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Le harcèlement de rue, de la peur à la colère… puis à l’espoir

Et si, à force de parler du harcèlement de rue, on allait réussir à l’éradiquer ? Récit d’une lueur d’espoir en plein coeur de la nuit, un samedi soir à Paris.

— Article initialement publié le 20 avril 2015

Le harcèlement de rue, cette épuisante banalité, s’impose péniblement dans le débat public comme un problème de société qui dépasse de très loin les questions de longueur des jupes ou de profondeur des décolletés.

Plus la parole se libère, plus les témoignages de femmes victimes de ce phénomène affluent, et plus les sceptiques sont nombreux à critiquer ce qu’ils estiment être un comportement banal de drague, un compliment maladroit (à l’instar de cette chère madame de Menthon), ou à rejeter la faute sur le manque d’éducation présumé des jeunes de banlieue, et particulièrement ceux d’origines étrangères. Comme si la culture française était si respectueuse de la femme, ainsi qu’en témoignent brillamment nos responsables politiques, supposément exemplaires…

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Récemment, grâce à l’action de Pascale Boistard, la Secrétaire d’État en charge des Droits des femmes, et de plusieurs collectifs féministes, on attend bientôt des mesures concrètes pour lutter contre le harcèlement dans les transports, à commencer par dénoncer publiquement et fermement ce phénomène, et enjoindre les sociétés gérantes de prendre le problème à bras-le-corps.

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Il était en effet quelques peu désarçonnant de constater que la RATP se préoccupe de sensibiliser les usager•e•s au civisme dans les transports, tout en omettant de mentionner les problèmes de harcèlement ; un rapport révèle que 100% des femmes interrogées affirment en avoir été victimes. Rien que ça.

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Et puis, il y a le quotidien, qui ne change pas.

Rue Oberkampf, 2h30 du matin

Qu’est-ce qu’une jeune fille respectable faisait seule, rue Oberkampf, aux alentours de 2h30 dans la nuit de samedi à dimanche ? Déjà, merci de ne préjuger de rien en ce qui concerne ma respectabilité.

Ensuite, si vous voulez tout savoir, je passais une soirée si agréable que j’en ai oublié de surveiller l’heure, et comme il y a belle lurette qu’on n’entend plus les cloches sonner les douze coups de minuit, je n’ai pas pu bénéficier du rappel salvateur qui avait tiré Cendrillon de sa propre rêverie.

N’ayant plus de carrosse pour me ramener jusqu’à mon humble demeure, je me suis résolue à marcher. Soyons honnête : même si j’avais réussi à attraper le dernier métro, l’atmosphère des couloirs lugubres de la RATP à cette heure tient davantage du film d’horreur de série B que des citrouilles enchantées des contes de fées.

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Pourquoi pas un taxi ? Parce que je ne suis pas Crésus, et que j’en ai marre de payer une taxe à la sécurité sous prétexte que je suis une fille. Samedi soir, la nuit était tiède, il avait fait beau durant la journée, l’air était frais. J’avais presque envie de marcher.

Et d’ailleurs, la rue Oberkampf grouillait encore de monde, alors pourquoi n’aurais-je pas le droit de me balader moi aussi dans le quartier, malgré l’heure indécente ?

Un groupe me croise, l’un des mecs commence à m’interpeller, je l’ignore. Quelques mètres plus loin, une autre invective me passe au-dessus du bonnet, fermement vissé sur mes oreilles. Un autre encore.

À lire aussi : Réagir en tant que témoins de harcèlement, par Projet Crocodile

« Hé mad’moiselle ! »

Lorsqu’un « Hé mad’moiselle ! » résonne, je commence à bouillir. J’ai un peu bu, à cette soirée. Je m’en rends compte parce que je ressens de la colère à ce moment, et non de la peur, celle qui m’a été inculquée depuis mon plus jeune âge, et qui ressurgit parfois encore, trop souvent, chaque fois que je suis interpellée alors je marche seule, dans la rue, la nuit.

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Je rabats la capuche de mon sweat par-dessus mon bonnet, dans un geste d’énervement ostensible. J’ai des Converse, un jean, un hoodie noir et ample. Si je suis « aguicheuse » sapée comme ça, je ne sais plus quoi faire pour avoir la paix.

— Hé hé hé, miss ! Mad’moiselle ! Attends !

Il insiste. Je me fige, et repère immédiatement les établissements encore ouverts autour de moi. Une épicerie. Un bar. Un kebab. Ok. Je me retourne, agacée, pour voir à qui j’ai affaire.

« Quoi ? » ai-je aboyé à ce vaillant gaillard en jean-baskets et doudoune bleue, qui devait faire trois bonnes têtes de plus que moi (ce qui n’est pas difficile, vu que je mesure 1m60 1m59 1m57).

— Chépa, on peut discuter ?

Je m’énerve.

— Mais non enfin, il est 2h30 du matin, je rentre chez moi. — Oui mais on peut discuter ?

Je m’apprête à rétorquer une nouvelle fois, quand soudain, dans un élan de foi en la pédagogie (à 2h30 du matin, que voulez-vous, certain•e•s sont frappé•e•s par le Saint-Esprit, moi c’est par la pédagogie), je m’arrête.

J’ai changé de ton, et je lui ai demandé posément :

— Pourquoi tu fais ça ? — Comment ça ? Pourquoi je fais quoi ? — Pourquoi tu m’a appelée comme ça, pourquoi tu m’as suivie, pourquoi tu fais ça, c’est nul ! — Ben chépas, c’est pour discuter, faire connaissance quoi ! — Nan mais il est 2h30 du matin, c’est pas l’happy hour. Je suis tranquillement en train de marcher pour rentrer chez moi, il est tard, je suis seule, comment tu crois que ça me fait me sentir quand un inconnu m’alpague comme ça, et commence à me suivre ? — Ah mais désolé, je voulais pas t’embêter, j’suis gentil — Ben ouais mais tu peux comprendre qu’il y a des meufs que ça ferait vraiment flipper, non ? C’est vraiment pas rassurant. Ne fais plus ça s’il te plaît, ne fais plus jamais ça en fait, déjà parce que tu n’auras jamais une réponse positive en faisant ça, ensuite parce que ça met très mal à l’aise, voire ça fait carrément flipper.

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« Je suis désolé, excuse-moi »

Je ne sais pas ce qui m’a pris. On va mettre ça sur le compte de l’alcool. Ma grand-mère m’a toujours dit de ne pas parler aux inconnus, a fortiori ceux qui te suivent quand tu marches seule dans la rue à 2h30 du matin. Et voilà que je me suis sentie inspirée pour entamer un dialogue pédagogique avec un mec qui fait deux fois ma taille !

Et pourtant, il a vraiment suffi que je lui dise que son comportement était naze pour qu’il en change radicalement. Une seconde avant, j’étais « une meuf » qu’il se permettait d’invectiver comme un pêcheur jette sa ligne en espérant que ça morde. Une seconde avant, il était « un mec », un harceleur dans la foule de ces anonymes qui contribuent à rendre l’espace public pénible voire dangereux pour les femmes, auprès duquel je me permettais d’aboyer.

Et maintenant, nous étions redevenus deux êtres humains, en train d’avoir une conversation.

— Comment tu t’appelles ? — Bilal. — Enchantée. Moi c’est Clémence. Tu sors souvent dans le quartier ? — Ouais, le vendredi et samedi soir, souvent. — Moi aussi, alors on se recroisera sûrement. [J’ai enlevé ma capuche et mon bonnet, pour lui montrer ma tête rasée assez reconnaissable]. Regarde, j’ai les cheveux courts, et je suis toujours habillée pareil. Si tu me revois dans le quartier à l’heure de l’apéro, viens me parler ! Mais vraiment, ne fais plus jamais le coup du « hé madmoiselle », c’est vraiment nul. — Ouais ça marche, vraiment j’suis désolée. Clémence c’est ça ? Enchanté.

On s’est claqué une bise, il est reparti vers ses potes et j’ai repris ma marche nocturne sur quelques mètres, avant… de héler un taxi. J’avais l’impression d’avoir un peu forcé ma chance, et je n’avais plus vraiment envie de traverser la ville à pieds.

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Messieurs, s’il vous plaît, ne faites plus jamais ça

Si je vous raconte tout ça aujourd’hui, ce n’est pas pour dire « vous voyez, c’est si simple, il suffit de leur parler », mais plutôt pour m’adresser une nouvelle fois à tous les mecs qui liront ces lignes.

Vous voyez, c’est si simple de considérer que la fille que vous croisez dans la rue est un être humain, pas un objet de désir (ou pire, de consommation). Ce n’est pas compliqué de prendre 2 secondes pour réfléchir au contexte de la situation.

Aborder une fille qui a un verre et/ou une clope à la main devant un bar pendant l’happy hour, si c’est fait respectueusement, ça ne devrait pas poser de problème. Mais vous n’iriez pas vous incruster à sa table si elle était en train de dîner avec d’autres personnes.

Alors pourquoi s’inscruster dans son espace quand elle est visiblement en train d’évoluer dans un contexte qui ne prête pas à la socialisation ? Par exemple, lorsqu’elle marche dans la rue, seule, la nuit…

Ne faites vraiment plus jamais ça, s’il vous plaît. Ne laissez pas non plus l’un de vos potes le faire pour le plaisir de le voir se manger un râteau et en rire : ça ne nous fait pas rire. Ça nous fait peur.

Plus on parlera du harcèlement de rue, et plus on pourra diffuser largement ces explications, qui sont nécessaires et indispensables pour déconstruire des siècles de culture de la séduction qui place les femmes en position passive, objets de désir, prix ou trophées à gagner.

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À lire aussi : « Hé ! », l’application qui recrée le harcèlement de rue sur smartphone

Peut-être que Bilal aura oublié notre rencontre : peut-être qu’après moi, il aura importuné, énervé ou effrayé à nouveau d’autres filles avant de rentrer chez lui. Peut-être aussi qu’il aura été le premier à recadrer un de ses potes, qui aura tenté le même coup dans la soirée. Peut-être qu’il ne harcèlera plus jamais.

À lire aussi : Messieurs, l’égalité hommes-femmes ne se fera pas sans vous

Peut-être qu’à force de parler du harcèlement de rue, à force de témoigner, à force d’expliquer la différence entre la drague et le harcèlement, on va finir par éradiquer cette pratique détestable.

Peut-être que dans un futur proche, je pourrais traverser Paris à pieds, seule, à la fraîcheur de la nuit printanière. On a vu plus exigeant, comme vœu, non ?

À lire aussi : Pascale Boistard et les madmoiZelles échangent sur le harcèlement de rue

Et toi, as-tu déjà échangé avec un mec coupable de harcèlement de rue ? As-tu déjà recadré les hommes de ton entourage qui s’y essayaient ? Raconte-nous tout ça en commentaires !

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Les Commentaires

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Avatar de Nounshali
18 septembre 2016 à 10h09
Nounshali
En effet, je te comprends, je n'ai pas non plus envie d'accorder du temps à de grossiers personnages, j'aime m'entourer de mecs bien (qu'il faut malgré tout parfois remettre à leur place. Ah ! Foutue société patriarcale !). Toutefois, je distingue deux catégories de harceleurs : les ignorants maladroits qui peuvent être remis à leur place et, vu que leur mère ne l'a pas fait, un coup de pédagogie féminine ne leur fait pas de mal et en général les recadre sur le champ. Les hommes étant pour beaucoup faibles donc plus enclins à une action physique, pour cette catégorie, cela évite qu'une réaction de ma part soit prise pour une agression. L'ignorance peut aussi être prise pour telle, je l'ai déjà vécu et je préfère faire face.
Quant aux violents agressifs, voire avinés, qui peuvent basculer méchamment, il vaut mieux éviter de permettre à leur violence à fleur de peau de sortir davantage. Souvent, ils pensent avoir devant eux une femme faible qui a peur, ce qui leur permet d'asseoir leur emprise et du coup, ils ne savent plus comment faire quand ils n'ont pas réussi à provoquer cette peur. Mais dans ces cas-ci, ce n'est pas de la pédagogie, c'est un acte de survie pour s'éviter un viol potentiel.
Je crois que de toute façon, chaque cas de harcèlement est différent et qu'il faut avoir la présence d'esprit de réagir avec calme et raison. Ça m'a à chaque fois sauvé la mise mais je suis toujours préparée à devoir courir ou me défendre physiquement si cela ne marche pas !
Je dois dire aussi, que je ne suis plus débordée par mes émotions quand je suis harcelée et c'est une grande force. Je pense que, paraissant quinze ans de moins que mon âge, ce n'est pas parce que je suis "vieille" que je suis moins souvent harcelée, mais parce que la maturité et l'expérience que j'ai des hommes, le travail que j'ai fait sur moi et la connaissance que j'en ai acquise, me permettent de faire face de façon plus efficace que lorsque j'avais vingt ans.
Courage les filles, la vie est belle quand même, il y a de chouettes mecs sur la planète !
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