Mise à jour du 10 février 2016 — La commission mixte paritaire qui s’est réunie ce jour est arrivée à un accord à propos de l’article 14 : il a été réintégré au texte, avec une rédaction modifiée, qui conserve l’accent sur « la prévention et le recensement des violences à caractère sexiste ».
Une disposition a été retirée, concernant la formation des personnels de sécurité des sociétés de transport : une telle mesure relève bien du pouvoir réglementaire, ce sera donc au gouvernement (ministères en charge des Transports, et de l’Intérieur) de se saisir de cette question, déjà comprise dans le plan de lutte contre le harcèlement dans les transports, porté par la Secrétaire d’État en charge des Droits des Femmes, conjointement avec le Secrétaire d’État en charge des Transports.
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« Les modules de formation en question sont déjà en cours de fabrication », nous glisse l’entourage de Pascale Boistard. (Plus d’informations à venir sur ce sujet, notamment lors de la séance des Questions Au Gouvernement, avec une question de Marie Le Vern à Pascale Boistard à l’ordre du jour !)
Marie Le Vern se félicite de cette « victoire pour les femmes », qui est aussi « une victoire populaire, pour la vraie mobilisation, qui a permis d’ouvrir les esprits. ». La députée le confirme : les relais nombreux dans les médias, sur les réseaux sociaux, la pétition (qui dépasse les 60 000 signatures), tout cette mobilisation a effectivement alerté les sénateurs sur l’importance de ce sujet.
Article initialement publié le 9 février 2016 — Résumé des épisodes précédents : Marie Le Vern, députée membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, est l’auteure d’un article de loi visant à lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports.
La commission des lois du Sénat a supprimé cet article lors de son examen du texte : ces dispositions n’y ont pas leur place, selon elle. Marie Le Vern a tweeté sa réaction, ce qui nous a amenées à nous intéresser de plus près à ce sujet.
Notre article a suscité de nombreuses réactions, y compris celle des sénateurs, puisque le groupe socialiste a tweeté son soutien à l’article 14, tandis que la commission des lois a publié un communiqué de presse vendredi 5 février, en début de soirée.
Cette réponse, qui reprend de très près la motivation initiale de la commission des lois, ne répond pas aux inquiétudes des citoyen•ne•s, partagées très largement sur les réseaux sociaux.
C’est une commission composée à parité de sénateurs et de députés qui devra trancher sur le texte de loi. Cette commission mixte paritaire se réunit mercredi 10 février.
On est allées à la rencontre de Marie Le Vern, la députée à l’origine de cet article, afin qu’elle nous explique concrètement les dispositions qu’il porte, ainsi que les enjeux qui entourent son adoption, pour la reconnaissance officielle du harcèlement sexiste dans les transports. (Votre notre vidéo, en tête d’article).
Dans le même temps, j’ai pu m’entretenir avec le sénateur Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous lui avons demandé des précisions sur la réponse publiée par communiqué de presse, qui nous laisse pour le moins frustrées…
Entretien avec Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat
L’article 14 a été préparé en amont, avec les sociétés de transports, avec les acteurs publics engagés sur les questions relatives aux droits des femmes. Votre commission le supprime, et qualifie les protestations qui s’ensuivent de « polémiques stériles » ! Est-ce que vous comprenez la mobilisation qui s’est créée pour protester contre la suppression de cet article ?
« Bien sûr que oui. Mais simplement, ni les entreprises de transport, ni ces acteurs, ne sont des institutions qualifiées sur la manière dont on écrit les choses en droit.
« En droit, faire des énumérations est nuisible »
Il n’existe pas, en droit, d’énumération à faire : c’est même nuisible. Quand vous dites que vous sanctionnez les actes de délinquance, si vous commencez une énumération, vous êtes obligé de la continuer, d’en faire l’inventaire exhaustif. Ne pas spécifier qu’on sanctionne tel ou tel acte dans ce contexte est une exigence juridique. »
Sur ce point, il faut effectivement être très prudent, et cela, Marie Le Vern y est également attentive. Elle souligne cependant que la commission des lois de l’Assemblée Nationale n’a pas soulevé cet argument. Il appartiendra aux membres de la commission mixte paritaire de trouver à ce texte une rédaction rigoureuse, qui ne laisse pas place aux interprétations contraires aux intentions du législateur, fussent-elles louables.
« Ça n’est pas utile de spécifier un délit en particulier »
Pour Philippe Bas, la question centrale du débat doit être celle de l’utilité de la loi :
« Si la question est celle de l’utilité de la loi, alors ça n’est pas utile de spécifier le délit dont on va renforcer la prévention et la poursuite. Ce qui est utile, c’est de bien renforcer les pouvoirs de la police, de la justice, l’importance des sanctions, mais pour tous les délits. »
Pourquoi votre commission n’a-t-il pas proposé de rédaction alternative, qui est le travail habituel des commissions parlementaires, et pourquoi avoir procédé à la suppression pure et simple de l’article ?
« Parce qu’il est inutile du point de vue juridique, et ça n’est pas pour nous une manière de vouloir baisser la garde face à un type de délit qu’est le harcèlement sexiste dans les transports, qui effectivement est un vrai problème de société.
La rédaction est bonne : le harcèlement est inclus dans les actes de délinquance
Nous ne faisons que dire que le harcèlement sexiste dans les transports est couvert par la référence aux actes de délinquance. Il est dans le code pénal. Donc nous n’avons pas besoin de faire une rédaction alternative, parce que la rédaction est bonne.
S’il s’agit de dire qu’on veut mettre l’accent sur ce délit, faisons à ce moment-là une instruction du gouvernement aux entreprises de transport, à la police et aux procureurs, pour dire « parmi les délits auxquels je vous demande d’être particulièrement attentifs, et que nous devons poursuivre, il y a le délit de harcèlement sexiste ».
« Nous ne baissons pas la garde »
« Nous ne baissons pas la garde, nous pouvons inciter à ce que ce problème de société soit mieux pris en compte, c’est absolument indispensable. Le harcèlement sexiste dans les transports, ça existe. Nous en sommes parfaitement conscients. »
C’est bien l’un des reproches qui est fait aux sénateurs : si l’on se reporte au compte-rendu de la séance du 28 janvier, on note un « regret » de n’avoir pu discuter de l’article en séance, mais pas d’engagement à se saisir du sujet par un autre moyen. Le mentionner aurait pourtant été un moyen de consigner cette volonté dans le compte-rendu.
Intervention de Jacques Bigot, sénateur socialiste membre de la commission des lois, extrait du compte-rendu de la séance du 28 janvier.
Je souligne à ce moment de la discussion qu’une partie de l’incompréhension mutuelle qui nous divise vient du fait que si le harcèlement sexiste est bien reconnu dans la loi, ce n’est pas le cas dans les faits. Je peux bien aller porter plainte pour une main aux fesses, c’est effectivement une agression sexuelle, un délit selon le code pénal… mais dans les faits, dans un commissariat, on va me rire au nez. Le sénateur répond :
« Vous ne changerez rien à cette situation en ajoutant un membre de phrase à la loi. »
Voter une loi ne suffit pas à résoudre un problème, surtout lorsqu’il est profondément ancré dans la société, et qu’il peine encore à être reconnu dans les mentalités ! C’est pourquoi la reconnaissance légale, voulue en partie par la rédaction initiale de l’article 14, est si chère à la députée Le Vern : pour résoudre un problème, il faut commencer par le nommer, le mesurer. Mais pour Philippe Bas, le contexte de cette loi ne s’y prête pas :
« La loi n’est pas faite pour porter un simple discours, elle est faite pour poser une règle. Elle est faite pour créer une sanction. Dans le cas de cette mention, il n’y a ni règle ni sanction. Ça n’ajoute rien au droit en vigueur. Et ça laisse supposer que d’autres délits également très graves, qui ne seraient pas mentionnés, ne sont pas couverts. Alors que tous ces délits sont couverts, y compris le harcèlement sexiste dans les transports.
« Le harcèlement sexiste est un problème de société que personne ne conteste »
À partir du moment où vous adoptez pour les transports, des dispositions pour renforcer la lutte contre la délinquance dans les transports, il va de soi que ça couvre l’ensemble des actes de délinquance, parmi lesquels il y a ce harcèlement sexiste, qui est un authentique problème de société que personne ne conteste. La loi n’est pas là pour mettre en forme juridique un discours politique, la loi est faite pour poser des règles et des fonctions. »
« La loi n’est pas là pour mettre en forme juridique un discours politique »
Sur ce point, ça se discute. Si traduire un discours politique en droit n’est pas le but d’un texte de loi, c’est indéniablement ce que certains projets accomplissent, et l’actualité nous présente malheureusement quelques exemples de ces tentations d’intrusions politiciennes dans le droit. (Qui a dit « déchéance de nationalité » ?)
Même en écartant ces interférences, la loi reste un vecteur de transformation de la société. Elle accompagne ses évolutions, devançant parfois toute une partie de la population. On l’a vu avec la loi mariage pour tous, très attendue par certain•es (il était temps !), encore combattue par d’autres (qui « ne lâchent rien »).
Le harcèlement sexiste est déjà puni par la loi, mais il peine encore à être reconnu et réprouvé par la société (« c’est pas si grave » et autres « c’est de la séduction », n’est-ce pas)…
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Il ressort des entretiens croisés avec Marie Le Vern et Philippe Bas plusieurs points de convergence :
- un attachement à la lutte contre le harcèlement sexiste, « vrai problème de société » selon le président de la commission des lois du Sénat.
- un attachement à l’efficacité du texte de loi, qui ne doit pas être encombré de dispositions contre-productives.
C’est une bonne base pour entamer les discussions, qui auront lieu en commission mixte paritaire, mercredi 10 février.
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Les Commentaires
J'ai porté plainte hier pour une main, parce que la situation fait que peut-être l'agresseur sera attrapé, et ben faut pas hésiter. Je suis tombée sur des policiers éclairés qui n'ont rien minimisé et m'ont dit que j'avais bien fait, ça permet de montrer concrètement que c'est un problème massif à leur hiérarchie.