Mise à jour du 19 mai 2016 — Derrière Paye Ta Shnek, il y a une jeune femme, Anaïs Bourdet. Elle est l’une des modèles féminins invitée à monter sur la scène de W(e) Talk, samedi 21 mai.
Retrouvez le portrait d’Anaïs Bourdet
Plus d’informations sur l’édition W(e) Talk 2016
— Article initialement publié le 23 janvier 2016
Quand on parle harcèlement de rue, il y a bien souvent une ou plusieurs personnes pour nous répondre que « on sait bien que ce ne sont pas les mecs « de chez nous » qui font ça » (si), ou encore « c’est de la séduction, des compliments, faut pas mal le prendre » (non, et si), et autres tentatives, sincères ou non, d’expliquer le sexisme culturel de notre société par autre chose que sa réalité.
Le genre de réponses ou d’arguments qui ont le don d’agacer profondément celles et ceux d’entre nous que ces pratiquent rendent furieux•ses.
En termes de colère, justement, l’association « Colère », nom féminin se mobilise sur le sujet.
Les mythes sur le harcèlement de rue, et leurs réponses
Voici donc le tract sobre et efficace de Paye Ta Shnek, diffusé via leur page Facebook.
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Dans un souci de pédagogie, arrêtons-nous un instant sur les points les plus récurrents du débat « est-ce que ça existe vraiment, ce truc ? ».
Le point « ça existe pas vraiment »
« Seules les jeunes et les belles femmes sont harcelées ».
Si seulement, dirais-je non sans ironie. S’il est vrai qu’être belle n’est pas forcément pratique au quotidien, et que certaines tenues attirent plus le regard et l’attention que d’autres, ça ne justifie en rien d’aborder une femme en lui manquant de respect.
Souvenez-vous de cette photo de jupe, à l’origine d’une discussion sur le slut shaming : quelle est la longueur appropriée alors que n’importe quelle longueur emporte son lot de critiques préjugeant de la vie sexuelle de celle qui la porte ? Une jupe n’est pas un message, c’est juste un vêtement.
Et oui, exiger un sourire, exiger un moment d’attention de la part de quelqu’un qui ne fait que traverser votre champ de vision, c’est lui manquer de respect. Les gens ne sont pas à votre service, et ça inclut les femmes.
Par ailleurs, quand on voit les violences dont sont victimes les gros•ses, on réalise que ne pas correspondre aux standards de beauté ne vous immunise en rien contre les agressions verbales dans l’espace public, bien au contraire.
Donc la seule différence entre le harcèlement dont sont victimes les femmes « jeunes et belles » par rapport à celui qui touche les autres femmes, s’il y en a une, c’est celle-ci : quand la femme est jeune et belle, certaines personnes peuvent croire à une tentative de séduction. Pour toutes les autres, l’ambiguité est souvent levée par les propos proférés, qui sont souvent des insultes.
Voici par exemple une initiative particulièrement immonde, sous forme de harcèlement dans l’espace public : la Fatshaming Week.
« Seules les femmes sont victimes de harcèlement dans l’espace public »
« Seules les femmes » c’est quand même la moitié de l’humanité. On a un problème, non ?
Là encore, je me permettrais un ironique « si seulement ». Ironique, parce que « seules les femmes » me fait vraiment grincer des dents, étant donné que les femmes « seules » représentent quand même la moitié de l’humanité. Ça fait pas mal de monde qu’on reconnaît victime de pratiques qu’on ne peut plus qualifier de « phénomène isolé » dès lors qu’on admet qu’il touche la moitié de la population mondiale.
Or en plus des femmes, les personnes non blanches, les personnes handicapées, les personnes LGBT sont aussi victimes de harcèlement et d’agressions dans l’espace public.
Les équipes de Cam Clash avaient justement testé la réaction des passant•es à plusieurs situations de harcèlement. Dans une première émission, c’était précisément le harcèlement de rue qui était « testé ».
Seuls les hommes blancs hétéro échappent au harcèlement de rue ? Même pas…
Si on voulait vraiment faire un raccourci, il faudrait dire : « seuls les hommes blancs hétérosexuels ne sont pas victimes de harcèlement dans l’espace public ». Mais là encore, ce serait faux. Les hommes dont l’apparence physique ne correspondrait pas suffisamment au stéréotype « du mec, du vrai » seraient encore victimes d’insultes dans la rue, les transports, les cercles publics et privé.
Les roux, les gros, les petits, les maigres, les pas assez musclés, les trop « baraque », les mal rasés, les trop rasés, les trop « efféminés », etc, bref : finalement, très peu de gens sont immunisés contre le harcèlement dans l’espace public. Et ça commence dès l’école. Ça craint, non ?
Le point « ça existe que quand ça vous arrange »
« Si l’homme est beau, il sera toujours bien reçu, quelle que soit sa méthode »
…Bah non. Ne serait-ce que par pure logique, cet argument ne tient pas la route : toutes les filles ne sont pas hétérosexuelles, pour commencer. Et ça ne se voit pas sur leur visage. Donc même si c’est Léo Dicaprio lui-même qui alpague mademoiselle depuis un banc public, si l’heureuse élue de son attention « joue dans l’autre équipe » comme on dit, désolée pour Léo, mais il va se prendre un râteau.
À lire aussi : « Une vraie petite femme… » — Le dessin de Mr.Q
En fait, cette logique de « la beauté » de l’homme repose sur l’idée qu’il y a des situations où les invectives de rue sont acceptables, et d’autres non. Alors qu’en réalité, c’est la situation de harcèlement qui est inacceptable, point barre. Peu importe que j’aie en face de moi Brad Pitt ou un inconnu qui ne ressemble à rien, ça n’est vraiment pas là que se situe la différence entre « séduction et harcèlement ».
On m’a déjà posé la question, et j’y ai longuement répondu dans cet article : harcèlement ou compliment ? Je veux comprendre.
Cet article devrait répondre totalement à l’objection « bientôt draguer sera interdit ».
Pour reprendre l’exemple de Léo Dicaprio sur un banc public, s’il m’interpellait alors que je passe devant lui, peut-être que je lui répondrais parce que je sais qui il est : je connais son prénom, son nom, sa profession, et ce sont 3 informations de plus que celles que j’ai sur le mec lambda qui m’interpelle au même endroit. Du coup, je ne répondrais pas même si tu es
le sosie de Léo Dicaprio jeune : c’est pas parce que tu as une gueule d’ange que tu peux soudainement me parler comme à une poupée gonflable.
Et quand bien même ce serait Léo, s’il me crie « t’es super sexy ! Tu veux pas me sucer ? », Léo ou pas Léo, la réponse sera non. Tu me parles pas comme ça, point.
Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, ces explications répondent également aux remarques :
« C’est juste des compliments » « Jamais contentes, ça devrait vous faire plaisir »
À lire aussi : Le harcèlement de rue, de la peur à la colère… puis à l’espoir
Le point « ça existe, mais c’est la faute des autres »
Cette explication est devenue très en vogue avec les récentes agressions reportées à Cologne, le soir du réveillon. Toute la presse en parle, de nombreuses associations féministes aussi, comme à chaque fait-divers similaire, mais la nouveauté, c’est que l’extrême droite s’en empare aussi.
L’idée étant que ces agissements criminels seraient le fait culturel d’autres populations, « pas des gens de chez nous », suivez mon regard, vous voyez ce que je veux dire…
Mais une fois encore, et ce n’est pas faute de l’avoir déjà suffisamment répété lors de cette caméra cachée dans les rues de New York qui posait le même problème : ce ne sont pas des cultures, des religions, des lois qui agressent les femmes, ce sont les hommes qui les font, les appliquent, ce sont les agresseurs qui sont responsables des agressions.
John Oliver avait consacré une émission entière au harcèlement misogyne en ligne, ou comment des femmes se retrouvent insultées, menacées de viol et de meurtre simplement parce qu’elles sont des femmes qui s’expriment sur Internet. Le même phénomène est observé en France, demandez à @Mar_Lard, victime elle aussi de ces effets de meute.
Les mêmes comportements se retrouvent dans nos sociétés
On ne peut tout simplement pas dire que « les étrangers » sont la cause du harcèlement de rue, alors que nous sommes témoins des mêmes comportements dans nos sociétés, et ce à travers toutes les classes sociales. Rappelez-vous du témoignage de Jack Parker, agressée dans le métro par un bon blanc quadra en costard, bien de chez nous, pas exactement le genre à se faire contrôler au faciès à la sortie du métro.
À lire, le témoignage de Jack Parker et les réactions qu’il a suscité sur Internet. Ne me dites pas que « c’est culturel chez les étrangers ». Oui, c’est culturel visiblement, mais ça l’est déjà chez nous.
Ne vous faites pas avoir par la rhétorique des politiques d’extrême droite, qui ne se préoccupent des droits des femmes que lorsqu’ils sont en mesure de l’instrumentaliser pour servir leur agenda anti-immigration. En France, on avait eu droit à une polémique similaire très révélatrice avec l’affaire de l’agression d’une femme en bikini à Reims…
Le point « c’est la faute des femmes, aussi »
J’ai longtemps cru que c’était vrai. Je me disais que c’était de ma faute, que c’était ma façon de m’habiller — trop court, trop décolleté, que c’était ma façon de me comporter — trop souriante, trop avenante, que c’était les lieux que je fréquentais — des lieux de passage, de fête, de sortie, des lieux de rencontre et de socialisation, propices aux échanges…
Et puis, j’ai inversé ma réflexion. Qu’est-ce que je fais aux autres, qui est de leur faute ? Est-ce que voir quelqu’un manger alors que j’ai faim m’a déjà fait lui prendre sa nourriture sans lui demander la permission ? Est-ce qu’avoir envie d’un objet m’a déjà fait le voler à son propriétaire, le prendre sans demander la permission avant de l’utiliser ? Est-ce que voir une personne qui m’attire énormément m’a déjà fait oublier que c’était une personne avant d’être l’objet de mes désirs ?
La réponse à toutes ces questions est « non ». J’ai réalisé qu’en fait, ce n’était ni mes tenues, ni mon comportement qui « provoquaient » le harcèlement de rue, puisque j’ai arrêté de m’habiller « bien » pour ne préférer que des jeans larges et des sweat à capuche quand je vais me balader dans la rue. J’ai arrêté d’être agréable, de sourire et de dire bonjour (mais ça c’est aussi en partie parce que j’habite à Paris !).
Devinez quoi ? Je me fais toujours alpaguer dans la rue, par des mecs qui me trouvent décidément « trop belle » (alors que bon, sérieusement, je ne suis pas Emma Watson hein). J’ai été obligée de reconnaître que ce n’était pas ma faute. Pire, j’ai été témoin de harcèlement de rue perpétré par « des mecs biens », c’est-à-dire des amis à moi, des garçons que je connais et que je n’imagine pas un seul instant être malveillants.
Alors… C’est culturel ? Oui. C’est dans notre culture populaire, ça commence très tôt dans les écoles, ça s’affirme et se poursuit dès le collège, et en l’absence d’une éducation à la sexualité respectueuse dans les lycées, ça continue encore. Si vous voulez de la lecture sur le sujet, on a ça en magasin :
- Comment le féminisme a changé mon rapport à la pop culture
- Le sexisme dans la cour de récréation
- « Machisme ordinaire », un court-métrage sur l’injustice du sexisme à l’école
- La culture du viol se porte bien dans nos écoles (suite à l’affaire du Collège Montaigne)
- « Nous aurions pu être des violeurs », de l’importance de l’éducation sexuelle
Dans notre culture populaire, dans notre éducation, on nous parle beaucoup de drague et de séduction, mais jamais de consentement. Or c’est toute la différence entre le sexe et le viol, entre la drague et le harcèlement : le consentement.
La « zone grise », c’est une autre métaphore pour la culture du viol : c’est encore une configuration dans laquelle on place les garçons dans une position dominante, et les filles dans une position soumise.
À lire aussi : « Je connais un violeur », le Tumblr qui noue la gorge
Messieurs, aidez-nous !
Quand Paye Ta Shnek ou tout autre collectif féministe produit ce genre de tract numérique, le but n’est pas d’insulter tous les garçons, et ce n’est certainement pas d’insinuer que tous les hommes posent problème. Le but, c’est de dénoncer un phénomène si répandu, qu’il menace potentiellement toutes les femmes (et pas que les femmes, comme on l’a expliqué).
On a vraiment besoin de vous pour éradiquer ce fléau, aidez-nous !
Si je reviens sur certains points pour les développer, ce n’est pas pour « enfoncer le clou », mais pour expliquer en quoi ces réponses sont importantes, et en quoi il est important que chacun•e d’entre nous, y compris les hommes, participent à l’effort collectif d’éradication de ces violences.
À lire aussi : « Dear Daddy » interpelle les pères sur les racines invisibles des violences sexistes
Alors je vais terminer cet article de la même façon que je conclus la plupart de mes articles pédagogiques à l’intention ceux qui ne sont pas convaincus par le féminisme, en m’adressant directement à eux : messieurs, l’égalité entre les hommes et les femmes ne se fera pas sans vous.
La vérité est que si, mais ça va prendre si longtemps et nous demander tellement d’efforts que je préfèrerais vraiment avoir votre aide, en fait.
À lire aussi : « À Nos Fils », un poème sur les dommages collatéraux de la culture du viol
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Les Commentaires
Et puis ça peut être autant juste un emmerdement (juste un regard salace) qu'un gros souci je pense donc ça monte vite.