Si les récits de grands aventuriers — réels ou purement fictifs — vous fascinent, accrochez-vous à vos jupons, car voici l’histoire de Mary Henrietta Kingsley.
Une enfant coincée chez elle, voyageant par procuration
Mary est née le 13 octobre 1862 à Londres ; c’est la fille du médecin, écrivain et grand voyageur George Kingsley et de Mary Bailey, une employée de cuisine mise enceinte par accident. Les parents de Mary Kingsley se sont mariés quatre jours avant sa naissance, lui évitant de justesse le titre d’enfant illégitime.
Son père passe son temps à voyager aux quatre coins du globe et Mary peut passer plusieurs années sans le voir, n’obtenant de ses nouvelles que par les lettres qu’il daigne lui envoyer. Sa mère est invalide, et doit donc être surveillée à toute heure. Ce qui signifie que Mary ne peut ni aller à l’école, ni se créer un semblant de vie sociale : elle passe donc tout son temps chez elle, à s’occuper de sa mère.
Son temps libre, elle l’occupe en lisant tous les livres de la bibliothèque de son père. Elle apprend le latin, l’allemand, l’arabe, le syrien, la physique et la chimie, et se régale des récits de voyages des grands explorateurs. Elle devient alors l’assistante de son père et l’aide à cataloguer tous les échantillons et spécimens qu’il fait envoyer à Londres.
Et soudain, en 1892, la vie de Mary change radicalement, en à peine six semaines. D’abord, son père décède des suites de la maladie de Bouillaud, suivi quelques semaines plus tard par sa mère. Du jour au lendemain, Mary se retrouve seule… et libre. Plutôt que d’en profiter pour organiser des grosses teufs chez elle, elle décide de partir pour l’Afrique, l’endroit réputé le plus dangereux de la Terre à l’époque, mais qui fascine de nombreux explorateurs.
Une badass de compétition en jolie robe
En août 1893, elle pose donc les pieds sur le territoire africain, avec pour seuls compagnons sa valise, son cabas, son couteau et son revolver.
Et si vous commencez à visualiser une jeune femme en tenue d’explorateur, arrêtez tout de suite : Mary avait, jusqu’ici, toujours porté de longues robes noires, assorties d’un petit chapeau de la même couleur, et n’avait absolument pas l’intention de changer de look une fois arrivée en Afrique. C’est donc en robe qu’elle se met en quête d’aventures et de découvertes, s’assurant ainsi d’être parfaitement reconnaissable partout où elle met les pieds.
De plus, elle n’est pas du genre à défaillir devant la moindre petite bestiole : Mary se rit du danger, et n’hésite pas à prendre les devants lorsqu’il s’agit de se défendre. C’est ainsi qu’on a pu la voir mettre un gros coup de rame dans la gueule d’un crocodile un peu trop entreprenant ou encore jeter une poterie à la tête d’un léopard affamé, tranquillement. Son ami Rudyard Kipling dit d’ailleurs d’elle que s’il existe une chose au monde qui peut l’effrayer… personne ne l’a encore trouvée.
Entre 1893 et 1894, elle explore donc les territoires qui forment aujourd’hui le Nigeria, la Sierra Leone et le Gabon. Elle devient au passage la première femme à gravir le Mont Cameroun (une petite marche d’environ 4 040 mètres d’altitude, pas de quoi en faire un fromage quoi).
Sa motivation principale pour cette ascension ? « Obtenir une bonne vue ». Elle voulait simplement trouver un endroit assez haut perché pour observer la chaîne de montagnes qui borde la ville de Calabar. Mais la météo n’est pas de son côté et, une fois arrivée au sommet, elle constate qu’elle ne voit que dalle, et que ses efforts ne seront jamais récompensés. Elle n’a que faire de l’exploit qu’elle vient d’accomplir, tout ce qui l’intéressait c’était la vue, et n’ayant pas pu en profiter, elle fait demi-tour, dégoûtée.
Et pourtant, peu de choses semblent dégoûter Mary Kingsley.
Mary chez les Fang, peuple anthropophage
C’est sans trop de chichis qu’elle rend visite à la tribu des Fang, adepte, entre autres choses, de l’anthropophagie. Difficile de ne pas penser au cliché de l’explorateur blanc plongé vivant dans la grande marmite des sauvages cannibales… et c’est pourtant assez éloigné de la réalité, du moins en ce qui concerne le destin de Mary Kingsley.
Elle n’hésite pas à passer le plus de temps possible en compagnie des Fang, dormant dans une de leurs huttes et s’exposant au passage à de macabres découvertes.
Un jour, perturbée par la violente odeur de mort qui règne dans sa hutte, elle découvre un sac de toile suspendu au plafond ; étant celle qu’elle est, elle s’en saisit, en vide le contenu dans son chapeau (« de peur de perdre un objet de valeur ») et… tombe nez à nez avec « une main humaine, trois gros orteils, quatre yeux, deux oreilles, et d’autres parties du corps humain
». La main était fraîche, mais le reste était un peu flétri.
Pas trop perturbée, elle remet tout ça dans le sac, qu’elle raccroche à sa place. Je rappelle juste qu’il s’agit d’une femme du XIXème siècle qui voyageait, le plus souvent, seule en Afrique et qui dormait chez des cannibales. Et moi je me sens comme une ouf quand je traverse alors que le petit bonhomme est rouge.
Elle apprend plus tard que, si les Fangs n’ont rien contre l’idée de grignoter du congénère, ils n’ont pas non plus de problème avec l’idée d’en garder des petits souvenirs. Un trait de caractère qu’elle qualifie d’ailleurs de « touchant ».
Un profond respect pour l’Afrique et les peuples qui y habitent
Et ça n’a rien d’étonnant, en réalité, puisque les idées de Mary et sa vision de l’Afrique et de ses habitants sont à des milliers de kilomètres de celles qui courent les rues à l’époque. Elle refuse de voir les indigènes comme des « sauvages » et trouve leur mode de vie souvent bien plus évolué et civilisé que celui des Blancs. Elle n’accepte pas que les grandes autorités européennes ne réservent que leurs « vieux jouets » au continent : « des missionnaires, des commis, de bonnes intentions, l’ignorance et des mitrailleuses Maxim ».
Pour elle, l’Afrique mérite mieux, elle mérite d’être explorée, connue, observée, et surtout, respectée. Le continent devient l’amour de sa vie, sa raison d’être ; elle ne se mariera d’ailleurs jamais.
Lors d’un de ses passages à Londres en 1895, elle souffre tellement du manque du territoire africain qu’elle fout le chauffage à fond et se balade dans les rues avec un singe perché sur l’épaule.
Une femme moderne, oui, mais une féministe, jamais !
Mais malgré toute cette force, cette indépendance, cette émancipation et ce mode de vie peu courant pour l’époque, ne vous avisez pas de traiter Mary Kingsley de féministe. Toute sa vie, elle restera profondément opposée au droit de vote des femmes et ne supporte pas qu’on la qualifie de « Nouvelle Femme ». Certains pensent que ce rejet est peut-être lié au fait qu’elle voulait que son travail soit bien reçu et que, s’il était sorti de l’esprit d’une « féministe », il aurait été mis de côté ou détruit.
Quoi qu’il en soit, elle ne s’est jamais exprimée en faveur de l’égalité des sexes et méprisait les androgynes. Ce n’est pas pour rien qu’elle a gardé ses longues robes même lors de ses explorations : il était hors de question pour elle de se « travestir ». Elle déclara d’ailleurs qu’elle préfèrerait être pendue plutôt qu’être vue en pantalon !
Mary Kingsley est morte de la typhoïde en 1900, et son corps déposé dans la mer, comme elle l’avait souhaité.
Si vous aimez les récits de voyages, d’aventures, que vous vous demandez quel goût a la viande de python ou ce que ça fait de survivre à une attaque de sauterelles, je vous conseille de vous ruer sur les deux oeuvres majeures de Mary Kingsley : Travels in West Africa et West African Studies (Une Odyssée Africaine est trouvable en français, mais difficilement). Le style de Mary est léger, drôle, souvent dénué de tout jugement et très, très agréable à lire. Si vous n’avez pas trop de mal à déchiffrer l’anglais, n’hésitez pas, d’autant plus que les deux bouquins sont disponibles gratuitement sur Project Gutenberg.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Sinon la dame ressemble trop à la "madame relou/gouvernante" de "retour au pensionnant 2013" :
non ?