Hasard du calendrier, je parlais hier avec des collègues du slut-shaming qui régnait dans mon lycée quand j’étais adolescente.
Le slut-shaming, pour rappel, c’est le fait de rabaisser, de maltraiter, d’insulter, de discriminer une personne en se basant sur sa vie sexuelle. Il touche en grande majorité les femmes, toujours « trop » ou « pas assez » : trop prudes, trop aventureuses…
Car dans la société, il est attendu d’une femme qu’elle soit pure sans être coincée, sexuelle sans multiplier les partenaires, libérée mais discrète. Les injonctions se multiplient et se contredisent.
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Dans mon lycée, donc, il y avait une jeune fille, transférée d’un autre établissement car sa réputation avait été ruinée par une vidéo la montrant coucher avec deux garçons. Eux, d’après ce que je sais, n’ont pas eu de soucis.
Malheureusement, changer de lycée n’a pas suffi. En quelques jours, tout le monde avait vu cette fameuse vidéo. Et l’élève était, à jamais, « la meuf qui se fait prendre en sandwich ».
À l’époque, je ne l’ai pas vraiment défendue. Je ne la connaissais pas, je suis restée passive. C’était juste une histoire, une actu dans le lycée.
Avec mes convictions et mon cheminement féministe, je me dis que j’aimerais revenir en arrière et l’aider davantage. Ne serait-ce qu’en allant lui parler. En lui montrant qu’elle est une personne, humaine, qui mérite le respect.
Et aujourd’hui, j’apprends qu’à Strasbourg, des dizaines de lycéennes sont harcelées sur Snapchat, là encore par le biais de leur sexualité…
Des lycéennes harcelées sur Snapchat en Alsace
Le DNA raconte toute l’histoire, qui m’a serré le cœur. Une cinquantaine d’adolescentes ont été victimes de harcèlement organisé sur Snapchat.
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Parfois, c’est une photo prise à l’insu de la jeune femme qui circule. Ou des clichés privés, envoyés à un petit ami, qui sont récupérés et diffusés.
Parfois même, il n’y a pas de contenu, alors on l’invente : on accole à une vidéo pornographique le nom d’une adolescente, on l’insulte parce qu’elle porte un décolleté trop profond…
Aucun doute sur le caractère violent de ces actes : les photos sont annotées avec le nom de la jeune fille, son lycée, ses coordonnées. Des légendes incitent à partager les clichés, à aller insulter les adolescentes.
En quelques mots, les victimes sont jetées en pâture : « la puterie n’est jamais fini (sic) », « allez l’insulter celle-là, elle fait des nudes [des photos dénudées] ».
La détresse des victimes de harcèlement
Dans l’article du DNA, les victimes, dont les prénoms ont été modifiés, font part de leur désarroi et de leur détresse.
L’une a envisagé l’auto-mutilation, a vomi lorsqu’elle a pris connaissance des photos d’elle qui circulaient. Une autre explique se sentir honteuse face à ses camarades de classe, qui parfois s’en prennent à elles.
Ce n’est pas drôle. Ils détruisent des vies.
Des amitiés se brisent, d’anciennes copines se retournent contre la victime, faisant retomber la faute sur elle… et dans la famille, parfois, les ponts se brisent.
Certaines victimes ont mis en place un groupe fermé d’entraide, qui leur permet de se sentir moins seules.
Que dit la loi sur le harcèlement ?
La loi est claire. L’article 226-1 du Code Pénal dit que :
Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
- En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
- En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
L’article 226-2 précise :
Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1.
Lorsque le délit prévu par l’alinéa précédent est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.
Et le revenge porn, le fait de partager des contenus à caractère sexuel sans l’autorisation de la personne concernée, est également puni par la loi française. L’article 226-2-1 du Code Pénal, plus précisément.
Lorsque les délits prévus aux articles 226-1 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende.
Est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1.
Les adolescentes harcelées ont-elles un recours légal ?
L’une des lycéennes harcelées s’est rendue au commissariat en compagnie d’une amie.
Les deux filles ne franchissent pas le sas d’entrée : en tant que mineures, elles ne peuvent déposer plainte seules.
« Le policier nous a mal reçues, lâche Anastasia, en colère. Pour lui, on est fautives dès le départ, c’est une erreur de jeunesse. »
Pourtant, il est possible de porter plainte lorsqu’on a moins de 18 ans :
Un mineur peut se rendre seul à la police ou à la gendarmerie pour signaler une infraction. Ses parents peuvent aussi porter plainte à sa place. Mais un mineur ne peut pas se porter seul partie civile et réclamer des indemnités.
Un mineur victime d’une infraction peut porter plainte lui-même […] S’il veut être impliqué dans le reste de la procédure, il devra obligatoirement être représenté par une personne majeure.
La lycéenne en question aurait dû pouvoir signaler la situation à la police.
Sur un registre un peu différent, mais qui recoupe cette mauvaise expérience, un membre des forces de l’ordre avait été interrogé pour notre article Agression sexuelle et dépôt de plainte : les conseils d’un policier.
La jeune fille a fini par porter plainte en compagnie de sa mère. Du côté de son établissement, où étudie une dizaine de victimes, la proviseure a été alertée.
Elle a donc signalé la situation au procureur de la République. L’enquête est ouverte.
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Il est urgent d’éduquer à une sexualité positive
Ça ne me surprend pas, mais ça me révolte malgré tout, qu’en 2018 la sexualité réelle ou supposée d’une femme soit un critère de mépris, de rejet, de violences.
Ça me révolte d’imaginer ces adolescentes à l’orée de leur vie d’adulte voir leur existence gâchée par des jeunes qui refusent d’admettre que la sexualité des femmes n’est ni honteuse, ni sale.
Ça me révolte d’imaginer leur détresse et leur solitude quasi-totale.
Malgré le flot de partages et d’insultes, quelques voix s’élèvent. Un jeune Strasbourgeois populaire sur Snapchat écrit : « Ça affiche des meufs mais ça affiche pas les gars qui forcent comme des suceurs pour avoir ces photos. »
Un soutien qui aide les adolescentes à supporter les sarcasmes et les sifflets dans les couloirs du lycée.
J’aimerais qu’on enseigne aux ados la sexualité positive, celle qui se base sur le consentement, le plaisir et le partage. Qui n’a rien de honteux, de dégradant, qui ne brise pas les réputations.
J’aimerais qu’on enseigne l’égalité femmes-hommes, en théorie comme en pratique.
Oui, les ados ont une sexualité. Et il est bon de leur parler prévention, santé, bien sûr, mais ça ne suffit pas — pas tant que les désirs et plaisirs peuvent se retourner contre des jeunes filles pour leur pourrir la vie.
Au-delà d’une sanction pour les coupables, ce que j’espère vraiment, c’est qu’un jour, la sexualité des femmes ne soit plus une arme pour leur faire du mal.
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