En partenariat avec Urban Link (notre Manifeste)
Est-ce qu’on va aborder ce sujet sous un angle intersectionnel ? Les questions de classe sont intrinsèquement genrées et racisées.
Cette phrase n’est pas issue d’un documentaire sur le féminisme ni d’un cours d’études de genre, mais d’un comics ayant Harley Quinn pour personnage principal ! Et c’est (Poison) Ivy qui la prononce.
En 2020, les super-vilaines et super-héroïnes se réinventent en adolescentes engagées, à l’image des jeunes femmes d’aujourd’hui. Une belle évolution qui fait écho à un monde en pleine révolution : même masqués, les personnages sont woke*.
*Woke : terme issu de l’anglais, venant des combats antiracistes, désignant le fait d’être informée et engagée dans les luttes contre les inégalités sociales : sexisme, racisme, discriminations envers les personnes LGBT+, réchauffement climatique, validisme, différences de classes sociales… En français, on utilise parfois « déconstruit » ou « déconstruite ».
Réinventer l’adolescence de Harley Quinn, Catwoman & co.
Sous l’étiquette Urban Link, le nouveau label d’Urban Comics à la cible young adult, une dizaine de romans graphiques sont parus ou vont paraître en 2020. Le but ? Faire redécouvrir aux ados et jeunes adultes des personnages cultes, de DC Comics et d’ailleurs.
Les ouvrages font la part belle aux héroïnes, qu’elles soient du « bon » ou du « mauvais » côté de la loi : Kara, alias Supergirl, mais aussi Dinah Lance, le vrai nom de Black Canary, qui troque son costume de justicière contre un rôle de leader dans un groupe de rock. Mais il y a surtout Harleen Quinzel, future Harley Quinn, qui côtoie Selina Kyle, la jeune Catwoman, toutes deux réinventées en adolescentes engagées.
Et les femmes ne sont pas que sur les pages, elles sont aussi derrière la plume : de nombreuses scénaristes et autrices sont mobilisées sur ces nouvelles collections, posant sur ces héroïnes cultes leur regard rafraîchissant !
Quand Harley Quinn et Catwoman se heurtent aux injustices
Dans Breaking Glass, Harleen Quinzel est une adolescente enjouée et tête brûlée qui emménage à Gotham parce que sa mère part bosser sur une croisière. Elle se retrouve à vivre avec une bande d’adorables drag-queens, se lie d’amitié avec la très militante Ivy, et assiste avec colère à la gentrification de son quartier orchestrée par la multinationale Kane : ses amis sont expulsés, elle-même risque de finir à la rue, le jardin partagé du quartier va disparaître…
Tout ça pour laisser la place à des gens riches, désagréables, fermés d’esprit, et mal habillés (en plus). Il n’en faut pas plus pour qu’Harleen envisage l’action directe contre Kane, encouragée par un mystérieux Joker qui aime péter des vitrines à la nuit tombée…
Selina Kyle, de son côté, est aux prises dans Under the Moon avec un ennemi terrifiant : celui des violences patriarcales, incarnées par le compagnon de sa mère. Un être malveillant qui joue de ses poings, de ses pieds et de sa force physique pour la forcer à obéir. Révoltée, l’adolescente finira par quitter ce foyer douloureux pour se retrouver sans-abri, à seulement quinze ans.
C’est dans la rue qu’elle rencontrera un petit groupe hétéroclite mais très organisé, décidé à braquer un riche manoir… avec l’aide de Selina. Laquelle s’engage sans hésiter sur cette pente franchement glissante, motivée par son envie de se venger face à un monde qui l’a sans cesse maltraitée.
Katchoo tient le blog The Lesbian Geek ; vous pouvez la retrouver sur son compte Twitter mais aussi sur celui de Women of Comics. Elle rappelle à madmoiZelle :
La particularité de ces deux anti-héroïnes est qu’elles ont été conçues pour être des compagnes (ou comme on dit dans le jargon des love interests) des deux grandes figures masculines de Gotham City. Harley Quinn est au départ l’amoureuse transie du Joker, et Catwoman à ses débuts fait tourner la tête de Batman — au grand désespoir de Robin…
Au fil des années (Catwoman a été créée bien avant Harley Quinn), elles ont réussi à s’émanciper jusqu’à avoir droit à leurs propres séries.
Gotham City, une ville gangrenée par les inégalités
Ce n’est bien évidemment pas la première fois que les inégalités sont évoquées dans les œuvres DC Comics : tout le monde sait que Gotham est pleine de sans-abris, pourvue d’un asile psychiatrique qui ne soigne personne, et est si gangrenée par la corruption que même le multimillionnaire Bruce Wayne ne peut pas tout régler d’un coup « d’argent magique » (bisous Macron).
Mais si les pires ennemis de l’homme chauve-souris viennent souvent des bas-fonds de la ville, les inégalités n’ont pas toujours été traitées comme un moteur d’action. Nivrae, chroniqueuse pour le podcast Comics Outcast, explique à madmoiZelle :
Catwoman vit à East End [un quartier difficile de Gotham, NDLR]. Pour moi, c’était la première à réellement ouvrir les yeux, car quand on vit au cœur des problèmes, on les voit mieux. Bruce Wayne est un héritier ; même s’il veut faire le bien, il a du mal à déceler l’origine du mal. On sent plusieurs fois une envie de Catwoman de transmettre à Batman la douleur et la réalité de Gotham.
On a vu Harley Quinn réagir à des injustices par le passé, mais comme son personnage est longtemps resté dans les pattes du Joker, on ne peut pas dire qu’elle ait été particulièrement engagée — ou alors pour rendre service à son cher « Pudding ». Poison Ivy lui a ouvert les yeux à quelques reprises, mais elle a plus tendance à suivre les idées des autres qu’à s’affirmer en justicière.
Pourquoi offrir à Harleen Quinzel et Selina Kyle (pour ne parler qu’elles) ce sursaut d’engagement politique ? Parce que les personnages de comics ont toujours évolué avec leur temps ! Et c’est aussi en permettant à des femmes de créer leurs aventures qu’on a le droit à des héroïnes aussi modernes.
Harley Quinn et Catwoman, aussi woke que les ados d’aujourd’hui
Selon un sondage mené par le Washington Post, en 2016, 63% des Américaines âgées de 18 à 34 ans s’identifiaient comme féministes. L’année suivante, une nouvelle étude effectuée à Londres affirmait que 69% des adolescentes britanniques (13 à 18 ans) se disaient féministes. Et en France, en 2018, 77% des femmes de 15 à 24 ans affirmaient être féministes !
Toutes ces femmes, surtout les plus jeunes, sont en perpétuelle recherche de modèles qui leur ressemblent, que ce soit dans la vraie vie ou dans la fiction. Il est donc logique de réinventer ces héroïnes, ce que les comics font depuis la nuit des temps, et les faire correspondre aux attentes des adolescentes qui découvriront peut-être Harley Quinn et Catwoman au détour de ces nouvelles aventures.
Sofia, du blog Lire en Bulles, et qui intervient aussi chez Women of Comics, analyse pour madmoiZelle :
Les personnages féminins sont de plus en plus demandés, par les fans de longue date mais aussi par les gens qui n’y connaissent pas forcément grand-chose. Il faut penser également aux jeunes filles, ou aux femmes plus mûres d’ailleurs, qui cherchent à voir des héroïnes plus en accord avec leurs valeurs et mode de vie.
Nivrae poursuit l’analyse :
Les deux récits présentés par Urban dans cette collection Link font partie d’un renouveau […] et d’une envie d’attirer un public adolescent. Ils ressemblent davantage à un roman graphique qu’à un comics traditionnel, quittent un peu les aventures classiques pour proposer des intrigues plus proches de personnages rarement creusés d’habitude, souvent des personnages féminins et engagés. On est très loin des « méchants contre les gentils ». […]
Ces histoires récentes, centrées sur Harley Quinn et Catwoman, valent le détour car elles contiennent une dose de modernité sortant les personnages de leur aspect un peu « faire-valoir ». Et surtout, surtout, elles osent parler écologie, femmes battues, identités LGBTQ+…
[…] Par rapport aux personnages que j’ai connus dans mon enfance, ceux-là sont beaucoup plus adaptés ; malgré leur aspect « vilain », ils ont des intentions qui sont matures et surtout ancrés dans les questions de société moderne.
Harley Quinn et Catwoman, des héroïnes déjà queer
Difficile d’imaginer les adolescentes de 2020, biberonnées aux comptes Instagram féministes, au militantisme contre toute forme d’oppression, aux vidéos et aux actions contre les dress-codes sexistes, se passionner pour les aventures de Bruce Wayne, gosse de riche blanc, cisgenre et hétéro qui devrait probablement consulter un psy au lieu d’escalader des gargouilles la nuit.
Par contre, une Harleen Quinzel qui aide sa pote Ivy à programmer des films réalisés par des femmes racisées dans le club de ciné de son lycée, et qui coud son premier costume grâce à des pièces récoltées en friperie ou piquées à ses potes drag-queen, ça, c’est moderne !
Et ce n’est pas comme si les personnages avaient été totalement dénaturés — Harley Quinn comme Catwoman sont depuis longtemps des femmes aux identités queer. Un peu d’histoire avec Sofia de Lire en Bulles :
Harley est un personnage queer qui s’accepte comme elle est, et accepte tout autant ceux qui l’entourent. […] On l’oublie souvent, mais elle est ouvertement bisexuelle : on la voit avec des hommes, le Joker en tête, mais aussi des femmes, dont Poison Ivy.
En 2015, c’est au tour de Selina Kyle d’embrasser son appartenance aux communautés LGBT+, dans le Catwoman #39 écrit par Genevieve Valentine. La rumeur courait depuis des années, mais là, c’est montré noir sur blanc.
Avec ces nouvelles aventures, Urban Link réussit son pari : réinventer des personnages cultes sans les dénaturer, et offrir aux adolescentes d’aujourd’hui des héroïnes qui leur ressemblent, partagent leurs luttes, leur ouverture d’esprit, leurs identités… au point qu’elles sauront sans aucun doute conquérir aussi le cœur des fans de toujours.
Harley Quinn : Breaking Glass et Catwoman : Under the Moon sont d’ores et déjà disponibles, n’hésitez pas à les dévorer pour redécouvrir ces héroïnes qui ressemblent à vos meilleures potes !
Vous pouvez aussi jeter un œil au catalogue Urban Link (de nombreux extraits sont disponibles) et retrouver ici tous les titres de la collection.
Les Commentaires
Tout ça pour dire que je me méfie énormément des films et comics depuis, parce que sous un vernis pop woke, on peut faire passer les produits les plus crades et hypocrites.(et je trouve que ça arrive bcp parce que sans subversion/remise en cause profonde du système le wokisme ne sert qu'à entériner un système capitaliste qui...capitalise...sur les normes et préjugés pour conforter le consommateur).