« Notre fils Mattéo a été victime de brimades et de coups de la 6ème à la 4ème, du fait de sa couleur de cheveux. Il était roux. Il s’est pendu le 8 février 2013. Il avait 13 ans. »
C’est sur ces mots que s’ouvre le documentaire Infrarouge Souffre-douleurs : ils se manifestent, diffusé mardi 10 février sur France 2 à l’occasion de la journée de mobilisation contre le harcèlement scolaire.
« Est-ce qu’il s’est rendu compte de son geste ? », demande son père, brisé par le chagrin. Mais une autre question demeure : et eux, ceux qui menaient les moqueries, ceux qui y participaient, ceux qui en étaient témoin sans les dénoncer, se sont-ils rendus compte de leur geste ?
Qui sont-ils ?
Il n’y a pas de profil-type du harceleur, ainsi que le souligne Andrea Rawlins-Gaston, auteure et réalisatrice du documentaire :
« Il n’y a pas de profil type chez les harceleurs. Tous les milieux sont représentés. Certains font même partie des amis de la victime, comme c’était le cas pour Marion [Fraisse]. Leur point commun ? Savoir créer autour d’eux une certaine popularité, embrigader les autres et empêcher quiconque de prendre la défense de celui ou de celle qui est harcelé•e sous peine d’être à son tour harcelé•e. Nous sommes vraiment confrontés à un phénomène de meute !
Pire, je pense que la majorité des gamins ne réalisent pas leur degré de cruauté. Il arrive que harceleur et harcelé•e se recontactent et bien souvent les harceleurs semblent tomber des nues, se défendant de tout acte malveillant, tant ils sont persuadés que leur comportement amusait celui dont on se moquait.
Les harcelé•e•s sont bien souvent victimes de leur différence, aussi minime soit-elle, et sans doute aussi d’une espèce de réserve ou de timidité qui les empêche de répondre à la première brimade.
Comme me l’expliquait Charlène, elle n’était pas la seule fille un peu ronde de sa classe mais, à sa différence, les autres rétorquaient. »
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Les victimes, elles, ont toutes en commun une différence, qu’elle soit réelle ou construite. Roux, « ronde et fan de Lorie », homosexuel… À un moment donné, ces personnes ont été prises pour cibles, et n’ont plus été lâchées.
Le harcèlement scolaire n’est plus circonscrit au périmètre des établissements depuis l’avènement des réseaux sociaux. Même si certain•e•s n’ont pas l’âge minimum requis ni l’autorisation de leurs parents, ils se créent des comptes en ligne. Ainsi, Nora Fraisse a découvert que sa fille Marion, 13 ans, avait une page Facebook sous un pseudonyme.
Ne dites pas qu’il suffit de se déconnecter pour être tranquille. L’isolement est un élément clé de l’emprise des harceleurs, et ne pas pouvoir échanger par Internet ou par SMS revient à s’exclure soi-même, ainsi que le pointe la réalisatrice :
« Au départ, toutes ces nouvelles technologies sont de merveilleux outils mais, utilisés à mauvais escient, ils peuvent devenir de véritables armes de destruction. D’après Justine Atlan, la directrice de l’Association e.enfance, ils seraient trois ou quatre victimes de cyber-harcèlement à se suicider chaque année.
Marion et les plus jeunes dans le film en ont été victimes. Le problème est qu’aujourd’hui, ne pas être présent sur les réseaux sociaux, revient à s’exclure, à passer pour un OVNI. »
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« Il faut en parler »
Cet isolement est justement le premier obstacle à franchir pour pouvoir sortir de la descente aux enfers, au cours de laquelle ceux et celles qui témoignent dans le documentaire ont retourné la violence des autres contre eux-mêmes.
Troubles du comportement alimentaire, mutilations… jusqu’aux tentatives de suicides. Et quand ce sont les parents qui témoignent face à la caméra, c’est que leur enfant a fini par se donner la mort. Pousser un suicide un gamin de 13 ans simplement parce qu’il est roux, ce serait absurde si ce n’était pas dramatique.
« À force d’entendre que j’étais grosse et moche, j’ai fini par le croire. »
Émeline, 16 ans.
Un réquisitoire contre l’inaction des adultes
Ce documentaire, très juste dans le ton, cru sans chercher à choquer, touchant sans misérabilisme, est plus qu’un témoignage sur la dure réalité du harcèlement scolaire en France.
À mesure des interviews réalisées dans des salles de classes désertes, le plaidoyer se mue en réquisitoire contre l’inaction des adultes, de tou•te•s les intervenant•e•s de la vie scolaire. Seuls les parents des victimes semblent porter la responsabilité de ce qui est arrivé à leur enfant, se sentant coupables de n’avoir su déceler les signes.
Ils sont en colère contre l’Institution, qui ne les a pas alertés : Nora Fraisse a découvert le harcèlement de sa fille après son suicide. Ils sont en colère contre l’Institution qui n’a pas su réagir : le proviseur du collège du Mattéo répondait à son père qu’il devait « s’endurcir » parce qu’il ne vivait pas « dans le monde des Bisounours ».
Mais dans quel monde un proviseur de collège considère qu’être harcelé est une « leçon », que ça fait « partie de la vie » d’être humilié parce qu’on est roux ? Il n’y a aucune vertu pédagogique à travailler avec les élèves sur leur rapport à la différence, sur les effets de meute, sur le rôle des témoins ? Vraiment ?
À la fin, tou•te•s les participant•e•s à ce projet signent l’appel à Najat Vallaud-Belkacem, pour interpeller directement l’institution scolaire. Le harcèlement a déjà fait trop de morts.
Souffre-douleurs, ils se manifestent
Un documentaire d’Infrarouge à revoir en replay sur Pluzz jusqu’au 10 mars.
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Les réactions de Najat Vallaud-Belkacem
La diffusion du documentaire a été suivie d’une table ronde en présence de Najat Vallaud-Belkacem, Justine Atlan, présidente de l’association e-enfance, Jean-Pierre Bellon, co-fondateur de l’Association pour la prévention du harcèlement entre élèves, ainsi que Sylvie Capiaux, la mère d’Émeline.
La ministre est revenue sur le retard accusé par la France dans la lutte contre le harcèlement scolaire, en réaffirmant sa volonté de le combattre (lire ci-dessous sa lettre adressée à l’ensemble de la communauté éducative).
Justine Atlan a souligné qu’il était possible aujourd’hui de faire fermer très rapidement des comptes Facebook, Twitter, YouTube, Instagram etc., grâce aux relations privilégiées qu’entretient l’association avec les sièges français de ces entreprises.
E-enfance a les moyens de faire cesser rapidement le cyber-harcèlement. L’Éducation Nationale a d’ailleurs développé un partenariat avec eux dans le but de sensibiliser les enfants dès la sixième aux usages des réseaux sociaux.
J’ai pu assister à une séance, et je dois dire que l’atelier était extrêmement pertinent et adapté à l’utilisation que font ces enfants des sites Internet ; il n’était pas question de leur dire « ne postez rien en ligne », mais plutôt de les amener à s’interroger sur les conséquences, de les sensibiliser aux sanctions judiciaires auxquelles ils s’exposent en harcelant quelqu’un en ligne, et tout simplement à réfléchir avant de poster, partager quoi que ce soit. (Lire le compte-rendu ci-dessous).
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Harcèlement scolaire : briser le silence
Le débat en présence de Najat Vallaud-Belkacem, à revoir en replay sur Pluzz jusqu’au 10 mars.
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Lettre de Najat Vallaud-Belkacem à l’ensemble de la communauté éducative :
« Madame, Monsieur,
Je m’adresse à vous aujourd’hui pour mobiliser l’ensemble de la communauté éducative contre le harcèlement.
Depuis maintenant deux ans, nous avons accompli un travail important en terme de sensibilisation, de prévention et de formation des personnels pour lutter contre ce fléau.
Mais ce n’est pas suffisant, 700 000 élèves souffrent de harcèlement, et parmi ceux là, 383 000 souffrent d’un harcèlement sévère.
1 élève sur 5 a connu de la cyberviolence, c’est pour cette raison que je m’adresse à vous ce 10 février, « jour de l’internet sans crainte ».
Nous devons poursuivre le combat contre ce mal qui crée chez les élèves des blessures dont il arrive qu’ils ne se relèvent pas ou très difficilement.
La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014 reconnait le harcèlement moral comme un délit.
Mais le rôle de l’école est en premier lieu de prévenir, je tenais à vous rappeler l’existence des très bons outils développés par la mission ministérielle de prévention et de lutte contre les violences en milieu scolaire et qui sont à votre disposition sur le site :
Agir contre le harcèlement à l’école
Vous pouvez également vous appuyer sur les 250 référents harcèlements qui existent, il y en a forcément plusieurs dans votre académie.
Mais ce n’est pas suffisant et nous devons aller encore plus loin.
Nous allons accentuer nos efforts dans le premier degré en mettant en place un parcours de formation continue M@gistère pour accompagner les enseignants et mieux les armer pour prévenir les situations de harcèlement.
Nous allons également mettre à disposition des élèves, des familles et des personnels, des ressources qui faciliteront l’accès des victimes à un soutien efficace et de proximité.
Enfin, nous disposons actuellement de deux numéros verts pour apporter de l’aide aux victimes, nous allons développer un numéro à 4 chiffres qui rendra plus facile l’accompagnement des familles et nous allons mobiliser l’ensemble de nos partenaires sur un sujet qui dépasse largement les murs de l’école.
Parce que le problème est important et qu’il est vital que nous le prenions tous à bras le corps, je sais pouvoir compter sur vous.
Najat Vallaud-Belkacem Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche »
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On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
Mais, pour moi les harceleurs savent ce qu'ils font. Je ne peux pas leur trouver des excuses passés leur 12 ans. Ils savent faire la différence entre ce qui est bien et mal. Surtout plus tard quand ils en parlent encore
Pour les harceleurs qui reprennent contact avec les harcelés, c'est très bizarre, moi j'y vois une curiosité malsaine. Et j'ai remarqué aussi que beaucoup de victime ont des "trous noirs" de cette période, qu'elles ont un peu oubliés ce qu'elles faisait à cette époque. C'est bien la preuve que l'impact psychologique est énorme et ne doit pas être sous-estimé.