Je suis comme vous, chères lectrices : j’aimerais très fort que les guerrières vikings, comme Lagertha dans la série Vikings, aient existé. Un jour viendra où j’aurai mon propre Tardis et je traverserai le temps pour retrouver mon âme soeur, une vraie badass avec le visage de Katheryn Winnick. D’un seul high-kick, j’enverrai Ragnar faire sa crise d’adolescence dans le décor, et on vivra d’amour et de poisson frais, juste elle et moi.
Seulement voilà. Aux dernières nouvelles, cette société ancestrale avait l’air d’être sacrément patriarcale. On se représente souvent le viking comme le symbole du guerrier macho aux gros bras, qui tabasse des gens le jour et boit son hydromel en s’en mettant plein la barbe le soir. Une image pareille, ça n’aide pas à concevoir que les femmes pouvaient se battre et prendre le pouvoir, comme Lagertha. Adieu, rêves de belles Valkyries coupant des têtes sur fond de soleil couchant…
Et puis un jour, des archéologues ont la bonne idée de tester des ossements découverts dans des tombes, pour déterminer le sexe des squelettes grâce à la science plutôt qu’aux objets qui les accompagnent (une épée, c’est un homme, une broche, c’est une femme). C’est la révélation du siècle : un grand nombre des vikings enterrés avec leurs armes… étaient des femmes.
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C’est alors qu’on s’est dit que les mythes devaient bien venir de quelque part.
La Valkyrie, ou quand l’archéologie assouvit un fantasme
Doucement, doucement ! Je vous vois vous emporter, là ! Prenons les choses dans l’ordre, voulez-vous. D’abord, quelle est cette découverte dont vous ne saviez peut-être rien ? Quelqu’un a prouvé que les guerrières vikings avaient existé, et personne ne vous a rien dit ?!
Relax, c’est encore un coup de l’Internet. En 2011, Shane McLeod, chercheur en études médiévales à l’université d’Australie-Occidentale, publie un article dans un numéro du magazine universitaire Early Medieval Europe, dans lequel il revient sur les premières invasions de la Grande-Bretagne par les Vikings. En gros, plusieurs éléments indiqueraient que de nombreuses femmes faisaient partie des premiers colons vikings, aux alentours de 900 après J.C.
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Parmi ces éléments, 14 sépultures vikings découvertes à l’Est de l’Angleterre. Après analyses précises des os, il s’est avéré que sur les 14 sépultures, 6 étaient dédiées à des femmes, 7 à des hommes, et 1 n’a pas pu être identifiée. Conclusion : des femmes ont été enterrées avec des armes parmi les guerriers. Paf. Il n’en fallait pas plus à Internet pour faire une crise d’hystérie.
« OMFG DES GUERRIÈRES VIKINGS LMAO LES VALKYRIES ONT EXISTÉ C’EST LE PLUS BEAU JOUR DE MA VIE OKLM »
Merci Internet. Fidèle à toi-même, tu as fait le buzz en 2014 sur une étude datant de 2011, mais on ne t’en veut pas. L’important, c’est que toutes ces sagas scandinaves épiques qui parlent de formidables femmes fortes et indépendantes, dignes de défier les dieux… aient dit vrai. L’heure est arrivé de ressortir toutes ces guerrières qui peuplent la mythologie nordique !
Brunehilde la valkyrie, ou Freyis fille d’Erik le Rouge, la Skjaldmö qui a combattu aux côtés de son père et de son frère Leif Erikson, ou…
Pardon ? « Qu’est-ce qu’une Skjaldmö ? » Ah, je vous en parlais lorsque je déclamais mon amour pour Lagertha : il s’agit d’une figure récurrente de la mythologie nordique, qui désigne la femme guerrière armée d’un bouclier. D’ailleurs, Lagertha était une Skjaldmö issue de légendes danoises avant d’être un personnage de série.
Que sait-on de la femme dans la société viking ?
Les légendes ont même été compilées par un certain Saxo Grammaticus, un moine et érudit ayant vécu vers la fin du 12ème siècle. Dans La Geste des Danois, si c’est bien de lui, il relate la bataille de Brávellir à laquelle auraient pris part 300 Skjaldmös. C’est aussi lui qui mentionne la présence de Lagertha aux côtés de Ragnar Lothbrok, et la façon dont elle lui a sauvé la vie en plus de l’aider.
300 skjaldmös. 300 guerrières vikings qui prennent part aux combats, dans une société dite patriarcale, ça ne s’invente pas, me direz-vous !
Et pourtant, les historien•ne•s sont sceptiques. Il faut dire que nos connaissances de la société scandinaves sont assez limitées : on les doit principalement aux découvertes archéologiques, et aux textes datant du Moyen Âge, soit longtemps après l’ère païenne, comme les écrits de Saxo Grammaticus. Et sur quoi se sont basées ces sources secondaires ? Il est quasi impossible de le dire…
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Or, si certains archéologues se montrent favorables à la thèse selon laquelle des femmes vikings auraient pu être des guerrières, comme Neil Price que les scénaristes de Vikings sont allés chercher… Il faut bien admettre que tout ce qu’on a pu comprendre de la place de la femme dans la société viking ne va pas trop dans ce sens.
Déjà, il faut casser un peu l’image du barbare barbu (c’est rigolo à dire vite). Avant d’être des guerriers, les vikings étaient des fermiers, et chacun avait un rôle bien défini au sein de la société. Ce qu’il retourne du travail de nombreux historiens, c’est que la femme viking type ne correspond pas tout à fait à nos rêves plein de paillettes et de femmes conquérantes. Elle jouissait de certains droits, tels que le divorce, mais n’était pas au même statut légal que l’homme, et se mariait pour passer de la maison paternelle à celle de son époux.
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La façon dont se déroulait ces alliances, et l’implication de la femme dans le choix de l’époux, est peu claire. Néanmoins, au sein de la société, elle a la charge du foyer. Mieux : elle en est la gardienne, la maîtresse absolue, et cela, rien ne peut le lui enlever. Certes, dans le cas des ménages modestes, ce statut est surtout symbolique dans le sens où cela revenait à gérer l’intégralité des tâches ménagères.
Mais dans les familles aristocrates, il a pu contribuer à la légende !
De l’art de se raccrocher à un mythe
D’accord, il semblerait que le schéma « monsieur part à la conquête du monde pendant que madame s’occupe de la maison » corresponde assez à la réalité. J’en suis la première peinée. Cela dit, la charge du foyer était loin d’être un rôle sans importance, puisqu’il faisait de la femme le pilier de la société viking. Ce statut pouvait lui apporter respect, influence… et pouvoir.
Dans le cas d’une femme issue de l’aristocratie, cette autorité absolue voulait dire quelque chose. Elle était maîtresse sous son toit, commandait aux serviteurs et esclaves, et la gestion des biens familiaux lui revenait entièrement. Il est fort possible que ce soit cette image de la gardienne du foyer, de la famille et des traditions, les clés attachées à sa ceinture, qui soit à l’origine des femmes de pouvoir présentes dans les grandes sagas.
Mais alors, me direz-vous, que faire de ces ossements de femmes retrouvés dans des tombes au milieu d’armements ? Et je comprends votre désarroi… Ces découvertes archéologiques semblent prouver que des femmes vikings n’ont pas fait que tenir la maisonnée.
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Mais souvenez-vous d’un détail : ces sépultures ont été retrouvées en Angleterre. Les vikings décédés ici, hommes ou femmes, étaient donc des colons, qui venaient pour s’installer et commencer une nouvelle vie. Or pour qu’une telle entreprise soit durable, je ne vous rappelle pas vos cours de biologie, mais il est assez utile d’avoir des représentants des deux sexes.
DONC premier argument qui détruit la thèse des femmes guerrières : ces tombes ne font que prouver que des femmes ont fait partie des premières colonies. Et être enterrées avec des épées ne veut pas dire qu’elles leurs appartenaient…
MAIS d’un autre côté (on ne lâche rien), il s’agissait bien selon les datations des premières colonisations dans l’Est de la Grande-Bretagne, vers 900 après J.C. Soit un terrain inconnu, pas encore défriché, et surtout loin d’être hors de tout danger. Les Vikings s’y seraient-ils rendus avec leurs femmes si celles-ci n’avaient pas été en mesure de se battre ?
Voici donc où nous en sommes : incapables de tirer la moindre conclusion. Tout ça pour ça. Tous nos espoirs résidaient au creux de vieux ossements, d’adorables petits os qui nous promettaient valkyries et merveilles… Et nous en sommes à nous demander si leurs propriétaires n’avaient pas juste cherché à nous troller.
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C’est ça, aussi, l’Histoire. Essayer de comprendre une civilisation du passé en se détachant de nos propres préjugés, et à partir des quelques découvertes archéologiques qu’il nous faut décrypter. Ça peut paraître frustrant, dit comme ça (vais-je jamais savoir si des guerrières vikings ont botté des cul poilus ?) mais ça a l’avantage de laisser libre cours à notre imagination.
Parce que si quelques ossements et des bouts de manuscrits peuvent donner naissance à Eowyn ou Lagertha-Winnick… Que peut-on faire de cette autre découverte récente, celle d’une bague gravée d’un « Pour Allah » dans la tombe d’une femme viking en Suède, datant du 9ème siècle ?
J’attends vos scénarios d’une fabuleuse romance entre une jeune femme viking et un beau prince de Bagdad dans mon casier, merci, au revoir.
Pour aller plus loin…
- « Viking Women » par Judith Jesch
- « Better Identification of Viking Corpses Reveals: Half of the Warriors Were Female » sur Tor
- « Invasion of the viking women unearthed » sur USA Today
- « Les femmes vikings étaient-elles simples ménagères ou libres conquérantes ? » sur Historizo – Café du Web
- « Le Bondi, pilier de la famille et de la société viking » sur Histoire pour tous
- « Sorry, but that study doesn’t say half of viking warriors were women » sur TheMarySue
- …ou quelques ouvrages de Régis Boyer pour en savoir plus sur les Vikings !
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Les Commentaires
L'archéologie permet principalement des suppositions, il est très risqué d'affirmer quoi que ce soit (et encore plus des généralités sur la société étudiée et son idéologie), étant donné la quantité de biais que l'on rencontre.