Le 27 janvier 2010 s’est éteint l’écrivain Jerome David Salinger dans son chalet du New Hampshire. A 91 ans, on le connaissait surtout pour son unique roman L’Attrape-Coeurs (The catcher in the Rye), best seller de la littérature américaine, qui a marqué inconditionnellement la période d’après guerre et les générations suivantes.
J’aimais déjà Salinger avant même d’avoir lu son roman, rien que pour son titre, sa signification et les quarante huit heures trépidantes contées qui s’annonçaient prometteuses. Et oui, il y a des personnes qui nous plaisent immédiatement, dotées d’un fort capital sympathie et d’autres qu’on ne pourra jamais encadrer.
Salinger était un jeune élève effacé et taciturne. Son père, businessmen dans l’agroalimentaire souhaitait que son fils lui succède mais très vite, sa passion pour l’écriture est devenue trop présente pour s’en éloigner. Il prendra des cours d’écriture. Remarqué rapidement par un professeur, sa première nouvelle sera publiée. Les origines de l’écrivain le conduisaient déjà vers un parcours singulier quand l’on sait que son père importait du jambon, tandis qu’il était petit-fils de rabbin.
Envoyé dans une école militaire contre son gré, Salinger découvre que l’humour et l’impertinence sont bien plus efficaces que la révolte. Il est mobilisé et participera au débarquement en 1945. Il fait donc parti des premiers américains à avoir découvert l’horreur des camps de concentration. Cette expérience militaire le conduira à une hospitalisation pour dépression post-traumatique.
Suite au succès de l’Attrape-cœurs, il publiera Nine Stories en 1953, Franny et Zooey en 1961 et Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers, sorti en 1963. Lassé et écœuré d’une trop grande exposition médiatique – mais aussi des hommes -, Salinger décide de se retirer dans une maison éloignée et s’entoure d’un silence mystique : c’était le 19 juin 1965, après la publication de sa nouvelle Hapworth. Cette attitude témoigne d’un grand courage, celui de disparaître après avoir commencé à trop paraître. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec des propos d’Holden, héros de l’Attrape-cœurs, qui propose à Sally (dont il est amoureux) » Nous irions habiter dans ces villages de cabanes (…) J’abattrais tout notre bois en hiver ».
Nombreuses rumeurs ont circulé pour tenter d’expliquer le mystère Salinger : scientologie, folie etc… Certains racontent qu’il a continué d’écrire et espèrent que des décennies de manuscrits seront retrouvées.
Adulé par Beigbedder, ce dernier lui a consacré un documentaire l’Attrape-Salinger sans pouvoir parvenir à le rencontrer. J’avoue trouver ça indécent, un tel acharnement sur un homme qui a décidé de s’isoler pour des raisons qui sont siennes. D’autant plus que beaucoup de citations d’Holden lancées de façon anodine telle que « Une des principales raisons qui m’ont fait quitter Elkton Hills c’est que j’étais entouré de faux jetons. Là bas c’était tout pour l’apparence » sont pour moi très explicites.
Pour en revenir au roman, il raconte quarante huit heures d’errance de la vie d’un jeune garçon de 16 ans. Après s’être fait renvoyé de son collège pour la énième fois, Holden Caulfied fugue et préfère traîner dans NY que de retrouver sa maison. Il rencontre beaucoup de filles, une prostituée et ment sur son âge pour rentrer dans les bars. Une question obsède particulièrement Holden lors de son périple, si innocente qu’elle nous émeut : Quel est le sort des canards de Central Park en hiver ? Où vont- ils ?
Interrogation anodine qui se révèle être l’euphémisme d’une autre plus sombre : Que deviennent les hommes quand ils perdent tout contact entre eux, quand ils perdent leur humanité ? Comment vit – on sans l’innocence de nos jours enfantins ?
A travers ce roman, Salinger lance délibérément un nouveau style, de par l’idéologie portée par son anti héros, mais aussi par un style cru, un registre décalé, une volonté de choquer et de faire réagir ses lecteurs. L’attrape – cœurs est une œuvre rare qui parvient à nous interpeller, au – delà des conventions. Le style parlé, parfois grossier, sert cette cause puisqu’il nous permet de dépasser les facilités et banalités auxquelles nous sommes habitués. Ce livre est un petit diamant pur, sans compter la verve du narrateur, Holden s’emporte, s’excite, s’enthousiasme, Holden est sensible et plein de faiblesses derrière ses airs blasés. Et c’est toute cette complexité, ces nuances psychologiques qui fascinent dès la première ligne, comment s’essouffler quand d’une ligne à l’autre, les émotions changent ?
Il ne fait aucun doute que son roman a inspiré beaucoup d’auteurs par la suite, comme Bret Easton Ellis dans Les lois de l’attraction, où nous retrouvons toujours des héros issus des classes supérieures de NY très révoltés. Salinger a inauguré en quelque sorte le genre « malaise de la jeunesse dorée à Manhattan ».
Salinger nous offre ici la vision du monde d’un ado paumé, son histoire et ses rêves ainsi que toutes ses angoisses. Finalement ce roman, c’est un long monologue, une descente aux enfers, des petits bavardages sur tout et rien, et pourtant Holden Caulfield nous attrape, nous touche et nous fait rire avec la magie de ses pensées. Salinger arrive à nous transmettre la vision lucide propre à l’adolescence, avec la prise de conscience morale qui l’accompagne. Et c’est avec un humour mordant et décalé, qu’Holden observe les détails cruels que les autres ne voient pas, et qui masquent une sorte d’absence de morale généralisée.
Holden est un anti héros que la folie rend beau. Idéaliste, il refuse le monde des adultes et oscille entre joie enfantine démesurée et gravité. Il se cherche des raisons de vivre, et cette épopée démontre la difficulté qu’il a à se résigner à la réalité qui l’entoure. Holden est une sorte de Peter Pan qui se rattache à l’enfance. Des fois, railleur, méprisant et cruel, il passe à une sensibilité et émotivité exacerbées. On l’aime ce personnage, avec ses défauts et ses doutes, on s’identifie aussi un peu (même si l’échelle de gravité est ajustable).Holden est la représentation d’une dégradation comportementale mais c’est de façon intime que le lecteur comprend que le protagoniste bascule dans la folie.
Livre porté par des phrases fortes et remplies d’innocences : « Y’aura pas d’endroits merveilleux où aller quand j’aurais fini mes études. », ou « C’est marrant suffit de s’arranger pour que quelqu’un pige rien à ce qu’on lui dit et on obtient pratiquement tout ce qu’on veut`. ». Avec l’utilisation d’un langage faussement naïf, emprunt de poésie et de justesse, Salinger passionne avec une subtilité infime lorsqu’il retranscrit la dualité du personnage en passant d’une légèreté extrême à une grande noirceur et en évoquant la sensibilité bien trop grande de ce jeune garçon qui se protège par une exagération systématique qui lui permet de tout ajuster au même plan et d’ignorer la peur de ses émotions vraies.
La puissance du roman réside autant dans la narration atypique que dans la banalité de cet anti héros, cet ado idéaliste et authentique, plein de joie et de peines, qui essaie de gérer sa transition vers l’âge adulte mais refuse la réalité du désenchantement qui l’accompagne. Ce roman a fait de Salinger un génie intemporel et mystérieux qui nous laisse désormais bien seuls face à nos doutes.
Petite parenthèse, c’est avec surprise (et mépris oui oui !) que j’ai remarqué l’annonce de Bret Easton Ellis sur son twitter « Super ! Enfin, il est mort ! Merde, j’ai attendu cet instant depuis toujours ! Champagne ce soir ! ». Provoc’ sûrement et surtout mauvais goût, d’autant que son nouvel opus arrive très prochainement. Mais rendons à César ce qui lui appartient, je doute de l’existence d’Ellis en tant qu’écrivain sans la publication de l’Attrape-cœurs.
> L’Attrape-Coeurs, JD Salinger
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Les Commentaires
Mais ce n'est pas fait sans une lourde pointe de provocation, ça c'est sûr.