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Interview d'Hanneli Victoire, auteur du livre Rien à perdre © Zoé Chauvet
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Hanneli Victoire signe le livre d’amour trans qu’il manquait à la littérature française

« Parler d’amour queer, c’est abriter sous le même parapluie à la fois nos vécus, nos traumatismes, nos sexualités, nos rejets, nos complicités », écrit le jeune auteur dans son premier livre, Rien à perdre, paru aux éditions Stock le 1ᵉʳ février 2023. Interview pour parler de représentation trans et de tendresse.

C’est une histoire d’amour comme il en existe déjà des millions en littérature. Sauf que Hanneli Victoire s’inspire de sa vie de jeune personne transmasculine qui ne se l’avoue pas encore, et le comprend au fil de ses rencontres au sein de la communauté LGBTI+. Un parcours initiatique peuplé de questions d’expression et d’identité de genre, de sexualités, de classes sociales, de réseaux sociaux et d’engagements militants à mettre entre toutes les mains, surtout celles qui n’y connaissent rien aux questions de transidentité. Pour autant, Hanneli Victoire ne tombe jamais dans le voyeurisme ou la pédagogie lourde, et utilise plutôt son style percutant et ultra-accessible pour raconter la banalité du mal d’aimer. Surtout quand on est trans, jeune, ultra-connecté et engagé, comme nous le raconte l’auteur en interview, suite à la publication le 1 février 2023 aux éditions Stock de son autofiction. Avec Hanneli Victoire, on a donc parlé d’amour queer, de représentation trans, et de tendresse.

Interview d’Hanneli Victoire, auteur du livre Rien à perdre

Interview d'Hanneli Victoire, auteur du livre Rien à perdre
Rien à perdre, de Hanneli Victoire, 19 € les 160 pages.

Madmoizelle. Comment vous présentez-vous ?

Hanneli Victoire. Je suis Hanneli Victoire, journaliste et maintenant écrivain, monomaniaque de Gaga, Mylène et Céline et de tout ce qui est déconsidéré, car trop féminin, par la culture légitime.

À quel point Rien à perdre s’avère autobiographique ? Pourquoi avoir choisi l’autofiction ?

Tout dans ce roman est arrivé dans la vraie vie, et le narrateur est mon double fictionnel. Après, j’ai construit à partir de mes souvenirs une trame et des personnages, en devant parfois faire des arrangements chronologiques, accentuer des traits de caractère et me concentrer uniquement sur certains points. J’ai choisi l’autofiction car ça me semblait être un bon matériau pour dérouler une histoire que j’avais envie d’écrire, et qui je crois, peut parler à beaucoup de monde.

Le livre s’ouvre sur vous, en pleine dysphorie de genre, qui n’a plus envie de « jouer à ce jeu d’être une fille ». Choisir une expression de genre neutre vous a-t-il apporté une forme de soulagement dans une société sexiste et patriarcale comme la nôtre ?

C’est vraiment une question primordiale dans le texte. Arrêter de se plier aux normes de l’hétéronormativité, notamment en matière de séduction, m’a permis de libérer mon corps, dans tous les sens du terme. En arrêtant de se maquiller, de se faire des coiffures ou encore de mettre des vêtements moulants, ça a dégagé mes mouvements et m’a fait découvrir les traits de mon visage, sans artifice. On peut alors se concentrer sur autre chose.

Plus loin, vous écrivez même : « Je ne veux plus ressembler à une fille. Je ne veux plus de contrainte. Je ne veux plus me sentir en danger […], je ne suis pas une fille, je suis invincible. » Pensez-vous que si la société était moins sexiste, on accepterait des identités plus fluides, moins binaires ?

Ah, oui, ça vraiment, je le pense ! Il y aurait toujours des gens qui aimeraient s’identifier à un genre plutôt qu’un autre, mais le spectre serait beaucoup plus ouvert, et les potentialités de se penser, soi et son corps, intimement, comme dans l’espace public, beaucoup plus vastes.

Vous écrivez qu’en province, « on naît, on vit, on meurt, sans se poser les questions compliquées, à moins d’être pédé, et de devoir partir pour ne pas crever » : selon vous, pourquoi l’exode rural vers des zones urbaines s’avèrent si fréquent chez les personnes LGBTI+ ?

Je crois que c’est d’abord une affaire de représentation. À la campagne, les normes de genre et de sexualité ne sont pas plus fortes qu’en ville, mais plus restreintes sur un territoire donné au sein d’une plus petite population, et forcément plus exacerbées. Ne pas y correspondre signifie pour beaucoup devoir trouver des modèles ailleurs. La recherche de pairs est très importante dans une quête identitaire, pour vivre des vies qui nous ressemblent, en termes d’amour, d’amitié, de culture ou de sexualité.

Vous témoignez aussi avec beaucoup de tendresse avoir été une « fille à pédé » : dans quelle mesure cela a pu servir d’étape dans votre transition personnelle ?

J’ai adoré être une FAP. Vraiment, les gays ont été ma porte d’entrée vers tellement de choses. Le rapport à la séduction, à la virilité, à la mode, aux normes du corps, à la culture, je m’y suis beaucoup identifié. Les côtoyer m’a permis de trouver ma propre voie et m’a donné des modèles d’hommes à qui je voulais ressembler, bien loin des masculinités figées des hétéros.

Vous écrivez comment l’artiste Chris vous a ouvert une voie : pourquoi importe-t-il d’avoir des icônes LGBTI+ qui puissent servir de représentation afin de faciliter les projections ? Pensez-vous que vous auriez transitionné plus tard si vous ne vous étiez pas identifié au parcours trans de Chris ? 

Je ne sais pas si j’aurais transitionné plus tard, je crois que percuter le second album de Chris comme j’ai pu le faire est venu accentuer quelque chose que je faisais déjà maturer en moi depuis longtemps. Néanmoins, je n’avais jamais rencontré d’hommes trans, ou personnes transmasc avant de sortir avec l’un d’entre eux. Je crois que si j’avais eu des modèles de personnes trans à la télé ou dans la culture, qui assument leur transidentité et sont à la fois épanouies et sûres d’elles, ça oui, ça m’aurait aidé plus jeune, j’aurais eu moins de préjugés, et surtout j’aurais eu moins peur.

À lire aussi : « La transphobie tue » : Redcar (Christine and the Queens) répond aux commentaires transphobes

Vous choisissez dans votre livre d’écrire noir sur blanc la façon dont vous avez mégenré votre premier amour, Eli, avant d’être corrigé : est-ce une volonté de votre part de faire de la pédagogie à travers votre livre ?

J’ai choisi de raconter ce passage, car il illustre très bien toute la confusion que peuvent ressentir des personnes qui n’y connaissent rien face à la transidentité, mais aussi montrer que l’attirance ne se choisit pas, que l’on croit tomber sur quelqu’un qui se révèle être quelqu’un d’autre, et je trouve ça très beau.

Au-delà de la question de la transidentité, votre livre constitue aussi un roman d’amour et de désamour très contemporain. Croyez-vous qu’il soit plus dur de rompre aujourd’hui à l’ère des réseaux sociaux ?

Je crois que oui, mais je crois que c’est aussi très lié au milieu queer. Peu importe que l’on soit dans une énorme ville ou dans une petite localité, on a toujours l’impression d’être douze dans cette commu, et que l’on va toujours recroiser ses exs. Avec les réseaux sociaux, cette peur est multipliée, puisqu’on peut aussi se croiser dans l’espace virtuel via des stories ou des posts. Quel enfer [rires] !

Justement, vous écrivez : « Parler d’amour queer, c’est abriter sous le même parapluie à la fois nos vécus, nos traumatismes, nos sexualités, nos rejets, nos complicités […]. L’amour queer est comme tous les autres, formatés, et surtout il cogne plus fort car il se vit dans la marge. » Nos amours queers se vivent-elles plus intensément, mais aussi potentiellement plus violemment du fait que nous soyons des personnes marginalisées, donc plus soumises aux violences sociales, selon vous ?

Bien sûr. Les LGBTIphobies nous détruisent dans nos intimités et induisent des rapports à la violence, au danger et à la peur totalement exacerbés. Je crois que cela explique en partie l’intensité générale de beaucoup de relations, qu’on caricature avec humour, mais qui est tout de même révélatrice de profondes ambiguïtés.

« Le cul est, dans notre histoire collective, au cœur de nos luttes […]. Le cul est la transgression ultime, le péché sacré, celui par lequel nos identités ont toujours été diabolisées. […] Plutôt que de jouir de honte, nous devrions jouir de fierté » : en quoi le sexe hors norme peut-il être une arme de dissidence politique, selon vous ?

C’est un des tabous les plus forts de notre société contemporaine. Tout le monde en parle, mais personne ne veut admettre ses propres désirs quand il s’agit de désirs hors du régime de l’hétérosexualité. Les pratiques queer ou encore l’abstinence sont en soi des manières de briser le narratif dominant.

« La nouvelle génération est là et la guerre des tranchées de l’intersectionnalité a démarré. On n’a pas beaucoup d’armes pour lutter à notre échelle, mis à part un regard moralisateur empreint d’une pureté militante qui exaspère, nos inégalités et nos egos, énormes grâce aux réseaux sociaux. » : d’après vous, en quoi la quête de la pureté militante peut être nocive ?

Le principal écueil pour moi c’est le manque d’objectif politique clair. Vouloir la fin du patriarcat ne peut pas être un mot d’ordre en soi, il faut des projets militants plus ancrés dans les problèmes sociaux, avec des leviers d’action concrets, et des résultats quantifiables. Ça peut se négocier de plein de manières, comme par exemple une politique publique ambitieuse sur les violences sexistes et sexuelles, une meilleure prise en charge des élèves LGBTQIA+ à l’école, une PMA vraiment pour tous et toutes… Bref, des revendications claires, qui permettent d’identifier à la fois ses alliés et ses détracteurs. C’est le deuxième point négatif pour moi, avec la pureté militante, tout le monde devient ennemi, alors que l’objectif du militantisme, c’est quand même de changer la société pour tous et toutes.

Après la publication de ce livre qui se clôture sur le déconfinement, aujourd’hui, quand vous vous regardez dans le miroir, que voyez-vous ?

Je vois quelqu’un de beaucoup plus serein, plus aimant, plus confiant et tendre aussi. J’aime beaucoup ça.

Crédit photo de Une : Hanneli Victoire photographié par Zoé Chauvet.


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