L’Herbier sauvage est un livre érotique de Fabien Vehlmann et Chloé Cruchaudet qui est paru il y a peu de temps aux éditions Soleil. Si vous aimez les articles de Josée l’Obsédée et les strips de Cy.(prine), j’ai trouvé votre prochaine lecture !
Vous connaissez peut-être Fabien Vehlmann pour son boulot de scénariste sur la série de bandes dessinées jeunesse Seuls (où suite à la disparition des habitants de la ville, cinq enfants doivent se débrouiller dans un monde sans adultes), ou certaines aventures de Spirou et Fantasio.
Comme vous pourrez le constater, avec ces quelques éléments bibliographiques non-exhaustifs, on se situe tout de même assez loin de l’érotisme.
Chloé Cruchaudet, illustratrice sur le projet, a connu un très vif succès au moment de la parution de sa bande dessinée Mauvais genre en 2013, remportant notamment en 2014 le Prix du public au Festival d’Angoulême. Cette œuvre raconte l’histoire de Louise et Paul ; ce dernier est amené à se travestir pour échapper à l’horreur des tranchées de la Première Guerre mondiale.
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On a donc deux pointures de la bande dessinée : autant dire que ce duo ne laissait présager que du bon. La première chose à souligner, c’est toutefois que L’Herbier sauvage n’est pas une bande dessinée, mais un texte illustré.
Du coup, quel est le projet ? Fabien Vehlmann a eu l’idée et l’envie de faire un livre érotique, mais la question qui s’est vite posée, c’est celle de la forme.
Il a donc opté pour celle des entretiens, qu’il a menés auprès de son entourage plus ou moins proche, mais aussi auprès d’inconnu•es dans le cadre de festivals. Il a également fait paraître des petites annonces dans les journaux pour inviter les gens à partager leur expérience.
Il a récolté tout un tas de petites histoires au fil de ces rencontres plus ou moins fortuites. En véritable reporter de terrain, Fabien Vehlmann a par exemple été en immersion dans des lieux de libertinage pour en apprendre un peu plus sur ce milieu, toujours en toute bienveillance.
Les personnes interrogées ont raconté leurs anecdotes autour du sexe : ce qu’elles avaient pu voir, expérimenter, entendre, leur rapport à la sexualité, leurs rêves coquins, ce qui les émoustille. Elles ont aussi raconté leurs pratiques et l’histoire qui peut y être rattachée.
Ces récits ne sont pas uniquement centrés sur des actes sexuels : un homme de 70 ans raconte par exemple qu’il a réalisé qu’il était éperdument amoureux de sa femme le jour où sa libido a été complètement annihilée par sa chimiothérapie.
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Les histoires ont d’abord fait l’objet d’articles sur un blog, puis ont été publiées dans la revue numérique Professeur Cyclope, dont Fabien Vehlmann est l’un des instigateurs. Puis grâce aux éditions Soleil, le numérique est devenu papier.
Il en résulte cet Herbier très étonnant, dans lequel on peut picorer à notre rythme et notre convenance des anecdotes. La pluralité ces dernières sont à l’image de la pluralité des êtres humains rencontrés : troublantes, crues, étonnantes, émouvantes, perturbantes, émoustillantes.
L’objet livre est lui-même très réussi : des rabats présents sur les pages permettent de déshabiller l’œuvre pour exposer les illustrations.
La bonne nouvelle, c’est que Fabien Vehlmann ne compte pas s’arrêter là : d’autres livres sont prévus, avec un nouvel illustrateur !
De fantasmes de sexagénaires au récit d’un plan à trois avec une jeune femme handicapée, L’Herbier sauvage raconte la vraie vie. Il revendique d’ailleurs un côté sociologique, et tient lieu de témoignage sur la sexualité au XXIème siècle. Au lieu de découvrir à quoi ressemble une feuille de chêne ou de saule pleureur, on découvre la relation qu’entretienne les gens d’aujourd’hui avec le sexe !
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Le trait magnifique de Chloé Cruchaudet apporte une touche de délicatesse et d’onirisme à des scènes sélectionnées par la dessinatrice elle-même. Elle réussit le tour de force d’amener de l’esthétisme à la représentation de certaines situations triviales, de l’émotion dans les scènes grâce aux expressions de ses personnages…
Avec un attachement pour la diversité des corps et dans un souci d’être au plus près de la réalité, Chloé Cruchaudet peint des silhouettes aux formes et reliefs réalistes, qui ne sont pas lisses et dont les « imperfections » ne sont pas censurées : vous verrez des poils et des poignées d’amour sublimés !
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En bref, L’Herbier sauvage est un portrait-robot de la sexualité d’aujourd’hui, sans tabou mais sans racolage, dans le respect et la tendresse pour l’être humain. On peut se sentir troublé•e, perturbé•e, mais il en résulte surtout un livre passionnant, somme de petites histoires aux longueurs variées à picorer pour partager en toute complicité l’intimité de ceux qui ont accepté de se dévoiler.
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