Les histoires d’amour finissent mal… en général, et ça se passe au Japon comme dans la chanson. Peu d’espoir pour les amoureux transis, mais tant pis : mourir de chagrin, c’est beau. C’est ce qu’on pressent rapidement en lisant l’admirable livre d’Agnès Giard, Les histoires d’amour au Japon.
Le koi, passion funeste
L’amour malheureux est un thème abordé très tôt dans la littérature et la tradition orale de l’archipel. C’est beau car c’est triste, comme Roméo et Juliette ou Tristan et Iseult (j’aimerais citer ici Jennifer Aniston et Brad Pitt, mais comme personne ne meurt, ça ne marche pas). On s’aime mais pour des tas de raisons, ça n’est pas possible donc on se tue. La comparaison s’arrête là.
L’amour ? La fidélité ? L’hétérosexualité ? Le mariage ? Des concepts occidentaux qui ont été plaquées sur la réalité japonaise au début du XXème siècle. L’amour a plus à voir avec la passion, la violence, l’obsession : c’est le koi. La moitié des légendes, contes, histoires d’amour célèbres commencent comme un récit de viol. Les couples se forment, se font l’amour sans s’être vus, parfois sans savoir l’identité de l’autre. A l’époque Heian (794-1185), avant l’âge féodal, on considère qu’une femme est mariée si le même homme lui rend visite plusieurs nuits de suite, régulièrement. S’il cesse de venir, l’union est rompue. Simple comme bonjour, plus facile encore que le PACS !
La polygamie a longtemps été de mise au Japon ; les hommes avaient plusieurs épouses, des maîtresses et pas mal de coups de sang. Les femmes encaissaient, s’en arrangeaient, voyaient plusieurs amants. Quant à l’hétérosexualité, elle n’était pas exclusive. Agnès Giard cite dans son livre un homme que la rumeur dit malade, car il ne couche qu’avec des femmes. Dans les monastères, entre guerriers ou gens de cour, les relations homosexuelles existent et peuvent, elles aussi, prétendre au romantisme et à la beauté de l’amour malheureux.
Transgression, suicide et assassinat
En commençant ses recherches, Agnès Giard souhaitait rassembler les cent histoires d’amour les plus célèbres au Japon. Mais les contes se réécrivent, se transforment, se ressemblent, s’additionnent, se superposent : bref, tout se mélange. L’auteur a préféré classer les légendes, contes ou récits selon leur motif.
On y retrouve notamment l’idée de transgression. Les protagonistes aiment malgré leur différence de classe sociale, malgré l’interdit ou la morale. Des fils de bonnes familles tombent fou amoureux de prostituées de luxe et leur consacrent toute leur fortune. Des servants s’éprennent de princesses inaccessibles, des courtisanes s’amourachent de moines, la belle-mère ne pense plus qu’à son fils adoptif, on épouse la veuve de son frère, la jumelle ou la sœur cadette d’une femme aimée et disparue… Des configurations pour le moins compliquées, et qui sont, au Japon, le signe de l’attachement véritable – car le cœur ne se soucie pas des contraintes.
En revanche, ces contraintes, on les rumine, et c’est ce qui mène au deuxième motif omniprésent de cette mythologie amoureuse : la mort
. Reflet ou prolongement de l’amour, elle en est souvent la conclusion. On se tue de désespoir, pour se sortir d’affaire. On se jette à l’eau pour noyer son chagrin, pour sauver son honneur, par fidélité à un être décédé. On promet de mourir ensemble : si la vie ne permet pas de vivre son amour, l’au-delà, au moins, l’autorisera. Le double suicide amoureux est présenté comme un idéal, le sacrifice ultime.
Mais la mort, c’est aussi l’assassinat, la violence sur autrui, la perte totale de la maîtrise de soi. On raconte des histoires de femmes jalouses dont le double allait, la nuit, torturer la maîtresse du mari, laissant pour tout souvenir un cauchemar perturbant. Les vengeances des femmes trompées ou abandonnées sont terribles et se prolongent après leur mort, parfois à la génération suivante.
Fantômes et femmes-serpents
Le fantastique s’invite souvent, via des histoires de fantômes revanchards, ou de femmes qui ne sont pas ce que l’on croit. Comme dans le conte de la femme grue. Ça marche toujours pareil : un jour, un homme épargne un animal, une grue, un renard, un serpent. Quelques jours plus tard, il trouve devant sa porte une jeune femme sublime, qu’il héberge, dont il tombe amoureux et qu’il épouse. Tout va pour le mieux, bien que la femme ait sa zone de secret – qu’elle demande à son mari de respecter. Un jour, il ne résiste plus et regarde ce qu’il devait ignorer : la vraie nature de sa femme, surprise à s’arracher des plumes, à prendre un bain dans la marmite, à lisser son pelage. Humiliée, la femme reprend sa forme originelle et le quitte.
Le répertoire japonais regorge aussi d’histoires de serpent prenant la forme d’un homme pour séduire une jeune fille, ou l’inverse. En cherchant à découvrir son identité, on blesse l’amoureux-se à mort, ou on précipite la séparation. Vouloir tout connaître de l’autre, c’est le perdre.
J’admire le travail de bibliographie, de recherche, de mise en relation qu’Agnès Giard a réalisé pour écrire son livre. Assemblés par motif, les contes s’éclairent les uns les autres ; des œuvres d’artistes contemporains prolongent le dialogue. Des témoignages de sociologues, de spécialistes, des conteurs, de professeurs, japonais ou étrangers, viennent approfondir la compréhension de ces mythes, fondateurs comme contemporains, qui sont aussi des clés pour analyser le Japon d’aujourd’hui et sa production culturelle. Et pour ceux qui veulent commencer doucement, je conseille L’oeil du serpent, en Folio 2€.
Et toi, es-tu un lecteur ou une lectrice de contes ? Connais-tu quelques légendes japonaises ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
J'adore les yuki onnas aussi, et le koi bien sûr. Combien de fois ais-je pleuré devant un yaoi où le couple se suicide à la fin -_- Simple, mais toujours efficace.