Début octobre, un article de Direct Matin présentait Jobekia, un cabinet de recrutement en ligne spécialisé pour les personnes handicapées. Mais pourquoi une société spécialisée ? Le recrutement est-il différent quand on est atteint•e d’un handicap ?
Trouver du travail lorsqu’on est une personne handicapée, c’est malheureusement souvent une route semée d’obstacles. Fin 2013, 413 421 personnes handicapées étaient à la recherche d’un emploi, et le taux de chômage de cette population avait augmenté de 11,5 % en un an, c’est-à-dire deux fois plus vite que si on prend en compte l’ensemble des chômeurs.
Pour mieux comprendre ce que vivent les personnes handicapées quand elles cherchent du travail, et lorsqu’elles sont en entreprise, nous avons interrogé les madmoiZelles. Quel que soit leur handicap, toutes s’accordent à dire qu’il a compliqué leurs recherches, et qu’encore aujourd’hui, il reste des progrès à faire pour améliorer leur quotidien en entreprise.
À lire aussi : « L’accessibilité des handicapés, un problème toujours pas résolu », à lire sur Le Monde
Avant tout, il faut rappeler un point essentiel. Une personne handicapée, ce n’est pas seulement quelqu’un en fauteuil roulant. Il existe plusieurs types de handicaps, définis par l’Organisation mondiale de la santé, et qui sont plus ou moins visibles.
Le site du Comité national coordination action handicap précise qu’on distingue :
- le handicap mental, ou déficience intellectuelle, « un arrêt du développement mental ou un développement mental incomplet »
- le handicap auditif, un état pathologique caractérisé par une perte partielle ou totale du sens de l’ouïe
- le handicap visuel, qui recouvre l’ensemble des troubles pouvant entraîner une atteinte partielle ou totale de la motricité
- l’autisme, un trouble envahissant du développement (TED) caractérisé par un développement anormal ou déficient, manifesté avant l’âge de trois ans
- le handicap psychique, qui se distingue du handicap mental car il est secondaire à la maladie psychique, et reste de cause inconnue à ce jour
- les maladies dégénératives, des maladies souvent génétiques au cours desquelles un ou plusieurs organes sont progressivement dégradés
- les traumatismes crâniens
- les troubles Dys, des troubles cognitifs spécifiques et les troubles des apprentissages qu’ils induisent
- le plurihandicap, soit les personnes atteintes motrices et/ou sensorielles de même degré
- le polyhandicap, un handicap grave à expressions multiples, dans lequel une déficience mentale sévère et une déficience motrice sont associées à la même cause
La recherche d’emploi, plus ou moins difficile selon le handicap
La recherche d’emploi a rarement été de tout repos pour les madmoiZelles handicapées. Les handicaps sont rarement compris par leurs recruteurs, et les offres peu adaptées à leurs profils. Au lycée, Daphnée ne savait pas trop ce qu’elle voulait faire de sa vie. Elle a finalement atterri par hasard dans une branche qui lui plaisait, et a entamé une spécialisation, la moitié du temps à l’école, l’autre moitié en entreprise.
Un jour, elle eu un accident de voiture, et malgré deux ans de rééducation, elle s’est retrouvée en fauteuil roulant :
« La recherche d’emploi en elle-même est une bataille de plus. La loi a beau encourager l’embauche de personnes en situation de handicap, ça ne fait malheureusement pas tout, et mieux vaut savoir se vendre auprès des recruteurs. Ce qu’on ne nous dit pas après un accident, c’est qu’en réalité, on en finit jamais vraiment.
Si l’on veut conserver les forces retrouvées, il est nécessaire de maintenir ses efforts. Ce qui veut dire : des séances de kinésithérapie à raison d’une heure un jour sur deux (week-end exceptés), et pour les plus assidu•e•s, un stage de rééducation à temps plein, entre quatre et six semaines tous les six mois. On imagine bien que côté boulot, on a intérêt à trouver un patron flexible pour les horaires, d’autant plus que les contre-temps ou imprévus sont fréquents. »
À lire aussi : J’ai testé pour vous… passer une journée en fauteuil roulant
Scottie, elle, est atteinte du syndrome de Little. Elle enseigne pour la première année en lycée, après avoir obtenu son concours en juin dernier. Elle n’a pas eu plus de mal qu’une personne valide à trouver un poste :
« Après mon concours, mon travail était assuré et c’était un soulagement pour moi. J’étais prête à travailler beaucoup, mais pas à me battre pendant des mois pour trouver un job. Lorsque j’ai pris mon poste, le personnel de mon lycée a été très attentif.
Je fais cours en fauteuil roulant, mes déplacements restent donc limités. On m’a permis d’avoir une grande salle au rez-de-chaussée et un vidéo-projecteur. J’ai annoncé mon handicap aux élèves comme quelque chose à respecter, cela entrait dans les règles de classe. »
À lire aussi : Je suis atteinte du syndrome de Little, et je le considère comme une force
Anéa est psychotique à tendance schizophrénique « dans la plus basse échelle de degré d’atteinte », précise-t-elle, « c’est-à-dire que je peux être indépendante avec un traitement adéquat ». Elle a bénéficié d’un soutien associatif pour trouver du travail :
« J’ai eu une licence de lettres modernes, parcours documentation. J’ai été aidée par l’association Handisup, qui oeuvre pour l’intégration professionnelle des personnes handicapées jeunes ou étudiantes. Grâce à eux, j’ai décroché un emploi d’été dans une unité d’une entreprise qui me plaisait ! »
À 22 ans, Jade, qui est sourde, est en alternance en tant que chargée communication et marketing dans le cadre de son master. Elle raconte sa recherche de stage :
« Je n’avais pas particulièrement d’appréhension. Pour moi, mon handicap n’en est plus un, il ne me gêne plus. Mais voilà, je suis revenue à la réalité quand j’ai commencé à chercher un poste de stagiaire. Je m’y suis prise tôt, dès octobre. Mais arrivée en janvier, je n’avais toujours pas de réponse positive. J’avais des appels pour passer un entretien. Mais comme je ne pouvais pas répondre directement au téléphone, je passais par l’intermédiaire de ma mère ou d’un ami.
À chaque fois, c’était le même scénario : explication, questions de l’interlocuteur, réticence et retrait de l’offre. Rien à faire, même en disant j’étais en bac +4, que je bossais dur, que j’étais motivée… C’était décourageant. »
Mélissa, 22 ans, est fibromyalgique depuis deux ans : cette maladie se caractérise par des douleurs diffuses dans tout le corps, une grande fatigue et des troubles du sommeil, qui empêchent la personne qui en est atteinte d’accomplir ses tâches au quotidien. Elle est au chômage depuis sept mois :
« J’ai réussi à être mise en relation avec un centre pour m’aider à trouver un métier compatible avec mes problèmes. Ça me permet de me rendre compte de mes capacités. L’intérim ne veut pas de nous car nous sommes handicapés, et il ne se cache pas pour nous le dire… »
Cette madmoiZelle anonyme a 27 ans, et est atteinte de la maladie de Crohn depuis quatre ans :
« Je ne peux pas tout faire, et ça limite le choix, qui n’est déjà pas énorme. En plus des critères basiques d’une annonce, comme le salaire et les diplômes à avoir, je regarde aussi si ce n’est pas trop loin pour rentrer pendant ma pause d’une heure si besoin, si les horaires sont fixes et pas en décalé, si je n’ai pas trop de contacts directs avec les gens. »
À lire aussi : J’ai 20 ans et la maladie de Crohn
Après de longues études un bac+5, Babs, phobique sociale à cause d’un harcèlement prolongé à l’école, a essayé de s’installer comme travailleuse indépendante. Mais cela n’a pas fonctionné. Elle a fini par décrocher un concours administratif dans la fonction publique :
« On m’a imposé d’office un poste qui demandait d’être extraverti•e, alors que les interactions sociales me font paniquer. Comme je n’assurais pas, on m’a changé de poste, et on m’a demandé de faire de la comptabilité, alors que je n’ai aucune formation dans le domaine. Comme ça ne marchait pas non plus, on m’a renvoyée chez moi et licenciée au bout de trois mois.
On m’a aussi conseillé de contacter la Maison Départementale des personnes handicapées. J’ai obtenu la reconnaissance de travailleuse handicapée, ce qui m’a fichu un sacré coup au moral. »
Une autre madmoiZelle caissière, qui ne peut porter de lourdes charges à cause de son handicap, a été déçue par l’aide associative dans sa recherche de travail :
« J’ai fait appel à un cabinet dans l’espoir d’être aiguillée sur des postes adaptés à mon handicap. Ce qui n’a pas été le cas. »
Annoncer son handicap ou le taire pendant un recrutement ?
Devant la difficulté à décrocher un emploi, de surcroît un emploi adapté à ses besoins, faut-il annoncer son handicap sur son CV, ou attendre l’entretien, voire ne rien dire avant d’être en poste ? Les avis divergent. M.D est sourde de naissance, et appareillée depuis ses deux ans. Elle n’entend plus rien et utilise beaucoup la lecture labiale, qui lui demande beaucoup d’énergie et d’attention :
« Au début, je mentionnais dans la lettre de motivation que j’étais sourde mais oralisée, ce veut dire, en gros, que je peux parler sans difficulté. Après mon bac STG, je voulais faire un BTS NRC. Comme il fallait à tout prix trouver une entreprise pour cela, j’ai dû enlever le mot néfaste des entreprises, le « handicap », dans ma lettre de motivation. J’ai commencé à avoir des retours, et j’ai pu trouver une entreprise. »
À lire aussi : Je suis sourd et je le vis très bien, merci
Finalement, elle pense qu’il est préférable de mentionner son handicap quand on postule :
« Ça éviterait de créer des malentendus. Et il faut savoir que la franchise est importante pour trouver du travail. Sur les sites spécialisés comme Cap emploi, on ne sait pas avec quel handicap s’accorderait avec quelle offre. Pour un poste commercial, par exemple, si une personne non valide postule, elle aura un mauvais retour. Certains pensent que c’est de la discrimination d’afficher les types de handicaps. Mais je trouve que ça pourrait aider à rendre la recherche plus fluide. »
Anne, malentendante de naissance, n’a, pour sa part, jamais annoncé son handicap lors de sa recherche de travail :
« Surtout pas. Déjà pour savoir si je suis reçue à l’entretien. J’y vais sans rien dire, sauf si on me le demande sur le moment. J’ai toujours fait ça, dans le privé et dans le public. Quelque temps après, ma responsable, qui a remarqué que je n’entendait pas toujours, m’a posé la question. Je lui ai tout expliqué et tout se passe bien.
Si j’avais un handicap visible, j’essaierais de ne pas le mettre sur le CV. Il faut qu’on juge sur les compétences, et qu’on aide si besoin avec des dispositifs adaptés. Prendre un peu plus de temps, avoir un écran adapté ou un siège spécial ou répéter n’est, à mon sens, ni plus long ni plus fatiguant pour les autres que d’expliquer des choses à quelqu’un qui ne veut rien faire ! »
Cette madmoiZelle anonyme, à laquelle son handicap interdit de porter de lourdes charges, agit au cas par cas :
« Je ne précise mon handicap sur mon CV que dans certains cas, selon l’entreprise. Mais il est important de le signaler au cours de l’entretien d’embauche. Il faut en discuter avec l’employeur, pour l’aménagement du poste, du temps de travail, les obstacles que l’on peut rencontrer etc. »
Camille, handicapée visuelle depuis sa naissance, est étudiante en communication. Elle a du mal à parler de son handicap à ses futurs patrons de stage :
« Être handicapé•e en communication, c’est comme être un âne au milieu d’étalons. Mon handicap ne se voit quasiment pas, il est donc facile de le cacher lors d’un entretien. Je ne mets pas mon problème sur mon CV, et je n’ose pas le dire en entretien. J’ai toujours peur d’être discriminée, et que les gens me voient comme un boulet. »
Mellyflue est atteinte d’une maladie orpheline, un « angioedème bradykinique », un handicap ponctuel non reconnu comme tel, qui provoque des crises d’œdèmes plus ou moins violentes, centralisées chez elle sur la langue et le ventre. Depuis une mauvaise expérience en entreprise, elle ne veut plus parler de son handicap dans le milieu professionnel :
« Depuis, aucun de mes employeurs ne connaît ma maladie. Je sais faire mes piqûres moi-même, je vais dans les toilettes en cas de crise pour m’administrer le médicament, et je supporte douleur et fatigue. Je ne peux pas me permettre de reperdre un autre travail. Même si je crains le jour où j’aurais de nouveau une crise abdominale, et où il sera nécessaire d’appeler les pompiers et de m’emmener à l’hôpital, afin de recevoir sous intraveineuse l’autre médicament… »
La madmoiZelle atteinte de la maladie de Crohn s’interroge :
« Souvent, je suis en plein dilemme : le dire ou ne pas le dire ? Pour moi, il vaut mieux le taire quand on postule à des offres d’emploi, en tout cas dans mon cas. J’ai une maladie chronique. Le jour ou je me présente à l’entretien, ma maladie est stable, donc ça va, c’est complètement invisible ! Mais je ne peux pas te garantir que dans 6 mois ça sera pareil… Allez expliquer cela à un patron ! »
Mélissa, fibromyalgique, a testé les deux options :
« Lorsque je précise que je suis handicapée lors de mes candidatures, je n’ai pas de réponses, ou alors négatives. Mais lorsque je ne le mentionne pas, j’attends la fin de l’entretien et regarde avec amusement leur réaction. Souvent c’est : « Ah bon ? Mais ça ne se voit pas ?!» »
Zgu est atteinte d’une maladie neuro-musculaire dégénérative. Elle ne travaille pas, mais lors de sa recherche de formation, même si elle marchait encore et bougeait les bras, elle s’est heurtée à de multiples refus :
« J’ai essayé de trouver une boîte qui me prenne en alternance. Plutôt douée en dessin, je me destinais à une formation en infographie. Je ne sais plus combien de CV et lettres de motivation j’ai envoyés, mais je n’ai eu que des refus. J’avais signalé mon handicap dans le courrier, c’était normal, ne pas le faire aurait été mentir pour moi. »
Jade estime qu’il est plus honnête de préciser son handicap lors de sa candidature, même si on lui a parfois déconseillé :
« J’ai demandé conseil à la Mission handicap de mon université si je devais spécifier mon handicap sur le CV. Les avis divergeaient. Pour moi, ça allait de soi : c’est un début de rapport de confiance entre l’employeur et potentiel•le employé•e. Je ne me voyais pas envoyer arriver au recrutement en faisant la surprise…
Pourtant, plusieurs personnes m’ont conseillé de le cacher, pour montrer qu’en arrivant à l’entretien, mon handicap ne se voyait pas. Mais je pense que c’est tricher, en soi. Si les personnes qui lisent mon CV et sont bloquées par la mention « travailleur handicapé reconnu / handicap auditif », je pense que ce n’est même pas la peine d’aller plus loin. »
Chantal Legardeur, la fondatrice de Jobekia, conseille quant à elle les personnes handicapées au cas par cas :
« Il reste malheureusement une discrimination en France, même si elle ne concerne pas de la même façon toutes les personnes handicapées. Dans certains cas, je conseille de déclarer le handicap, s’il risque d’occasionner des gênes dans le travail, sinon cela risque de générer des situations où les employeurs n’ont pas envie de recruter. Les entreprises qui recrutent sur Jobekia sont en général sensibles au handicap.
Pour autant, le handicap précis n’est pas forcément mentionné sur le CV de la personne, même s’il y a par exemple des indices, comme les personnes sourdes qui demandent qu’on les contacte par SMS. En fait, des personnes valides peuvent s’inscrire sur notre site, on ne peut pas les en empêcher, c’est la loi. »
Le handicap en entreprise au quotidien
Une fois passée la difficile étape du recrutement, la personne handicapée arrive en entreprise. Mais il n’est pas toujours évident de faire comprendre à ses collègues et à ses supérieurs, de leur faire accepter le handicap. Si certaines entreprises s’adaptent du mieux qu’elles peuvent, certain•e•s employé•e•s handicapé•e•s se sentent parfois mis•e•s de côté, voire ignoré•e•s. Anéa raconte son premier jour dans son emploi d’été :
« J’ai eu un moment de fatigue intense, car j’allais à un rythme trop rapide. Du coup, ma tutrice a pu aménager un tempo plus lent, plus calme. On a accepté ma maladie la plupart du temps, car elle n’est pas visible au premier abord. Des techniques m’ont aussi permis de prendre de l’assurance. Peut-être que je suis « privilégiée » par rapport à certaines personnes moins en harmonie avec leur handicap. Mais j’ai peur de subir de la discrimination en montrant la preuve de mon handicap… »
Scottie rapporte un entourage professionnel plutôt compréhensif :
« Au travail, le handicap est une particularité qui oblige à faire autrement, à créer d’autres liens, à « partager » l’espace-classe. Je n’ai eu aucune réflexion. Les élèves me testent, sans doute, et profitent du fait que je ne vois pas toute la salle précisément lorsque je suis au bureau. Mais fondamentalement, tout se passe bien.
Mes collègues n’établissent pas de barrières entre eux et moi, bien au contraire. Néanmoins, je suis consciente que mon handicap fait porter une responsabilité supplémentaire aux dirigeants du lycée qui m’accueille. »
Cette madmoiZelle anonyme, caissière, ne peut porter de lourdes charges à cause de son handicap :
« Mes collègues ne pensent pas toujours à mon handicap. Je le comprends, ils ont leur propre travail à effectuer. Il est difficile de solliciter de l’aide en permanence. Il m’arrive aussi de tomber sur des personnes qui estiment que notre reconnaissance n’est pas justifiée : parce que j’effectue des tâches que je ne devrais pas effectuer, parce que je ne me plains pas, ou encore parce que je ne boîte pas.
Globalement, je vis mal mon handicap du fait qu’on ne le voit pas (collègues comme clients), à cause de l’incompréhension, mais aussi parce que j’aimerais pouvoir faire toutes les tâches indues à mon travail, et que mon corps me rappelle que je ne le peux pas. »
Dans le cadre de son BTS, M.D a occupé un poste de commerciale :
« Beaucoup m’ont déconseillé de faire ce métier, à cause du contact par téléphone. Mais maintenant, il y a d’autres moyens de communication : Skype, Oovoo, par SMS, par mail…
Malheureusement, je n’ai pas pu rester longtemps dans cette entreprise. J’ai tout de suite senti que mon patron ne me responsabilisait pas assez. Mon projet pour la fin de l’année était presque vide… Comment avancer si on apprend rien ? J’ai arrêté à la première année du BTS et démissionné. »
Elle a ensuite touché à divers milieux, presque un différent chaque année : conseillère en peinture, aide à domicile, animation, ouvrière agricole, auxiliaire de vie, comptabilité… Mais les problèmes sont restés les mêmes à chaque fois :
« Pour la communication, je lis sur les lèvres. Je ne comprends que 25% de la phrase prononcée, et mon cerveau essaye de former une phrase. Parfois, ça crée des malentendus. Quand je ne comprends pas, je demande de répéter et parfois, mes interlocuteurs ont en marre. Pas facile non plus de faire comprendre que j’ai besoin qu’on m’écrive ce que je dois faire. Je n’ai pas eu de responsabilités dans mes divers métiers, car je n’avais pas de diplôme prouvant que j’avais des compétences acquises. On essayait de me« tirer vers le bas », j’avais la sensation de ne pas avancer.
En général, quand je suis au travail, j’essaye d’oublier ce qui s’est passé à la veille et d’avancer malgré les difficultés. Il faut relativiser tous les jours, sinon ça nous bouffe la vie (au quotidien, dans le couple…). Et il faut parler aux employeurs quand ça ne va pas ! »
Mellyflue avait été prise pour un travail d’été dans un grand musée, lorsqu’elle est tombée malade :
« En juillet, cela faisait quatre mois que j’étais malade. J’ai tout de suite prévenu mon chef, ai précisé que les crises étaient maintenant espacées. Mais les salles avec du velours et de la moquette et celles où il faisait trop chaud m’étaient interdites à cause de la maladie. J’ai été convoquée par le médecin du travail, à qui j’ai tout bien expliqué, lettre du professeur qui me suit à l’appui. Au début, tout se passait bien.
En réalité, j’ai vécu deux mois d’enfer. Mon emploi du temps n’a jamais été adapté à la fatigue chronique provoquée par la maladie, j’ai été envoyée dans les salles les plus chaudes. Au début, j’ai essayé d’appeler les responsables des secteurs pour leur demander un changement : on m’a répondu de m’arranger avec mes collègues. Collègues titulaires qui n’avaient pas la moindre envie de soulager une vacataire.
J’ai fait deux crises. Le médecin que j’avais vu en début de mois a refusé de me faire la piqûre, on a du appeler un pompier médecin exprès. […] C’était quasiment à la fin de mon contrat, je n’ai plus rien dit, et j’ai été d’une certaine manière mise au placard. Lorsque j’ai voulu repostuler l’année suivante, j’ai été refusée, sans motif. »
Lorsque Babs a été licenciée du poste inadapté à son handicap, elle dit elle-même s’être écroulée :
« Mon papa a porté plainte pour licenciement abusif et a obtenu une prolongation de la période d’essai. On m’a mise dans un secrétariat. Déjà fragilisée par tout ce qui m’était arrivé, je n’ai pas assuré du tout : même répondre au téléphone me mettait dans des états pas possibles. La période d’essai n’étant pas concluante, on m’a renvoyée chez moi. Fin de contrat.
À ce moment, j’avais vraiment envie d’arrêter. Mes parents et leur avocat sont encore intervenus. Après un procès, ils ont obtenu gain de cause. L’administration m’a mise sur un poste adapté, avec peu d’interactions avec le public. Je suis aussi suivie par une association d’aide à l’insertion des personnes handicapées dans le monde du travail. Toutes les deux semaines, un de leur membre passe me voir et on parle un peu. »
La madmoiZelle atteinte de la maladie de Crohn témoigne de son manque de confiance persistant :
« Globalement, je ne le vis pas très bien. Je pars de chez moi chaque matin en espérant que je tienne la journée. Je stresse de manger hors de chez moi, et que ça ne passe pas. Aujourd’hui je suis stable, après deux ans à faire des rechutes. Je dois juste réapprendre à faire confiance à mon ventre…
Je vais commencer un nouveau boulot dans quelques semaines. Clairement, j’ai du mal à croire que je pourrai un jour évoluer dans une boîte ! En tout cas, pas si le patron est au courant de ma maladie, parce que donner des responsabilités à une personne dont l’état de santé est instable, j’y crois moyen. »
Daphnée se souvient de toutes les questions qu’elle s’est posée, lorsque, en fauteuil roulant, elle a du reprendre une activité professionnelle :
« Est-ce accessible ? Y-a-t-il des toilettes adaptées ? Pourrai-je me déplacer là où j’en aurai besoin ? Entre le parking et le bâtiment, n’aurai-je pas trop de mal à circuler ? Aurai-je de quoi me garer ? »
Camille n’a fait que des stages, mais à chaque fois, elle sait qu’elle doit faire ses preuves :
« J’ai décroché deux stages. Le premier jour est toujours une étape. Avoir la tête à trois millimètres de l’écran, ce n’est pas courant ! J’ai aussi besoin d’un petit logiciel qui grossit. Mes employeurs ont toujours été compréhensifs. À vrai dire, je les ai mis devant le fait accompli, donc ils ne pouvaient pas faire grand chose. Le plus compliqué, pour moi, c’est d’assumer, mais surtout prouver aux employeurs que tu peux travailler normalement, comme tous les autres. »
En alternance en temps que chargée marketing et communication, Jade s’intègre, de son côté, plutôt bien dans sa petite entreprise :
« Les dix personnes de mon équipe ont tous compris comment faire avec mon handicap. Seul point : je ne réponds pas au téléphone — et je crois que ça me va très bien, au final. Lors des réunions, j’ai toujours des récapitulatifs par mail, idem quand on m’envoie des missions. Lors des meetings, chacun fait attention à bien articuler et à être en face de moi. On m’a déjà parlé de la possibilité d’un CDI, en fin de formation ! »
Les aides existent, mais restent insuffisantes
Les personnes touchées par un handicap qui travaillent ou cherchent un emploi peuvent demander une reconnaissance en tant que travailleur handicapé, qui leur permet d’être aidées financièrement et dans leurs recherches. Elles peuvent percevoir des allocations et aides financières, mais aussi bénéficier d’un suivi dans leurs candidatures.
La reconnaissance travailleur handicapé (appelée) RQTH est attribuée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).
En principe, les personnes handicapées qui en bénéficient :
- sont orientées vers une entreprise adaptée, un établissement ou un service d’aide par le travail ou une formation
- sont soutenues par le réseau de placement spécialisé Cap Emploi
- ont accès aux emplois de la fonction publique par concours, aménagé ou non, ou par recrutement contractuel spécifique
- reçoivent les aides de l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées) pour l’insertion en milieu ordinaire de travail
- entrent dans le cadre de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés auxquelles sont soumis les établissements de 20 salarié•e•s et plus.
Scottie connaît les aides disponibles, et sait aussi qu’elles peuvent lui permettre d’accomplir ses objectifs professionnels :
« Je suis reconnue travailleur handicapée (RQTH). Je pense qu’il est préférable d’obtenir cette reconnaissance, parce qu’elle permet d’officialiser le handicap et de bénéficier de certains avantages qui facilitent la vie.
Dans les années à venir, je voudrais faire un doctorat. Si j’obtiens un contrat doctoral, j’entrerai dans les 6% de travailleurs handicapés au sein de l’université choisie. Je considère cela comme un atout et une chance en plus d’obtenir cette bourse. Je pense qu’il n’y a aucune honte à profiter des quelques avantages que nous offre notre position. Ce ne sont pas des privilèges, mais des choses mises en place pour nous simplifier la vie. »
Cette madmoiZelle atteinte de la maladie de Crohn a aussi la reconnaissance travailleur handicapé, depuis janvier dernier, mais peine à recevoir l’aide dont elle aurait besoin :
« Je suis en pleine reconversion professionnelle, et c’est compliqué. Après plusieurs années dans le commerce, j’ai été licencié•e pour inaptitude. Au chômage, je fais un bilan de compétences pour essayer de trouver un emploi qui me plaise et aussi qui soit en adéquation avec mes nouvelles contraintes. Sauf qu’il n’y a pas grand-monde qui m’apporte des réponses et qui soit réellement compétent face au handicap. »
M.D a demandé de l’aide aux associations, mais s’avoue peu convaincue :
« J’ai fait appel presque à tous les associations : CAP emploi, Agefiph, Fiphfp… Je les ai contactées pour m’aider à trouver le métier qui serait le mieux adapté à mon handicap. Mais dans mon cas, ça ne s’est pas avéré efficace. Parfois, certains ne connaissent pas tel ou tel handicap. »
Jade renchérit dans la même lignée :
« Malgré les difficultés, je ne suis jamais passée par un cabinet de recrutement spécialisé. Parce que la plupart du temps, ça ne correspondait pas à mon profil. Je pense que c’est assez mal fait, et surtout, il y a un mauvais plan de communication à ce niveau. J’ai bien tenté de passer par l’Agefiph, mais il n’y a aucun suivi réel. »
Scottie aurait aimé un meilleur suivi lors de son intégration professionnelle :
« J’aurais aimé qu’une personne du rectorat vienne me voir dans ma classe, afin de voir avec moi ce qu’il était possible de faire pour me faciliter la vie. Des solutions ont été évoquées avec le médecin de prévention, mais j’ignore quand elles se mettront en place. L’Éducation nationale prend de plus en plus conscience du handicap, mais très souvent, les choses bougent grâce à des volontés individuelles.
Le temps est l’ennemi numéro 1 des personnes en de handicap. Tout nécessite des visites, et un jeu de ping-pong entre des personnes que l’on espère au courant et concernées, mais qui ne le sont que trop peu. Les procédures prennent des mois, autant que le nombre de preuves de notre situation que nous devons apporter. L’intention de faire du cas par cas est louable mais ralentit considérablement les procédures.
Toutes les demandes doivent partir de nous. Quand on commence à travailler, on a peu de repères. J’aurais aimé que l’on me propose des choses. »
Valérie est maman d’une fille de 18 ans, sans déficience intellectuelle, et malvoyante, qui a déjà fait des stages professionnels :
« Avec son père, nous nous sommes renseignés auprès de CAP emploi. Ce service ne semble pas vraiment comprendre les problématiques liées à l’autisme : notre fille doit venir les voir seule, et se saisir des outils qui seront mis à sa disposition. Or, sans une interface (nous, parents, puisqu’il n’existe pas d’accompagnant à la vie au travail), elle ne le peut pas, puisque l’autisme altère ses facultés de compréhension, de communication et de sociabilité. »
La loi pour l’égalité des chances, une vraie opportunité ?
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées oblige désormais les entreprises, à partir d’un certain effectif, à employer un quotas minimum de personnes handicapées :
« Tout employeur du secteur privé et tout établissement public à caractère industriel et commercial occupant au moins 20 salariés, dans une proportion de 6 % de son effectif salarié. Cette obligation d’emploi s’applique établissement par établissement pour les entreprises à établissements multiples. Elle s’applique également aux personnes handicapées dans la fonction publique selon des modalités particulières. »
Des contributions financières sont demandées aux entreprises concernées qui ne respecteraient pas cette obligation d’embauche. Pour Scottie, cette loi a eu des retombées plutôt positives, même si elles sont limitées :
« La loi pour l’égalité des chances a changé de nombreuses choses dans la perception du handicap. Elle établit un cadre, et en cela, rend donc les handicaps visibles et leur attribue une place dans la société. Bien que de nombreuses entreprises ne respectent pas la règle des 6%, je pense qu’il y a bien des raisons d’être optimiste. Il est bien plus facile de vivre bien avec un handicap aujourd’hui qu’il y a 20 ans. »
M.D est très perplexe sur l’application réelle de la loi :
« Dans la loi de 2005, il y a du bon et du mauvais. Le problème, c’est que certaines entreprises se forcent à embaucher des personnes handicapées pour « éviter de payer l’amende ». Malheureusement, ces personnes handicapées démissionnent : elles ont en marre qu’on ne les considère pas à part entière, tombent en dépression, se font harceler, ou parfois les entreprises leur donnent du travail que personne le ferait…
Le mieux, c’est d’expliquer aux employeurs que tel handicap n’est pas une faiblesse pour l’entreprise, mais un atout. Et il n’y a que des avantages. »
Valérie, dont la fille est autiste et malvoyante, n’en voit pas les effets concrets :
« C’est une loi nécessaire si l’on veut que des personnes handicapées s’insèrent et aient une utilité sociale par le travail. En tant que parents, nous nous demandons bien quand nous en verrons les applications concrètes. Cette loi est régulièrement contournée par des employeurs qui font des RQTH (procédure de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) à l’interne en cherchant des profils RQTH, et qui, fatalement, trouvent des handicaps sans doute plus légers que ceux qu’on croise traditionnellement hors entreprise, voire en institution.
Encore mieux : avec l’obligation de mise en conformité, il est demandé que des établissements ou des services soient aux normes handicap. Mais aucun salarié handicapé ou presque ne sera embauché dans ces endroits. »
Cette madmoiZelle atteinte de la maladie de Crohn est mitigée :
« D’un côté, c’est bien parce que cela ouvre des portes à des personnes en difficulté. Mais je trouve que ça a un aspect discriminant. À compétence égale, la personne handicapée sera choisie, comme ça l’entreprise ne paiera pas l’amende ? Ou pire, elle est moins compétente, mais handicapée, donc on la prend pour atteindre nos quotas ? Les collègues doivent penser qu’elle est là pour le pourcentage ! […]
Un patron a une boîte à faire tourner, il n’a aucun intérêt à embaucher une personne qui sera peut-être en arrêt, qui devra peut-être adapter son poste, ses horaires, s’absenter pour des rendez-vous… »
Chantal Legardeur estime que les entreprises qui passent par Jobekia ne le font pas pour remplir des quotas, mais parce socialement, elles le veulent bien :
« Je n’ai jamais eu ce sentiment avec les grosses entreprises, avec qui je travaille majoritairement. On a peut-être plus ce sentiment avec les petites entreprises, qui vont faire l’effort de recruter pour ne pas payer l’amende. On arrive à faire en sorte que la rencontre se fasse entre personnes handicapées et employeurs. Mais à cause de la crise, c’est de plus en plus compliqué, car même les personnes valides cherchent du boulot, les missions handicap ne peuvent pas recruter non plus… »
Jade n’est pas convaincue non plus :
« Mon entourage et les professionnels m’ont toujours dit que ce serait plus simple de trouver un travail avec cette loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, justement à cause de cette taxe. On m’a dit qu’avec moi « ça serait le jackpot » puisque mon handicap ne se voit pas. Mais qu’en est-il des personnes avec handicap visible ? Cela reste de la discrimination. »
Aménager l’emploi du temps et les conditions de travail
Trouver un emploi est une première étape. Mais comme on a pu le voir, les personnes handicapées font parfois face à des obstacles même une fois insérées en entreprise. Oui, il y a encore beaucoup de choses à améliorer, selon les concerné•e•s, qui débordent d’idées. Si elle met en lien les personnes handicapées et les entreprises, la plateforme de Jobekia n’exige rien à priori de ces dernières en terme d’aménagements.
Cette madmoiZelle anonyme aimerait par exemple un meilleur suivi en entreprise :
« Ma reconnaissance ne précise nulle part que je ne peux pas porter de charges lourdes ou que ma situation requiert un aménagement de poste. L’entreprise dans laquelle je travaille a mis à ma disposition un siège rotatif sur lequel je peux m’asseoir en cas de douleur ou pour éviter d’aggraver mon problème de santé. Rien ni personne ne les encourage à aménager le poste de travail, ils pourraient tout aussi bien ne rien faire et personne ne le saurait. Il n’y a aucun accompagnement.
J’aimerais des contrats avec aménagement du temps de travail, des suivis personnalisés, peut-être même des entretiens de contrôle des conditions de travail sur place avec des conseillers spécialisés, des réunions d’information et d’échange d’avis entre le travailleur handicapé et l’équipe qui l’entoure. »
Camille bénéficie de la reconnaissance travailleur handicapé, mais souhaiterait aussi quelques aménagements :
« Ce qui serait chouette dans le monde du travail pour moi, c’est la possibilité d’avoir simplement du matériel adapté, gros écran et logiciel de grossissement. Dans des petites structures, cela coûte trop cher, alors il faudrait le rendre accessible, pour nous faciliter la vie. »
La madmoiZelle atteinte de la maladie de Crohn aimerait des lois plus flexibles :
« Je souhaiterais une autre appellation pour ceux qui souffrent d’une maladie chronique. J’ai eu du mal à demander ma reconnaissance, parce que je ne suis pas handicapée, je suis malade ! Travailleur en affection longue durée me gênerait moins. J’aimerais aussi qu’on n’aie pas de jour de carence lorsqu’un arrêt est en lien direct avec la maladie. Et un maintien de salaire, parce qu’il y a beaucoup de précarité chez les personnes en situation de handicap.
J’aimerais aussi avoir la possibilité de travailler de chez moi. Ça serait LA solution : quand je suis en crise, je suis fatiguée mais ma tête fonctionne ! Mais je n’ai aucune idée des domaines d’activités qui pourraient fonctionner comme ça, et je n’ai pas l’impression que ce soit très démocratisé. »
Face aux difficultés, Daphnée a décidé de devenir son propre patron, et elle tient à faire savoir que non, ce n’est pas impossible, même lorsqu’on est handicapé•e :
« Je ne veux plus avoir l’impression d’être coincée. Car finalement, je le suis déjà bien assez dans mon fauteuil, non ? Entre mon besoin de liberté, mon envie de bouger, mon refus de faire ce qui ne me plaît pas, mon obstination de rééducation régulière et mon objectif de mêler profession et connaissances du handicap, j’étais plutôt mal partie.
Têtue comme je suis, voilà ce que j’ai décidé : si ce qui me correspond n’existe pas, je n’ai qu’à le créer. C’est loin d’être impossible, je suis en train de mettre les choses en place. J’ai derrière moi pas mal de personnes et enfin, enfin j’arrive à me dire que ce à quoi je me prépare, je pourrai le faire des années et des années sans m’en lasser. »
Informer sur le handicap, essentiel pour l’entreprise
Globalement, les madmoiZelles handicapées sur le marché du travail considèrent que les entreprises sont mal, voire très mal informées sur les handicaps. Améliorer la connaissance des employeurs est pour elle une étape essentielle, et encore trop négligée. M.D rapporte par exemple un manque de compréhension de son handicap en entreprise :
« La surdité est un handicap sensoriel, on ne le voit pas, et l’information sur ce handicap n’est pas assez divulguée. »
Jade renchérit sur la méconnaissance des handicaps :
« Les entreprises sont très mal informées sur le handicap, y compris sur ce que ça peut apporter humainement à l’environnement de travail. Lorsque je suis arrivée dans l’entreprise où je travaille, c’est moi qui leur ai parlé des contacts et des aides possibles. Les TPE et PME n’ont pas d’informations concrètes pour chaque handicap. Quand on en parle, c’est vraiment large et général. Ces entreprises se mettent en tête qu’il faut mettre en place plein de dispositifs et que c’est des contraintes…
Il y a des aides et conseils avec des appuis auprès des organismes, mais tout cela, c’est très peu connu. Les grandes entreprises sont mieux informées, mais plus intéressées par l’idée de combler les 6% obligatoires pour ne pas avoir de taxe à payer. Ils ne sont pas du tout dans une optique d’égalité des chances. »
Pour M.D, il est essentiel de mieux informer les employeurs de leur avantages :
« Avant d’embaucher quelqu’un, l’employeur devrait connaître ses difficultés, aménager le poste avant son arrivée, et informer ses salariés. L’employeur perçoit 1600€ (Agefiph) à peu près tous les six mois, dès qu’il a embauché une personne handicapée, et parfois plus de 1600€, si l’aménagement coûte cher. »
Chantal Legardeur considère que les entreprises qu’elle côtoie via Jobekia sont au fait du handicap. La difficulté a lieu en interne, quand les chargés de mission handicap doivent « vendre » le handicap :
« Dans un monde où l’on court après la rentabilité et les bénéfices, il faut prouver que la personne handicapée est un gain pour l’entreprise, car en terme d’aménagement, son embauche représente un coût. Pour cela, c’est la notion de la personne elle-même qui rentre en jeu : si on est convaincue par cette personne, handicapée ou non, on n’a pas à convaincre. »
Mellyflue voudrait surtout qu’on prenne conscience des handicaps invisibles :
« Je ne sais pas si les entreprises sont assez au courant des handicaps. Une chose est cependant certaine : personne n’est assez sensibilisé aux maladies qui ne se voient pas, et dont les crises, même ponctuelles, peuvent totalement chambouler voire détruire une vie. Ni les médecins, ni les entreprises.»
Même son de cloche chez Mélissa :
« En tant que personne handicapée, je souhaiterais voir se mettre en place des rencontres entre personnes handicapées et employeurs, pour qu’ils voient bien que handicap ne veut pas forcément dire fauteuil roulant. »
Scottie aimerait plus de visibilité :
« Rendre visible les handicaps passe aussi par des choses simples, comme le fait que l’on voie de plus en plus de personnages handicapés dans les films et à la télévision. Ces gens travaillent, souvent bien, et cette image, peu à peu, s’imprime dans les esprits. »
Le travail, un moteur d’intégration dans la société
Pour les personnes handicapées interrogées, trouver sa place au travail est aussi et surtout un moyen de se sentir intégrées dans une société qui les exclut parfois. Au-delà du simple fait de trouver un emploi, l’enjeu est de taille, comme l’exprime Scottie :
« J’ai la chance d’avoir eu des gens qui ont toujours cru en moi, des amis qui disaient « ne pas penser » à mon handicap lorsqu’ils se trouvent à mes côtés. Mon travail est très important pour moi. C’est une première manière d’avoir ma place dans la société. »
Anéa aussi pense que l’intégration est importante :
« Pour des personnes comme moi, dont le problème est juste lié à la fatigue et au stress, je pense qu’il est plus « simple » d’être intégré•e dans une entreprise, surtout si elle n’a pas de préjugé sur la maladie. Je sais qu’en Belgique, avoir un handicap est un sérieux problème par rapport à la France. »
La madmoiZelle atteinte de la maladie de Crohn est effrayée à l’idée de sortir du milieu du travail :
« J’ai très peur du monde du travail. Ayant une conscience professionnelle très forte, j’ai du mal à accepter de me mettre en arrêt. Ça m’a déjà valu une hospitalisation, je suis passée pas loin du point de non retour, donc aujourd’hui je m’écoute davantage. Mais dans un système où la compétition et la course à la performance font rage, je me sens parfois un peu à la ramasse, moi, ma santé pourrie et ma fatigue chronique… »
Désormais à un poste stable, Babs n’est pourtant pas encore totalement épanouie :
« Je mentirais si je disais que c’est la vie dont j’ai toujours rêvé. C’est un poste ennuyeux, et j’aurais préféré quelque chose de créatif ou qui rende le monde meilleur. Mais j’arrive à le faire. Je paie mon loyer, mes factures et mes distractions. Et il paraît que je suis un peu plus « ouverte » qu’à mon arrivée.
Je me dis souvent qu’un jour, j’essaierai de trouver un emploi un peu plus gratifiant. L’une des difficultés, c’est que mon handicap ne se voit pas. Les gens ne savent pas forcément quoi dire. Mais je vis avec. Je vais bien. Et même si ça m’a coûté pas mal de larmes, je suis contente de travailler. »
M.D témoigne de son besoin d’être comprise dans son handicap pour se sentir mieux dans son travail et dans sa vie :
« Je ne me sens pas française, car j’ai toujours le sentiment d’être rejetée à cause de mon handicap. Je ne retrouve plus la tolérance et la solidarité. La société nous considère toujours comme des gens inférieurs. Je sais que tous types handicaps sont concernés, et ce n’est pas à prendre à la légère. La nouvelle génération est beaucoup plus cultivée que la génération d’avant, et ils ne se laisseront pas faire.
On n’est pas plus différent•e•s que les autres. On a tou•te•s un handicap : une maladie cardiaque, diabète, porter des lunettes… On est tou•te•s des humain•e•s ! »
Après son échec dans la recherche d’une alternance, Zgu s’est vue proposé une réorientation vers les métiers de bureau, et a finalement opté pour l’inactivité, à contrecoeur :
« Rien à voir avec mes aptitudes et envies. Après une longue période de remise en question, je commençais à intégrer l’idée que je ferai toute ma vie un travail que je n’aime pas. Et puis j’ai renoncé. Aujourd’hui, je vis de mon allocation handicap, c’est peu mais je m’en contente. Je n’ai pas la valorisation d’avoir un emploi, de servir à quelque chose, mais finalement tout le monde, moi comprise, s’y est habitué. La société me l’a bien fait comprendre : c’est compliqué de t’intégrer, ma petite. »
Visibilité et égalité, le combat continue
Même si les freins à leur intégration dans le monde du travail restent nombreux, les personnes handicapées continuent à espérer. Jade attend beaucoup plus de solidarité pour l’avenir :
« Je pense qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir en France pour rendre l’accès à l’emploi handicap plus simple. Mais l’ouverture des portails d’emploi handicap est déjà un grand pas vers l’égalité. Je sais que j’ai un handicap moindre comparé à d’autres. Mais il est nécessaire d’améliorer encore et toujours l’égalité de l’emploi face aux handicaps, qui sont nombreux finalement. Beaucoup sont oubliés. »
« Je pense qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir en France pour rendre l’accès à l’emploi handicap plus simple. Mais l’ouverture des portails d’emploi handicap est déjà un grand pas vers l’égalité. Je sais que j’ai un handicap moindre comparé à d’autres. Mais il est nécessaire d’améliorer encore et toujours l’égalité de l’emploi face aux handicaps, qui sont nombreux finalement. Beaucoup sont oubliés. »
Même si les choses n’avancent pas aussi vite qu’elle l’aimerait, Scottie aussi tient à rester optimiste :
« Je vois de plus en plus de personnes, tous handicaps confondus, qui font de belles études et ont un travail épanouissant. C’est formidablement porteur d’espoir pour la suite. […] Je ne doute pas qu’un jour, tous les types de handicaps auront leur place, même si je ne suis pas sûre d’être encore présente pour le voir… »
À lire aussi : Un fauteuil pour deux – Un tour du monde en fauteuil roulant ! #2
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires