« Il faut bien que jeunesse se passe ! »
« Ce sont des jeux d’enfants, ce n’est pas bien sérieux »
« Il faut bien qu’ils apprennent à se défendre, ça endurcit ! »
« Les adultes non plus ne se font pas de cadeaux, alors autant apprendre la réalité très tôt ! »
Les poncifs sur le harcèlement scolaire refont surface à chaque fois que le sujet est amené sur la place publique. Mais une bonne fois pour toute, il est urgent que ce problème soit enfin pris au sérieux et traité en conséquence.
On voudrait profiter de la sortie de Respire, l’excellent film de Mélanie Laurent, pour interpeller directement la ministre de l’Éducation Nationale au sujet du harcèlement scolaire.
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On a vu le film en avant-première, et il traite de ce problème à la perfection – oui, à la perfection. La complexité de la relation harceleur•se/harcelé•e y est parfaitement représentée. Comment on tombe dans le piège du pervers narcissique, comment la spirale de la violence psychologique entraîne les victimes dans un engrenage dont il est quasiment impossible de s’extraire seule.
Comment la violence escalade jusqu’à l’irréparable, pour les victimes comme pour les harceleurs•ses.
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« Que jeunesse se passe »
Non, « ça » ne passe pas. Il suffit de lire les dizaines de témoignages que nous avons reçus, les centaines de commentaires laissés sous ces articles pour mesurer les conséquences du harcèlement scolaire dans le temps, sur celles qui en sont victimes.
En 2013, nous avions donné la parole aux harceleuses : nous leur avions demandé de revenir sur ce qui avait motivé leurs actes, à l’époque où elles avaient mené, ou simplement suivi un groupe qui harcelait d’autres personnes.
Plusieurs filles ont été incapables de poursuivre la lecture de l’article, tant leur colère et leurs blessures étaient encore à vif, des années après les faits.
Alors, « ça endurcit » ? Non. Ça détruit.
« Des jeux d’enfants »
Non. Un « jeu » qui peut finir en meurtre ou en suicide n’en est pas un. Ce n’est pas de la fiction, des cas de harcèlement scolaire tristement célèbres comme celui d’Amanda Todd ou de Rehteah Parsons sont bien réels. Souvenez-vous de ces adolescentes, harcelées d’abord sur Internet, puis dans leur école, dans leur ville, jusqu’à leur domicile.
La vidéo d’Amanda Todd, réalisée avant son suicide, a fait le tour du monde
Peut-être que « du temps de nos parents », le harcèlement scolaire n’était pas si grave, peut-être que la discipline plus rude des cours d’écoles empêchaient la violence psychologique de s’installer.
Mais aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, le harcèlement n’est plus circonscrit au périmètre de l’école ni aux horaires des cours. Il poursuit ses victimes à travers tous leurs écrans, toutes leurs présences numériques.
Qu’est-ce qu’on fait ? On laisse faire, et on compte les suicides ? On censure, et on laisse le problème se déporter dans un autre espace ?
Dans l’affaire de Camille Touchard (lire ci-dessous), la police avait répondu à l’appel d’une jeune fille inquiétée par l’ampleur prise par le cyber-harcèlement, qu’il fallait « revenir dans la vraie vie, où on se lève le matin, on mange, tout ça. Faut arrêter Facebook et tout ça ». Vous parlez d’un décalage…
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Et si on s’occupait vraiment du problème, justement ?
Impliquer les acteurs de l’Éducation Nationale
Le harcèlement scolaire n’est pas « un mauvais moment à passer », comme la puberté. Il ne devrait pas non plus être « un passage quasi-obligé », comme l’acné. Il ne devrait pas faire partie intégrante de l’adolescence, et le seul moyen de l’éradiquer et de s’y attaquer frontalement.
Alors qu’est-ce qu’on attend pour s’y attaquer ?
Il y a bien eu des campagnes initiées contre le problème, mais elles sont insuffisantes, et présentent toutes le même défaut : l’absence d’intervention des équipes pédagogiques.
Les clips diffusés en 2012 mettaient par exemple en scène trois situations dans laquelle les élèves en harcelait un•e en particulier. Le message était adressé aux élèves, il visait à les sensibiliser au harcèlement.
Mais il est extrêmement difficile d’agir contre le groupe, les expériences sociologiques sur la question montrent à quel point briser une dynamique nocive ne va pas de soi pour un individu. Les adultes n’y arrivent pas spontanément, et l’on attendrait d’adolescent•e•s qu’ils réussissent à le faire, d’un simple rappel à la raison ?
Cette vidéo écrite et réalisée par des lycéen•nes est plus percutante et plus pertinente que les deux dernières campagnes nationales officielles…
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La lutte contre le harcèlement scolaire doit dépasser la sensibilisation des élèves : elle appelle la sensibilisation et surtout la formation des équipes éducatives et pédagogiques, en réponse aux situations de harcèlement scolaire. Elle nécessite l’accompagnement des victimes, pour qui la simple isolation ou le changement d’établissement ne suffit pas à se reconstruire, et peut d’ailleurs conduire à reproduire le même schéma en inversant les rôles.
La totalité des harceleuses qui avaient bien voulu répondre à notre appel à témoins avaient été elles-mêmes victimes de harcèlement, avant de devenir bourreau. Lorsque les élèves se sentent mieux protégé•e•s par la loi de la jungle que par celles de la République, c’est qu’il y a un sérieux problème.
C’est aussi le problème des profs
Respire est une fiction, mais Sarah et Charlie sont les avatars de victimes et de bourreaux bien réels, véritables pervers•es narcissiques, ancien•nes boucs émissaires décidé•e•s à occuper le sommet de la chaîne alimentaire dans la hiérarchie des cours d’écoles.
Et surtout, si, le harcèlement scolaire est aussi le problème des profs :
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Madame la ministre, nous comptons sur vous.
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Les Commentaires
Juste pour dire que je suis d'accord avec toi. Il y a de nombreux problèmes à l'éducation nationale et il faudrait éviter de les hiérarchiser. J'ai été harcelée pendant de longues années et je ne trouve pas que l'accompagnement des élèves en difficulté soit moins important que le harcèlement. Les deux peuvent d'ailleurs être liés. Pareil pour la formation des profs. On peut en fait difficilement séparer les problématiques.