontré ma copine.
Avec le recul, je me demande encore ce qu’elle a pu me trouver : j’étais mal habillé et de façon extrêmement classique, j’étais loin d’être beau et je n’étais pas franchement des plus épanouis…
Néanmoins, nous nous sommes tout de suite plu et nous sommes devenus très rapidement très complices.
C’est au bout d’un peu plus d’un an et demi de relation que j’ai fini par lui faire part de mon « terrible secret », dont je n’avais jamais parlé à personne et que je pensais cacher toute ma vie.
Son féminisme, son activisme, sa tolérance et sa gentillesse ont fini par me convaincre qu’il fallait que je me confie. J’ai choisi de le faire par message, de peur d’être blessé.
Je vous passe volontiers tous mes atermoiements après lui avoir écrit à quel point les normes genrées ne me convenaient pas. L’essentiel est que sa réaction a dépassé de très loin toutes mes espérances.
Comment ma petite amie m’a aidé à m’épanouir
Aujourd’hui, plus de deux ans après lui en avoir parlé, je considère qu’il s’agit de la meilleure décision de ma vie.
Concernant notre couple, lui avouer la vérité nous a énormément rapprochés, cela lui a permis de comprendre ce que j’avais enduré durant des années et notre complicité en est sortie renforcée.
Je ne compte plus le nombre de fois où elle me demande mon avis sur ses nouveaux vêtements, et je suis toujours extrêmement touché lorsqu’elle m’offre du maquillage pour mon anniversaire, qu’elle me complimente sur mes traits d’eye-liner ou qu’elle me dit qu’un mec qui se maquille et qui porte des talons, c’est « ce dont [elle] a toujours rêvé ».
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Je me travestis, et je suis heureux !
Sur un plan personnel, j’ai commencé à m’épanouir à compter de ce jour et, aujourd’hui, je me sens enfin parfaitement heureux. Mes problèmes de santé ont disparu, j’ai perdu une dizaine de kilos et surtout, je suis enfin moi-même.
Désormais, je n’hésite plus à acheter les vêtements que j’aime, même s’ils sont excentriques (pailletés, recouverts de fleurs…) et il m’est même arrivé de sortir une ou deux fois en étant maquillé.
Je garde le travestissement vestimentaire pour moi et ma copine, dans une sphère strictement privée. Mais au moins, je n’hésite plus à avoir une garde-robe de tous les jours parfois classique, parfois androgyne.
M’accepter, ça m’a sauvé la vie
J’ai également fini par comprendre que mes problèmes de santé étaient essentiellement psychologiques et que j’avais sans doute vécu ce qui s’apparente à une dépression.
Ceci m’a permis de trouver le courage d’en parler récemment à mon meilleur ami un soir où il m’avait confié, les larmes aux yeux, qu’il avait eu conscience que j’étais extrêmement malheureux au lycée et qu’il avait craint à l’époque que je ne commette l’irréparable.
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Grace à ces paroles de soutien, j’ai pu m’épanouir encore davantage. Je lui en suis extrêmement reconnaissant.
Mon rapport au travestissement
À bien des égards, je suis très éloigné de nombreux clichés sur les travestis.
Tout d’abord, il ne m’est jamais arrivé de sortir de chez moi en étant intégralement travesti « en femme », tout simplement parce que je n’en ressens pas l’envie.
De la même façon, je ne possède pas de perruque, de faux ongles ou autres accessoires que l’on associe souvent, à tort peut-être, aux travestis.
Pourtant, ma taille, ma silhouette me permettraient sans doute d’avoir l’air « féminin » si je le souhaitais. Mais je n’en ressens absolument pas le désir — tout au plus une vague curiosité.
En privé, avec ma copine, le travestissement se limite à un peu de maquillage (yeux, lèvres et ongles), quelques vêtements (robes, jupes, chaussures à talons…) et des bijoux.
Dans tous les cas, cela ne change pas qui je suis, je ne prétends pas entrer dans la peau d’un autre personnage : je reste moi-même en toute circonstance.
Dans ma vie de tous les jours, je me contente de vêtements un peu originaux pour compléter ma garde-robe « masculine », parfois achetés au rayon femme (comme des sneakers à paillettes) et avec des coupes « féminines » (jeans skinny, blouson cintré…).
Peut-être un jour oserai-je aller plus loin, par exemple en sortant avec du vernis à ongles ou mes bottines à talons ?
Mon rapport à mon genre, loin de la binarité
Il était totalement logique que je m’interroge sur mon genre, puisque ma façon d’être transgresse les normes genrées.
Si je ne suis pas transgenre, j’ai fini par comprendre que je me trouvais dans l’une des nombreuses nuances qu’il existe entre cis et trans : je me considère comme gender-fluid.
L’étiquette genrée que l’on essaye de m’apposer m’est en effet totalement indifférente, on peut parler de moi aussi bien au féminin que masculin, mais je refuse que l’on essaye de me faire rentrer dans toute classification binaire.
Avec le recul, j’aurais peut-être été plus heureux en étant assigné fille et en grandissant ainsi, car je n’aurais pas connu cette non-conformité qui m’a fait tant de mal…
Mais aujourd’hui je suis totalement bien dans ma peau et je ne me verrais pas différemment.
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Quid de mon orientation sexuelle ?
Concernant ma sexualité, si j’ai compris pourquoi ma copine m’a posé des questions à ce sujet (car, précisément, elle partage ma vie sexuelle), je dois avouer que cette question me semble hors de propos.
En effet, ma non-binarité ne m’empêche pas d’être un banal hétérosexuel ! Le seul lien que je vois est mon rejet des injonctions à la virilité, y compris au lit.
Mon goût pour les talons, le maquillage, les bijoux et les robes ne revêt aucune dimension sexuelle.
Problème : jusqu’à mes 17-18 ans, en me basant sur les quelques témoignages que j’avais pu lire, il me semblait impossible que le travestissement puisse être dénué de toute dimension sexuelle…
Il existe « des travestissements », pas « un travestissement »
C’est pour cela que j’écris ces lignes : parce que le fait de ne pas me retrouver dans tous les témoignages que je pouvais parcourir n’a fait que renforcer mon rejet de moi-même.
Je pensais qu’il était inéluctable que je finisse par ressembler à celles et ceux dont je lisais les récits, alors que je me sentais totalement différent.
Je sais dorénavant que non, il n’existe pas un travestissement mais des travestissements !
L’adolescent que j’étais aurait sans doute aimé lire dans un témoignage que « oui, le travestissement peut être purement esthétique, détaché de tout fantasme » et que l’on peut être épanoui tout en ayant des goûts qui défient les normes sociales.
Surtout, surtout, il est possible d’être heureux ainsi car il existe des personnes qui vous apprécieront malgré cela — et vous aimeront, même, pour cette raison.
Mon petit ami se travestit…
Quand tu m’as révélé ton secret, toutes sortes d’idées reçues me sont d’abord venues à l’esprit : mon copain est transgenre, il est gay, ça ne peut pas être « juste » une histoire de vêtements…
Mais j’ai rapidement compris que si, justement, il s’agissait là uniquement d’un goût pour les talons, les paillettes et le maquillage, aussi simple et sans conséquence que ton intérêt pour les jeux vidéo !
C’est une préférence comme une autre, qui ne révélait finalement qu’une chose, l’absence totale d’importance que tu accordais à la virilité et aux stéréotypes de genre. J’ai réalisé que c’était exactement ce que je voulais chez mon partenaire.
Pansexuelle et féministe convaincue, j’ai toujours méprisé les stéréotypes et constructions sociales qui, à mon sens, font uniquement perdurer les inégalités et les rôles hors d’âge assignés aux hommes et aux femmes.
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Te voir rejeter en bloc ce modèle, et plus encore, découvrir une facette transgressive et avant-gardiste de ta personnalité m’a rendue profondément fière de qui tu es.
Je suis heureuse d’être la personne à laquelle tu peux montrer tes progrès en maquillage et les jolies choses que tu achètes. Je suis fière d’être celle avec qui tu as choisi de partager ce qui te rend aussi unique.
Je suis profondément attirée par cette particularité, parce qu’il n’y a rien de plus séduisant à mes yeux qu’un joli garçon fier de « ressembler à une fille ».
J’attends avec impatience le jour où un garçon en robe sera perçu avec autant d’indifférence qu’une femme en pantalon. Je suis convaincue qu’il arrivera et que tu pourras enfin affirmer qui tu es aux yeux de tou•tes.
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