Hey, on commence avec un titre racoleur mais bien réel cette fois.
Ma dernière expérience de harcèlement de rue
Cela fait à peu près deux semaines que j’ai repris la course à pied.
Ce matin je suis donc allée courir dans mon quartier comme à mon habitude. J’ai couru 30 minutes, suite à quoi j’ai décidé de rentrer tranquillement jusqu’à chez moi.
Alors que je marchais sur le trottoir le long d’une rue avec beaucoup de passage, ma musique dans les oreilles, une voiture s’est arrêtée près de moi.
À l’intérieur de la voiture se trouvaient deux hommes d’une vingtaine d’années. L’un deux a commencé à me parler, j’ai donc enlevé un écouteur pour pouvoir l’entendre :
« Tu te souviens de moi ? Je suis Franco, on allait à l’école ensemble ! »
Je l’ai donc regardé avec plus d’attention afin d’essayer de me rappeler de ce « Franco ».
« Non, je ne me rappelle pas. »
Ai-je répondu en continuant de marcher. Le gars a continué d’insister pour que je me souvienne de lui, mais en voyant que je ne réagissais pas il a fini par dire :
« T’as quel âge ? »
Voyant où la conversation menait, j’ai remis mon écouteur et je l’ai simplement ignoré en priant pour qu’il comprenne le message et me laisse tranquille.
Les voitures derrière lui commençaient à s’attrouper, il n’a donc pas eu d’autre choix que de continuer son chemin et de me laisser derrière.
Cet échange a duré en tout et pour tout 1 minute maximum, mais cette minute a été la plus longue de ma journée.
Ce n’est malheureusement pas la première fois que ce genre de situation m’arrive. Mais c’est aujourd’hui la première fois que je vais en parler ouvertement avec vous.
L’impact du harcèlement de rue dans mon quotidien de femme
Pour certaines personnes, ce court échange peut sembler anodin, « pas très grave » ou sans conséquence, c’est pourtant ce qu’on appelle couramment du harcèlement de rue.
Dès que la voiture a repris sa route, je me suis immédiatement sentie soulagée, puis mes angoisses m’ont rattrapée. Je me suis sentie impuissante et coupable.
Coupable d’avoir peur, coupable de ne pas avoir su quoi faire ou dire sur le moment. Ensuite la colère m’a envahie. J’étais en colère car je les ai laissé me faire peur.
Tout d’un coup, je ne me sentais plus en sécurité dans mon propre quartier où j’ai l’habitude de courir tous les jours. Mes pensées se sont bousculées :
« Je ne devrais plus courir ici, c’est dangereux pour moi.
Peut-être que mon short était trop court ?
Qu’est-ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu d’autres voitures dans la rue ?
Qu’est-ce qui va se passer s’ils font demi-tour ? »
En l’espace d’une simple minute, ces deux mecs m’ont privée de ma liberté, de ma confiance et du sentiment de puissance que je venais juste gagner en finissant mon jogging.
Alors peut-être que certains et certaines pensent que j’exagère, mais c’est ma réalité et la réalité du quotidien des femmes en 2020.
Mes nombreuses expériences de harcèlement de rue
Lorsque j’avais 14 ans, un mec m’a proposé 50€ pour que je lui montre mes seins dans la rue. Et des histoires comme ça, j’en ai plein.
La première dont je me souvienne remonte à l’époque du collège, alors que je n’étais encore qu’une enfant
.
Il y a eu celui qui te siffle comme un animal, celui qui te suit jusqu’à chez toi dans la rue, celui qui t’appelle « salope » car tu l’as ignoré ou as refusé de donner ton numéro.
Celui qui a les mains baladeuses, celui qui te force à danser avec lui en boîte, celui qui colle son pénis à toi dans les transports aux heures de pointes, celui qui se masturbe dans l’espace public.
Mais de loin, celui qui me dégoûte le plus, c’est celui qui voit la scène et qui décide de ne rien faire et baisse le regard.
Du haut de mes 22 ans, j’ai assez d’histoires pour en écrire un livre.
Le plus triste c’est que mes histoires ne sont pas uniques ou hors du commun, toutes les femmes ont vécu des situations similaires dans leur vie.
Car le saviez-vous : 100% des femmes ont connu ou connaîtront une situation de harcèlement dans la rue ou les transports en communs.
Le harcèlement de rue dans le monde
En 2015, l’association Hollaback ! a interrogé 16 607 femmes de 22 pays et 42 villes du monde sur le harcèlement de rue.
Selon cette enquête, la majorité des femmes ont connu leur première expérience avec un harceleur entre 11 et 17 ans.
50% d’entre elles avaient à cet âge déjà subi des caresses ou des attouchements de la part d’un inconnu, et 71% avaient déjà été suivies dans la rue.
Le harcèlement de rue en France
Selon cette même enquête de Hollaback !, 82% des femmes ont commencé à être victimes de harcèlement de rue avant 17 ans (regards insistants, insultes, attouchements).
Parmi elles, 65% déclarent que c’était même avant 15 ans, donc quand elles étaient au collège.
76% des Françaises déclarent aussi avoir déjà été suivies par un ou plusieurs hommes dans la rue.
Selon une étude de l’IFOP de 2018 sur les Françaises et le harcèlement de rue et dans les lieux publics, au cours de leur vie, 8 françaises sur 10 (81%) ont déjà été confrontées à au moins une forme d’agression sexuelle dans la rue ou les transports en communs (26% dans les 12 derniers mois avant l’enquête).
41% des Françaises ont déjà fait l’objet d’un contact sexuel imposé dans un lieu public (frottage, pelotage, pénétration).
Que ce soit dans la rue ou les transports, les jeunes femmes de moins de 25 ans sont de loin les premières victimes de harcèlement.
Selon le Secrétariat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, 100% des utilisatrices des transports en communs franciliens ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’une agression (dans la moitié des cas, les victimes sont mineures).
25% des femmes de 18 à 29 ans ont peur dans la rue, et 40% de femmes ont renoncé à fréquenter certains lieux publics suite à des manifestations du sexisme.
Aujourd’hui, c’était la fois de trop qui m’a poussée à en parler. Qu’est-ce que la prochaine fois me poussera à faire ? Car oui, il y aura une prochaine fois.
Je vais être honnête avec vous, je n’ai jamais été violemment brutalisée dans la rue. Mais je n’ai que 22 ans, il y a donc de grands risques que ça m’arrive tôt ou tard.
Et pourtant je continue à sortir, je continue à aller au travail tous les jours, à prendre les transports, à aller danser en boîte et dans des bars avec mes amis, car je ne peux pas arrêter de vivre.
Cependant, je ne le fais pas sans crainte. J’ai constamment peur que quelque chose m’arrive, car ÇA arrive.
Je fais attention à ce que je porte pour ne pas trop attirer l’attention sur moi, j’évite de me retrouver seule dehors la nuit, je suis toujours sur mes gardes.
L’enquête de 2015 de l’association Hollaback ! citée plus haut nous apprend également que la moitié des femmes interrogées en France ont déjà changé leur façon de s’habiller par peur d’être interpellées ou insultées.
Je pense pouvoir dire que je partage ce sentiment de peur avec beaucoup de femmes.
Je ne veux pas qu’on me parle dans la rue
Alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? Comment pouvons-nous agir ensemble contre le harcèlement de rue ? La première étape c’est sûrement d’en parler, aujourd’hui j’ouvre le dialogue.
En parler c’est se libérer, c’est dénoncer la banalité ignoble du harcèlement de rue. En parler c’est partager et éduquer. Éduquer les hommes, les femmes, les enfants.
Je recommande à toutes les personnes lisant cet article de regarder la vidéo de Marion Seclin sur le sujet.
Cette vidéo (et Marion) a été énormément critiquée, car Marion propose une solution plutôt radicale contre le harcèlement de rue : LAISSER LES FEMMES TRANQUILLES DANS L’ESPACE PUBLIC.
Incroyable mais vrai.
Après que la vidéo soit sortie, j’ai eu la chance d’en discuter avec quelques uns de mes amis hommes. Ils ne comprenaient pas qu’on leur demande de ne plus parler aux femmes dans la rue.
— Mais si je veux juste discuter poliment ? — C’est débile, si c’est comme ça on ne peut même plus demander l’heure ! — Je suis un gars gentil et avec des manières, je ne vois pas en quoi c’est un problème si j’accoste une fille dans la rue. — Et comment on fait si une fille nous plaît alors, on ne peut même plus aller lui parler.
Eh bien moi, si j’étais cette fille qui plaît à un garçon, je préfèrerais qu’il ne vienne pas me parler, en effet. Car la rue n’est pas un lieu de drague, selon moi.
Beaucoup de femmes comme moi ont eu tellement d’histoires pas très heureuses avec des hommes dans l’espace public qu’elles n’ont plus envie d’être approchées (peu importe la raison).
Un simple « Bonjour, je vous trouve très jolie » peut être reçu comme une agression et faire peur, parce que si on ne répond pas positivement on peut se faire insulter voire menacer.
Donc même une phrase « sympa » peut cacher un mec agressif et ça, ce n’est pas marqué sur son visage.
Ce que je dis aux hommes autour de moi, c’est : réfléchissez, vous imposez une situation (qui a de grandes chances d’être gênante ou mal reçue) à une personne qui n’a rien demandé dans un lieu et à un moment inapproprié.
Vous l’interrompez et forcez l’entrée dans son espace personnel, son moment de vie.
Vous ne connaissez jamais l’expérience personnelle, le passé ou l’état d’esprit de cette femme à ce moment, alors le mieux est souvent de la laisser tranquille.
Bien sûr je parle ici de drague, si on me demande l’heure ou une direction c’est différent. Mais ça peut générer de la méfiance car souvent ce n’est qu’un prétexte pour draguer voire harceler ensuite…
Un de mes amis m’a demandé :
« Mais alors tu préfères qu’on ne te drague pas du tout, même si le mec pourrait t’intéresser ? »
Sans hésiter, OUI.
Je préfère être laissée tranquille dans la rue, car c’est comme ça que j’aimerais apprécier mon expérience dans l’espace public : aller du point A au point B sans encombre.
Je remercie toutes les personnes qui auront pris le temps de lire cet article jusqu’au bout et celles qui regarderont la vidéo de Marion Seclin.
Partagez vos réactions, vos expériences et vos avis dans les commentaires, car le dialogue est ouvert.
À lire aussi : « Le harcèlement de rue, c’est culturel » : un témoignage édifiant
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On a hâte de vous lire !
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Les Commentaires
Je viens de voir ton message .
Je suis d'accord avec l'ensemble de ton message en fait, ça me paraît pas en contradiction avec ma pensée. Je pense qu'il faut pas faire le raccourci : "parler à une fille dans la rue"= harcèlement infâme, mais que l''important c'est l'éducation au respect. (effectivement si la personne a l'air occupée/pas ouverte vaut mieux la laisser tranquille)