— Un grand merci à Lady Dylan qui a aidé Sophie-Pierre Pernaut à boucler cet article !
Cette semaine, difficile de passer à côté de l’interview de Pharrell Williams par Enora Malagré tant elle a été moquée sur les réseaux sociaux, Twitter en tête. Par la suite, emballement médiatique oblige, j’ai fini par en regarder tellement d’extraits que c’est comme si j’avais tout vu.
Malgré ma curiosité pour comprendre l’origine de tant de haine, j’avais choisi de ne pas regarder cette interview plus de quelques minutes parce qu’Enora Malagré n’est pas journaliste. Elle est animatrice et chroniqueuse et n’est donc pas rodée à l’exercice qui, pour l’avoir testé, est vachement difficile. Vachement.
Du coup, je prône une certaine indulgence, probablement motivée par des raisons égoïstes (je n’ai pas envie de faire aux autres ce que je n’aime ou n’aimerais pas qu’on me fasse) et par ma gêne à l’égard du lynchage, qu’il ait lieu sur Internet, dans une cour de récréation ou dans les médias traditionnels. Critiquer, oui. Basher, non. La nuance est parfois toute fine et il m’est parfois arrivé pour ma plus grande honte de constater que j’avais pu l’oublier sans m’en rendre compte.
Tout ça pour dire : Enora a pris le parti, dans son interview, d’avoir un angle extrêmement détendu, ça donne parfois une impression de surjeu mais je ne vois rien de dramatique. Pourtant, je n’ai pas d’affection particulière pour elle. Chroniqueuse dans Touche Pas À Mon Poste, elle passe son temps à dégommer des émissions, des concepts ou des personnalités avec des arguments plus ou moins constructifs.
Elle est la cible parfaite d’un lynchage en règle : ceux et celles qui n’en peuvent plus de ses interventions dans l’émission (interventions qui semblent, de mon point de vue, totalement cliché, comme si elle devait — ou avait choisi de — se caricaturer elle-même) ont sauté sur l’occasion pour attaquer son travail. Enora a fauté avec une interview qui a mis beaucoup de personnes mal à l’aise, et comme elle est tellement intransigeante avec les autres, autant l’être avec elle. Je peux comprendre et je ne juge pas, vraiment, vraiment pas.
Depuis, l’animatrice a souhaité que la vidéo soit supprimée et s’est expliquée à plusieurs reprises. Au micro de sa propre émission, Enora le soir, elle a ainsi entre autres déclaré :
« J’ai voulu faire une interview à la cool. Avec du second degré. Quand je lui dis « ça va bébé ?», c’est comme ça que j’appelle tout le monde ! Je voulais faire un truc un peu décontracté. Ça n’a pas fait fait rire les gens, ça n’a pas marché, je suis désolée. »
Enora, surtout, avoue qu’elle s’en fout. Elle s’excuse, mais elle s’en fout, et elle a au moins toute mon admiration pour ça : savoir comprendre les critiques virulentes, les encaisser et les prendre en compte, sans pour autant en être blessée, ça doit demander une certaine force.
Si je comprends les causes du lynchage global, j’ai un peu plus de mal avec une autre attaque : celle de Cyril Hanouna, son propre patron. En public. À la télévision. Dans le cadre de l’émission Touche pas à mon poste. Je te laisse regarder la séquence, hébergée sur Dailymotion par Pure Médias :
[dailymotion]https://www.dailymotion.com/video/x1dqg6f_interview-de-pharrell-williams-cyril-hanouna-tacle-enora-malagre_tv[/dailymotion]
Rien de nouveau sous le soleil. Régulièrement, les deux collègues se prennent la tête devant la caméra, pendant l’émission, devant le public et les téléspectateurs. Ça fait partie, je l’imagine sans mal, de la mise en scène de l’émission.
Tu reprendras bien un petit peu de condescendance ?
Oui mais voilà : il y a un moment où le malaise n’est pas là où Hanouna veut le dénoncer. Le malaise, à mes yeux, il est véritablement dans le fait que — course à l’audience ou pas — l’animateur remonte les bretelles de son employée (Hanouna va en plus produire la prochaine émission d’Enora à la télé, c’est te dire le rapport hiérarchique) comme si elle avait dix ans et qu’on venait de la surprendre en train de piquer des bonbons.
Ok, les clash à la télé, ça fait du clic, ça fait le « buzz ». Qu’ils en fassent, mis en scène, exagérés ou pas, je m’en tape. Touche pas à mon poste
, ça fait un moment que je ne regarde plus. Mais la récurrence de ce genre de scènes est tellement forte que c’est un peu comme si on me mettait des allumettes dans les yeux afin de les garder ouverts pour être sûr que je n’en rate rien. Soit. Je tente de m’en foutre. Même si quand je lis sur Le Point une retranscription des propos d’Enora dans son émission sur un autre « clash », j’ai des renvois dans la bouche :
« Vous savez, tout cela est très joué, tout cela est très mis en scène, tout cela n’est que de la télévision, tout cela est prévu bien à l’avance, les enfants. Cela a fait une belle séquence de télé et ça a fait couler de l’encre. Du coup, ça veut dire que ça marche et ça, c’est chouette. »
Le problème, c’est qu’au bout d’un moment, quand même, c’est lassant, d’autant plus quand on voit la violence de la remontrance d’hier. Cyril Hanouna semble avoir envie d’apprendre son boulot à la chroniqueuse, mais en public, sur une émission dont il n’est pas le producteur de surcroît. Relayant des critiques d’amis à lui qu’il a reçu par SMS. Rien que ça.
Imagine un peu cette scène, en vrai. Personnellement ça me retourne l’estomac d’envisager qu’un ami — qui n’aurait rien à voir avec mon boulot — de mon patron, jugeant que mes tweets sont nuls, l’appelle pour lui dire « Dis donc, ta p’tite rédactrice, qu’est-ce qu’elle peut dire comme conneries sur Twitter »…
Et quand bien même Cyril Hanouna serait le producteur d’Enora le soir, y a-t-il un quelconque intérêt à ce clash, autre qu’une course à l’audimat éhontée ? « Personne ne représente la majorité des twittos ici. Y a 90% de tweets négatifs et personne ne les représente, donc je me fais le porte-parole des twittos qui n’ont pas aimé ». Ah bah oui, la voilà, l’autre raison : caressons le public dans le sens du poil en donnant la fessée (scénarisée ou non) à sa subalterne.
Internet, globalement, c’est bien : ça permet de donner et recevoir des avis en direct. C’est pas fait pour se mettre ses téléspectateurs un peu plus dans la poche. Même téléspectateurs qu’on, selon mon humble opinion, prend pour des pigeons en leur faisant croire qu’on s’engueule alors que c’est de la vanne.
Tu reprendras bien un peu de sexisme ?
On a déjà reçu des mails et mentions sur Twitter de lectrices nous demandant de nous pencher sur le cas du sexisme dans TPMP. Le commentaire de Cyril Hanouna n’est donc pas la première réflexion tout à fait discutable de l’émission.
Je me souviens particulièrement d’une fois où Enora Malagré avait dansé et fait du playback sur du Britney Spears, habillée comme la chanteuse, et était retournée à sa place en disant quelque chose comme « Et dire que je passe mon temps à critiquer les petites meufs qui s’habillent comme ça ». Slut-shaming, j’écris ton nom à l’acide dans mon cœur.
Alors voilà : là, la séquence commence par Cyril Hanouna qui demande à Enora si elle a chopé Pharrell, finalement : « Est-ce que vous l’avez pécho, finalement ? Enfin bon voilà, il faut le savoir ».
Bah non, Cyril. Il faut pas le savoir. Déjà parce qu’on s’en fout, mais qu’en plus s’ils s’étaient pécho, je vois pas pourquoi il faudrait le savoir. Nous ne sommes pas des robots à la recherche du premier potin à se caler sous les fesses, merci bien. Mais le pire est à venir.
Enora rebondit en expliquant qu’elle trouve certaines des critiques « un peu sexistes » : « Mouloud [Achour] fait la même chose », argue-t-elle. Et alors là, le coup de grâce :
« Mouloud aurait fait ça j’aurais pas été choqué. C’est pas pareil une femme et un homme ! »
Une femme qui fait une interview qu’elle choisit détendue, qui déconne et fait semblant de séduire un artiste, c’est donc « choquant », mais pas un homme qui ferait la même chose ? Bah alors… S’agirait de se rappeler deux ou trois petites secondes que les femmes n’ont pas pour seul but de plaire aux hommes. Que ce n’est pas parce que c’est une femme face à un homme qu’elle est forcément dans la séduction lorsqu’elle se la joue détendue.
« Non mais vous passez pour une fille facile ! »
C’est quoi une fille facile, Cyril ? Une fille qui drague ? Une fille qui couche ? Même si Enora avait effectivement tenté de séduire Pharrell Williams, ç’aurait été quoi, le problème ? Les très nombreuses fois où un intervieweur homme dragouille les femmes qu’il interroge — parfois très lourdement, parfois des femmes avec qui il n’a que très peu de chances — on ne vient pas le traiter de garçon facile ?
Beaucoup de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux — ceux-là même auxquels Cyril Hanouna tient tant à rendre justice — tournent effectivement autour de cette idée : Enora est une salope. Selon eux, il serait honteux et contradictoire qu’elle se plaigne du sexisme tout en dégradant ainsi l’image de la femme.
Quelles qu’aient été les intentions d’Enora, de faire rire ou de séduire, elles ne peuvent rien avoir de dégradant. Vous savez pourquoi ? Parce que la sexualité féminine n’est pas dégradante. J’ai l’impression de le répéter à peu près tous les jours, mais apparemment certains ne l’ont pas encore compris. À bon entendeur, Cyril : les filles faciles te saluent.
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