Son roman est paru en librairies le 24 août. Il raconte l’excision que l’autrice a subi alors qu’elle était âgée de cinq ans. Un ouvrage à travers lequel elle veut poursuivre son combat pour visibiliser le fléau de l’excision en France.
Dans À l’ombre de la cité Rimbaud, l’écrivaine imagine la trajectoire de Maya, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. À propos de ce personnage fictif victime d’une excision à 6 ans lors d’un voyage au Mali, Halimata Fofana confie : « Chez Maya, il y a une partie de moi. Mais il y a aussi une partie de toutes ces femmes que j’ai rencontrées qui ont écrit et qui ont subi la même chose. »
Madmoizelle. Quand et comment avez-vous pris conscience du fait que votre histoire n’était pas seulement un drame personnel, mais aussi un sujet de société ?
Halimata Fofana. Il y a plusieurs années de cela, lorsque j’avais une trentaine d’années. Je vivais au Canada, une société dans laquelle j’avais la sensation qu’on était moins dans le jugement et où les femmes sont très présentes. Elles gèrent des sociétés importantes et jouent un vrai rôle en politique. C’est pourquoi je me suis sentie beaucoup plus libre d’en parler. J’ai donc commencé à le faire dans un centre de femmes à Gatineau, où j’ai pu m’exprimer librement.
Malgré son jeune âge au début du livre, votre héroïne, Maya, est d’une grande maturité. Elle comprend immédiatement que ce qui lui arrive est grave…
La petite Maya cherche à ressembler aux autres. C’est sans doute pour cela qu’elle se rend compte que quelque chose ne va pas. Et comme c’est une petite fille très réceptive, très observatrice, elle comprend qu’elle n’aurait pas dû subir ça. Cela est d’autant plus frappant pour elle qu’on n’en parle pas, on ne lui en parle pas, dans sa famille tout comme dans la société.
Dans votre livre, la mère de Maya est une figure paradoxale, entre coupable et victime. Pourquoi avoir choisi de lui consacrer les dernières pages ?
La relation qu’une mère peut avoir avec sa fille m’interpelle beaucoup. Je suis particulièrement fascinée par Médée, cette figure si extrême de mère qui finit par tuer ses enfants pour se venger de son mari. La mère de Maya, je trouve que c’est un peu Médée. Elle sacrifie ses filles pour le devoir comme elle-même a été sacrifiée. Dans le livre, la figure maternelle est dure et brutale, c’est pourquoi il m’a semblé important de montrer son humanité. Je trouvais important que Maya se réconcilie, qu’elle parte sans être en colère. Et de manière implicite, la mère donne sa bénédiction pour que Maya parte.
À l’époque comme aujourd’hui, je suis frappée par le fait que les féministes que je vois ou que j’entends ne parlent pas de l’excision. Alors que la liberté première pour une femme me semble être de garder un corps intègre.
Comment envisagez-vous la littérature ? Comme un lieu de guérison ? De militantisme ?
Pour moi, la littérature est d’abord un lieu de beauté. Quand on lit, il y a une telle proximité avec l’auteur. C’est un contact presque physique, une rencontre. Je trouve ça très beau. La littérature s’apprécie, se déguste, vous permet de voyager et de vous nourrir. Vous apprenez à penser à travers elle. Vous vivez une palette d’émotions tellement large à travers la littérature !
Les mouvements féministes vous ont-ils aidé dans votre combat ? Vous ont-ils aidé à guérir ?
Je n’ai jamais eu aucun contact avec les mouvements féministes. Ils ne m’ont pas guéri dans quoi que ce soit. À l’époque comme aujourd’hui, je suis frappée par le fait que les féministes que je vois ou que j’entends ne parlent pas de l’excision. Alors que la liberté première pour une femme me semble être de garder un corps intègre. Pourtant, c’est une problématique encore présente dans la société française et occidentale de manière générale.
Où avez-vous trouvé du soutien ?
Le soutien, ça a été Céline Dion, que j’aime profondément. Céline qui m’a apporté. Là, on est encore dans la beauté à travers sa voix qui est d’une beauté. Comme dit Maya, et c’est ce que je pense, la voix de Céline est la preuve ultime que Dieu existe. Elle porte du réconfort, de l’espoir et de l’espérance. Donc mon rêve ultime, c’est de la rencontrer.
Avez-vous l’impression que les politiques de sensibilisation menées en France à propos de l’excision sont insuffisantes ?
Elles sont à des années-lumière de ce qu’il faudrait faire. Je ne dis pas que rien n’est fait, mais ces choses faites d’en haut n’arrivent pas jusqu’à nos familles. Des choses sont faites, mais je ne suis pas sûre qu’elles correspondent au public ? Pour toucher les gens, il faut comprendre comment ils fonctionnent, quelles sont ses valeurs. Je pense que pour faire bouger les choses, il faut casser le monde dans lequel vivent ses femmes. Qu’elles rencontrent, discutent avec des personnes différentes d’elles. Sans forcément parler d’excision : il s’agit par exemple de parler de leurs enfants, ou encore des cours d’alphabétisation. Ce sont de petites choses pour que les femmes se sentent valorisées et sentent qu’elles sont des individus à part entière. C’est comme ça qu’on ouvre une nouvelle porte.
À l’ombre de la cité Rimbaud, Halimata Fofana, éditions du Rocher, 16,90€ les 232 pages.
À lire aussi : La rentrée littéraire féministe : 5 romans bouleversants à ne pas manquer
Crédit de l’image à la Une : © Franck Crusiaux
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires