Née sous le nom de Gloria Jean Watkins dans le Kentucky, bell hooks a adopté son nom de plume en hommage à son arrière-grand-mère maternelle — et sans majuscules, pour déporter l’attention sur ses idées plutôt que sur sa propre personne.
Cela faisait 50 ans que bell hooks écrivait. En tout, une trentaine de ses livres ont contribué à construire le discours populaire et académique d’un féminisme intersectionnel plus qu’avant-gardiste pour son époque.
L’autrice a su montrer, avec une accessibilité qui lui était propre, comment la race, la classe, l’identité de genre ou encore l’orientation sexuelle étaient complètement reliés les uns aux autres, et comment ce lien a participé à l’oppression des femmes et des minorités de genre, et surtout des femmes noires.
Il y a beaucoup de choses à dire et à écrire sur le travail colossal de bell hooks. Mais si je devais choisir un fil rouge qui relie l’ensemble de ses théories, essais et conférences, ça serait celui de l’amour de soi-même. « Parce que vous devez toujours vous aimer suffisamment pour croire que ce que vous avez à dire a de la valeur et que votre voix compte », rappelle justement le magazine Them en hommage à l’autrice.
bell looks était un esprit libre et critique, ce qui, en soi, était déjà révolutionnaire quand on sait qu’elle a vécu à une époque et dans un endroit où les Noirs, en particulier les femmes noires, ne pensaient pas pouvoir l’être…
Une lettre d’amour aux femmes noires
bell looks a grandi dans le sud ségrégué des États-Unis. À l’âge de 19 ans, alors qu’elle était encore étudiante, elle s’est mise à écrire le très célèbre Ain’t I A Woman : Black Women and Feminism (Ne suis-je pas une femme ? Les femmes noires et le féminisme), publié en 1981 et devenu un texte clé de la troisième vague du féminisme.
Pendant les sept années d’écriture de cet ouvrage, hooks a travaillé sans relâche à rectifier l’absence des femmes noires dans les contextes universitaires et académiques.
Elle y analyse en long et en large « le rôle des femmes noires dans la société depuis l’esclavage jusque dans les années 80 » et l’absence des récits de celles-ci dans le féminisme actuel. Elle y explore brillamment la manière dont ces femmes sont doublement affectées par le racisme et le sexisme.
bell looks n’était pas une afroféministe comme les autres. Soyica Colbert, professeure d’études afro-américaines expliquait au magazine Them comment l’autrice se distinguait d’Angela Davis ou d’Audre Lorde qui sont, elles, arrivées vers le féminisme via le mouvement de libération des Noirs :
« Elle essaie de comprendre comment le mouvement féministe, la politique féministe, peuvent être articulés à partir de son point de vue de femme noire, et cela informe la façon dont son travail est organisé, les questions qu’elle pose, les débats auxquels elle participe.
Cette position est avant tout celle d’une écrivaine féministe noire, c’est ce qui la distingue. »
bell hooks décrivait le féminisme comme « un mouvement visant à mettre fin au sexisme, à l’exploitation sexiste et à l’oppression » et souhaitait voir cette lutte connectée à celles pour les droits civils, contre le racisme et les disparités économiques.
Elle croyait vivement dans le fait que le féminisme pouvait améliorer la vie de tous et toutes et rêvait d’une lutte commune et collective pour faire exploser les structures oppressives qui maintiennent un système patriarcal, capitaliste et blanc.
La pensée queer selon bell hooks
Si, à la base, le terme queer était une injure, la communauté LGBTQIA+ a récupéré cette étiquette dans les années 1980 pour symboliser toute personne dont l’identité ou l’orientation ne colle pas aux modèles dominants.
Dans une présentation intitulée « Are You Still a Slave ? Liberating the Black Female Body » (« Êtes-vous toujours une esclave ? Libérer le corps de la femme noire »), bell hooks donne sa propre définition de l’identité queer, claire et concise, souvent reprise dans les milieux militants :
« Le terme “queer” ne désigne pas la personne avec laquelle on a des relations sexuelles, ce qui peut en être une dimension : le terme “queer” désigne le moi qui est en désaccord avec tout ce qui l’entoure et qui doit inventer, créer et trouver un endroit où parler, s’épanouir et vivre. »
Un esprit anti-conformiste, donc. Pas étonnant pour celle qui décrivait son identité comme « queer-pas-gay » et critiquait celles et ceux qui avaient l’audace de mettre le racisme et l’homophobie sur le même plan. Dans Talking Back: Thinking Feminist, Thinking Black, l’autrice expliquait :
« Les Blancs, homosexuels et hétérosexuels, pourraient faire preuve d’une plus grande compréhension de l’impact de l’oppression raciale sur les personnes de couleur en n’essayant pas de faire de ces oppressions des synonymes, mais plutôt en montrant les façons dont elles sont liées et pourtant différentes. »
Mic drop.
Selon la penseuse afroféministe, ce sont tous les objectifs du mouvement féministe qu’il faudrait revoir pour y inclure des personnes autres que les classes moyennes supérieures, hétérosexuelles, blanches et éduquées. Une idée qu’elle développe dans son ouvrage capital De la marge au centre : Théorie féministe, pionnier pour la communauté queer racisée.
Une ode à la liberté sexuelle féminine
Si bell hooks s’est parfois retrouvée sous le feu des critiques, entre autres pour avoir qualifié Beyoncé de « terroriste du féminisme » et critiqué son recours « aux tropes de la victimisation et la soumission aux thèmes patriarcaux et capitalistes », l’écrivaine ne reste pas moins une grande penseuse de la sexualité féminine.
Son rêve : la libération sexuelle des femmes et des conversations féministes plus inclusive à propos de la sexualité.
Petit florilège des citations de l’afrofem sur le sujet.
« Les femmes ne seront vraiment libérées sexuellement que lorsque nous arriverons à un endroit où nous pourrons nous considérer comme ayant une valeur et une action sexuelles, indépendamment du fait que nous soyons ou non les objets du désir masculin. »
« En raison d’une socialisation sexiste, les femmes ont tendance à relativiser la satisfaction sexuelle. Nous reconnaissons sa valeur sans pour autant la laisser devenir la mesure absolue de la connexion intime. Les femmes éclairées veulent des rencontres érotiques satisfaisantes autant que les hommes, mais nous préférons en fin de compte que la satisfaction érotique s’inscrive dans un contexte où il existe une connexion intime et aimante. Si les hommes étaient socialisés pour désirer l’amour autant qu’on leur apprend à désirer le sexe, nous assisterions à une révolution culturelle. En l’état actuel des choses, la plupart des hommes ont tendance à se préoccuper davantage de leurs performances et de leur satisfaction sexuelles que de leur capacité à donner et à recevoir de l’amour. »
« La liberté sexuelle des femmes exige des moyens de contraception fiables et sûrs. Sans cela, les femmes ne peuvent pas exercer un contrôle total sur les résultats de l’activité sexuelle. Mais la liberté sexuelle féminine exige également la connaissance de son corps, la compréhension de la signification de l’intégrité sexuelle. Le premier militantisme féministe autour de la sexualité s’est tellement concentré sur la politique visant à accorder aux femmes le droit d’avoir des relations sexuelles quand elles le veulent, avec qui elles le veulent, qu’il y a eu peu d’éducation féministe pour une conscience critique nous apprenant à respecter notre corps d’une manière anti-sexiste, nous apprenant à quoi pourrait ressembler le sexe libérateur ».
Tout le monde peut être féministe: une politique du cœur ; All About Love: New Visions ; A Feminist Sexual Politic: An Ethics of Mutual Freedom dans Tout le monde peut être féministe: une politique du cœur
Bref, l’écrivaine laisse derrière elle un gigantesque héritage.
bell hooks, merci de nous laisser d’inestimables outils pour que nous aider à décoloniser le féminisme, le genre, le sexe et l’amour. Merci pour les communautés queer et racisées ! Rest in Power.
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Crédits photos : couverture de l’ouvrage Ne suis-je pas une femme ? Les femmes noires et le féminisme / capture d’écran de l’émission Speaking Freely.
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