Hafsia Herzi est insaisissable et pourtant bouleversante dans Borgo, un thriller carcéral de Stéphane Demoustier, sorti en salles ce mercredi 17 avril.
Elle est aussi le visage sur l’affiche de La Semaine de la Critique du festival de Cannes cette année. Une affiche elle-même tirée du Ravissement d’Iris Kaltenback, un film selon nous incontournable dans le top 10 des meilleurs de 2023.
Enfin, Hafsia Herzi a aussi écrit et réalisé l’un des meilleurs films français de ces dernières années. Tu mérites un amour est réalisé sans le moindre financement. Un film fait et joué par une jeune femme, sur les jeunes femmes, et pour tous·te·s. Il parle de misère romantique, de l’incapacité des hommes à aimer correctement et de l’angoisse de ne plus pouvoir se rencontrer à l’ère où l’individualisme et le ghosting règnent.
Actrice capable d’incarner la profondeur des personnages les plus insaisissables, réalisatrice autodidacte qui pose sa caméra et sa sensibilité là où les autres ne projettent que des stéréotypes, Hafsia Herzi est une femme de cinéma passionnante.
Lorsqu’on l’a rencontrée, elle nous a parlé de ses choix difficiles pour ne pas jouer des rôles de femme maghrébine clichés. De la complémentarité entre ses métiers d’actrice et de réalisatrice. Et de ce qu’elle appelle avec une grande humilité son « devoir de cinéaste ».
Parle-nous de ta façon d’appréhender tes personnages. Est-ce que tu apprends par cœur ton texte ? Ou tu suis plutôt un instinct ? Tu cherches à t’identifier à ton personnage, voire te mettre à sa place ?
C’est un mélange des deux. Pour Borgo, c’était très écrit, on a beaucoup répété. J’aime aussi participer à ce qu’on pourrait appeler « la réécriture », au moment du tournage. Je propose des choses puis le réalisateur voit ce qu’il garde ou non. Stéphane (Demoustier, N.D.L.R) était très à l’écoute, c’était un vrai échange artistique. Pour ce rôle il avait aussi beaucoup de texte.
J’aime les apprendre bien à l’avance, pour l’oublier un peu et me l’approprier. Je me mets vraiment dans la peau du personnage, je me dis, et si ça t’arriverait, comment tu réagirais ?
Par contre, il y a des choses avec lesquelles on doit mettre de la distance parce que ça ne va pas forcément avec le personnage, sa personnalité.
À propos de cette question du jeu entre écriture et instinct, la scène de Borgo qui m’a le plus frappée est celle de l’interrogatoire. Tu sembles traversée par un millier d’émotions.
Je n’en ai pas dormi la nuit d’avant ! J’étais vraiment stressée. J’avais envie d’arriver épuisée, comme le personnage. Le matin, j’ai éteint mon téléphone et je n’ai parlé à personne (rires).
Je l’appréhendais parce qu’il y avait 14 pages de texte, qui en plus, ne devait pas ressembler à un texte. En plus, c’était filmé avec une seule caméra donc pour des questions de raccords de caméra , il fallait tourner certaines scènes plusieurs fois. J’aime les défis, donc c’était un cadeau pour moi.
Tu comptes désormais 17 ans de carrière, mais tu es encore sujette au stress ?
Chaque scène est importante, ce n’est pas évident. C’est du stress , il faut réussir la scène , on a peu de temps. En plus, dans ce film, il y a une tension constante. Il faut aussi gérer l’émotion du personnage, qui va crescendo alors qu’on ne tournait pas les scènes dans l’ordre. Il fallait savoir précisément où je me trouvais dans la chronologie du personnage. En même temps, ce n’est pas quelqu’un de très sensible, donc c’était un entre deux.
Le Ravissement était déjà l’histoire d’un personnage qui s’enfonce dans une spirale de mensonges et de problèmes. Pourquoi est-ce qu’on te retrouve souvent dans ce genre de rôles ?
Quand il y a des problèmes, on m’appelle ! Je ne sais pas pourquoi. C’est ce que j’inspire, des personnages qui dérapent… J’adore ça parce qu’ils ne sont pas lisses. Ça permet de traverser plein d’émotions. Mais pour ce cas précis, j’avais tourné Borgo avant Le Ravissement.
J’ai lu quelque part que tu avais pris des cours de diction pour atténuer ton accent marseillais. Pourquoi ?
Après La Graine et le Mulet (Abdellatif Kechiche, 2007, N.D.L.R) on me reprochait d’avoir un accent marseillais trop fort. J’ai beaucoup travaillé pour le perdre et puis j’ai fini par me dire que c’était comme ça. J’avais un accent très fort, des quartiers nord de Marseille. Aujourd’hui, il est un peu atténué. On m’a refusé des rôles à cause de ça. J’ai par exemple dû dire adieu aux films historiques.
Est-ce avec La Graine et le Mulet que tu as pris conscience que tu voulais te consacrer au cinéma ?
J’ai toujours voulu faire du cinéma. La Graine et le Mulet a donné raison à mon désir. Avec ce premier film, j’ai réalisé un rêve.
Le fait d’être réalisatrice est-il un moyen pour toi de combler un manque dans le travail d’actrice ? Vois-tu la réalisation et l’acting comme deux choses parallèles ou émanent-elles d’une même vision ?
Je considère que j’ai de la chance d’être actrice et faire des films à côté. Je réalise des films parce que je ne voulais pas dépendre du désir des autres. J’avais ce besoin d’évolution artistique, je ne me voyais pas être actrice à plein temps. De toute façon, plein temps, il n’y avait pas. Je n’avais pas les rôles qui me plaisaient suffisamment.
Est-ce que cela signifie que tu aurais pu être seulement réalisatrice ?
Je ne pense pas parce qu’on apprend beaucoup en étant acteur. On observe, on est devant la caméra. On rencontre des techniciens. C’est très bien pour diriger des acteurs. On n’a pas envie d’être bloqué psychologiquement, qu’on nous parle mal, ce genre de choses. Quand on est soi-même acteur, on sait comment parler aux comédiens et on sait ce qu’on n’aimerait pas qu’on nous fasse.
Tu as réalisé Tu mérites un amour, sans argent, en autofinancement. Tu as du joué toi-même le personnage principal.
Je n’ai jamais regretté d’avoir réalisé mon premier film en autofinancement. Par contre, aujourd’hui c’est très difficile de le faire. Il y en a plein qui sont venus me demander des conseils pour faire pareil. Mais maintenant, les chaines suivent moins. Elles prennent de moins en moins de films qui passent par ce biais-là. C’est plus compliqué de filmer sans autorisation dans la rue. C’est fini le bon vieux temps.
Tu disais que les rôles qu’on te proposait ne t’ont pas toujours plu. As-tu été enfermée dans des rôles racistes en tant que femme française d’origine maghrébine ?
Oui, j’ai souvent reçu le même type de rôles stéréotypés, mais j’essaye de faire des choix.
Mais je trouve qu’il y en a de moins en moins au cinéma, les choses évoluent dans le bon sens.
Justement. Ces derniers temps, le cinéma est passionnant, notamment grâce à des cinéastes comme Lina Soualem, Alice Diop ou encore Mati Diop, qui font des films magnifiques et novateurs sur des sujets souvent invisibles au cinéma.
Oui, ça fait plaisir. Enfin de la diversité derrière la caméra ! Ça donne de la force, de l’espoir à toutes celles et ceux qui veulent faire pareil. Lina Soualem, c’est une personne brillante qui s’est battue pour faire ses films. Le documentaire, ce n’est pas évident. C’est une amie proche.
Lina Soualem a réalisé deux longs-métrages. Leur Algérie, sur ses origines algériennes, et Bye-Bye Tibériade, sur ses origines palestiniennes. Est-ce que parler de nos origines est important selon toi ?
Bien sûr. C’est un devoir de parler de ce qui nous inspire. Quand j’ai réalisé Tu mérites un amour, c’était un devoir de cinéaste.
Dans Bonne Mère aussi, c’est une mère de famille qui élève ses enfants seule. Elle est maghrébine parce que c’est ce qui m’a inspirée, mais elle aurait pu être noire, blanche, c’est avant tout une mère.
J’essaye de casser certains clichés que certaines personnes imaginent, par manque de connaissance. Par exemple, quand j’ai passé le CNC, pendant une commission, on m’a demandé à propos de Bonne Mère « mais pourquoi ils parlent tout le temps d’argent dans le film ? » et je leur ai répondu « parce qu’ils sont pauvres. C’est leur principale problématique » il y a un silence et ils ont dit « ah d’accord ». C’est la pauvreté en France.
Que recherches-tu quand tu tournes un film ? As-tu une méthode ?
Tout est réfléchi. Réaliser, c’est de la précision, du travail. Mais j’aime aussi la liberté. J’aime quand les acteurs ne sont pas figés dans un texte.
J’ai envie de croire en ce que je filme et le jeu, pour moi, c’est la base. Récemment je faisais passer des castings , j’ai demandé à une actrice qui n’a jamais joué de fixer un personnage. J’ai eu un fou rire, je lui ai dit : « mais dans la vie, tu regardes personne comme ça ? » elle m’a dit non. C’est mon idée du réalisme.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.