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Société

Enceinte par accident, j’ai découvert que ma médecin était anti-IVG

Tombée enceinte à 23 ans pendant le confinement, cette lectrice s’est dirigée vers le cabinet de son médecin traitant en toute confiance, avant de découvrir qu’elle avait affaire à une médecin anti-IVG.

En plein confinement lié au coronavirus, j’ai découvert que j’étais enceinte. Je ne voulais pas mener cette grossesse à terme, mon copain non plus, pour des raisons qui ne regardent que nous.

Tomber enceinte par accident et aller voir ma médecin

Je regarde le petit plus sur le test de grossesse, et là, c’est un peu la panique.

Dès le lendemain matin (on est un vendredi), j’appelle ma médecin traitante qui me suit depuis mes 10 ans. Je tombe sur sa remplaçante, mais je fais confiance à ma médecin et par extension aux personnes avec qui elle s’associe.

J’entre dans le cabinet que je connais bien, la remplaçante est une jeune femme que je n’ai encore jamais vue, mais qui a l’air gentille. Je m’assois, et j’énonce la raison de ma visite :

— J’ai un problème, je suis enceinte.
— Eh bah bravo.

Avec ces trois mots, je sens déjà ma confiance s’ébranler.

Décontenancée, je ressens immédiatement le besoin de me justifier : j’explique en détails ma situation, comment c’est arrivé. En même temps que je débite mon histoire de A à Z, l’émotion m’envahit et je fonds en larmes.

Le ton de la docteure s’adoucit.

Elle commence à vouloir me rassurer, sauf que son discours consiste plutôt à m’expliquer qu’une grossesse à mon âge est sans danger, qu’avoir un enfant est une chose merveilleuse, que la grossesse ne se verra pas avant un certain temps de toute façon (j’ai une relation particulière avec mes parents, et étant confinée avec eux, je ne souhaitais pas qu’ils l’apprennent).

Consciente qu’il y a probablement eu un malentendu, je l’interromps pour lui expliquer que je ne souhaite en fait pas le garder. Changement de ton radical !

— Ni moi ni votre docteure habituelle ne cautionnons ce genre de pratiques. Je suis pour la vie.

À partir de là je l’écoute me sortir toutes les phrases types du discours anti-IVG, incrédule.

Parmi les bribes qui m’ont marquée, je retiens le « ’Cest un petit bébé qui est en vous » (au moment du rendez-vous, j’étais au maximum à 3 semaines de grossesse). Le « les études ne sont pas un problème ».

Et bien sûr, le fait que l’avis de mon partenaire est lui très très important, indispensable, même. Je me souviens qu’elle a largement insisté pour savoir si je l’avais prévenu, par quel moyen, assénant que je devais l’appeler car il n’avait peut-être pas bien compris la situation, et qu’après tout, c’était son bébé aussi.

Notez tout de même que la question de l’avis de mon partenaire n’avait pas été soulevée lorsqu’elle pensait encore que je m’apprêtais à poursuivre la grossesse…

Je n’ai pas réagi face à ma médecin anti-IVG

Peut-être qu’en lisant ce témoignage, vous vous dites « Si j’avais été dans sa situation, j’aurais sacrément enguirlandé cette docteure ». En tout cas, à votre place j’aurais probablement pensé comme ça.

Mais bizarrement, je n’ai pas vraiment réagi, j’ai juste demandé si je pouvais partir. Timidement. Honteusement, même. Je suis sortie du cabinet, j’ai appelé mon copain pour tout lui raconter.

Lui s’est tout de suite énervé, mais moi, je suis restée en état de choc. J’ai pleuré, encore. Je ne savais pas trop quoi faire, je comptais sur ma médecin pour me rassurer, m’orienter, pas me faire culpabiliser.

Je crois qu’en fait je ne m’attendais pas à ce que ça m’arrive. J’avais en face de moi une professionnelle de santé, jeune, une femme à qui j’étais prête à donner toute ma confiance, dans un cadre familier…

En bref, je n’étais pas dans un distant témoignage où j’apprends qu’un vilain médecin a voulu manipuler une femme pour qu’elle adapte ses choix de vie à ses propres attentes idéologiques.

J’avais vraiment dans l’idée que finalement, mes chances de me retrouver dans ce genre de situation, en France, aujourd’hui, étaient infiniment petites sinon carrément nulles.

Mon état d’esprit après mon rendez-vous chez une médecin anti-IVG

La docteure m’a tout de même fourni le numéro des urgences gynécologiques voisines, auxquelles j’aurais en fait dû m’adresser directement, puisque c’est le seul endroit dans ma région où on peut avoir recours à un avortement (même s’il ne s’agit que d’une IVG médicamenteuse).

Mais elle l’a fait avant tout parce que la loi contre l’entrave au droit à l’IVG l’y oblige.

L’article L. 2223-2 du code de la santé publique dit que :

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse :

  1.  Soit en perturbant l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;
  2. Soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »

À noter que cette loi est l’objet de deux réserves du Conseil Constitutionnel basées sur les risques d’atteinte à la liberté d’expression et de communication.

La première :

« La seule diffusion d’informations à destination d’un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d’intimidation. »

La deuxième :

« Le délit d’entrave […] ne saurait être constitué qu’à deux conditions : que soit sollicitée une information, et non une opinion ; que cette information porte sur les conditions dans lesquelles une IVG est pratiquée ou sur ses conséquences et qu’elle soit donnée par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière. »

La médecin n’a d’ailleurs pas baissé les bras pour autant, puisque quelques jours après, j’ai reçu un appel sur mon téléphone portable. Comme il s’agissait d’un numéro inconnu, j’ai laissé l’appel aller sue la boîte vocale.

Elle s’est donné la peine de me recontacter, m’avoue dans son message avoir beaucoup pensé à ma situation et revient vers moi pour me recommander un numéro de soutien « tenu par des gens très bien, qui ne jugent pas ».

Vu son discours, je me suis méfiée et j’ai d’abord cherché sur Google le numéro en question.

Et là, sans grande surprise, il s’agit d’un numéro géré par les bénévoles d’une association fondamentalement anti-IVG, à l’origine du site SOS bébé

Le site parle de lui-même : c’est une mine d’or d’idées rétrogrades, de propagande, et de désinformation, qui se présente comme une source d’aide aux personnes concernées par une grossesse non-désirée.

À lire aussi : Tu vois des pubs anti-IVG sur Facebook ? Ce n’est pas un hasard

Ce que je retiens de ce rendez-vous chez ma médecin anti-IVG

S’il y a une chose que cette expérience m’a fait comprendre, c’est que l’accès à l’IVG ne sera jamais un droit complètement acquis.

Étant entourée de personnes avec qui je partage les mêmes opinions, notamment sur le féminisme, l’anti-sexisme, et le droit des femmes à disposer de leur corps, j’avais pratiquement oublié l’existence des anti-IVG, relégués à un distant concept stéréotypé de personnes minoritaires et intégristes.

Cependant, la lutte anti-IVG existe toujours, et même, elle s’organise.

On l’a vu il y a quelques années avec le mouvement des « Survivants », notamment. Les sites internet qui désinforment et effraient les jeunes femmes en détresse sont toujours actifs, et très bien référencés par Google.

Le mouvement anti-avortement des « Survivants » est composé en grande majorité de jeunes d’une vingtaine d’années et se dit apolitique et areligieux.

Il est né de leur idée selon laquelle, avec 220 000 avortements par an en France, chaque personne née aurait pu être avortée.

Ils parlent donc du syndrome du survivant comme d’une souffrance et se considèrent comme « des rescapés de l’avortement ».

Le 4 juin 2016, les Survivants ont fait parler d’eux avec leur happening à Paris. On les a vus dans plusieurs vidéos et interviews ; leur argumentaire lunaire les a heureusement majoritairement discrédités.

J’ai eu la chance d’avoir un entourage qui m’a soutenue, surtout ma soeur et mon copain (dont les parents sont aussi anti-IVG, chose qu’on a appris au cours de cette mésaventure).

Pour les lectrices qui seraient peut-être dans mon cas et qui se sentent en situation de détresse, orientez-vous plutôt vers le numéro vert « Sexualités, contraception, IVG » du Planning Familial, le 0 800 08 11 11, disponible de 9h à 20h du lundi au samedi.

Les écoutantes sauront vous conseiller et vous rassurer. En revanche, évitez à tout prix les sites mensongers et militants comme SOS bébé, IVG.net, ou encore Ecouteivg.org.

Et même si un médecin tient des propos orientés idéologiquement, gardez en tête que l’IVG reste avant tout VOTRE choix. Et surtout, quoi que vous décidiez, il n’y aura rien de honteux ou de répréhensible.

En France, le corps médical a la possibilité de dire non à la pratique d’un soin : c’est la clause de conscience.

Comme le rappelle le Conseil national de l’ordre des médecins dans un rapport de 2011 :

« La clause de conscience, c’est […] le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais que (le médecin) estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. »

Cette clause s’applique à n’importe quel acte médical, mais il existe trois types d’actes visés par des clauses de conscience spécifiques supplémentaires :

Cependant, même si le code de la santé publique indique qu’« un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une IVG », il précise aussi qu’il doit « communiquer immédiatement le nom de praticiens » qui pourront réaliser l’intervention.

Si tu veux en savoir plus sur la clause de conscience et le débat qui s’y rapporte, tu peux consulter l’article d’Esther Faut-il supprimer la clause de conscience pour garantir le droit à l’IVG ?

À lire aussi : Je suis enceinte… je fais quoi ?

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Les Commentaires

23
Avatar de fruitjoy
28 avril 2023 à 22h04
fruitjoy
J ai eu un gynéco anti IVG mais je le savais avant d y aller ( c était pas pour une IVG évidemment) . 2 personnes me l avait recommandé en me brieffant sur le personnage , donc j étais prévenue . Je crois même qu'il avait une croix accrochée au mur et il fumait des clopes pendant l entretien ( il m avait demandé avant et comme je fumais aussi c était cool , il ne le faisait pas sans accord ). Il m a prise en urgence sans me connaître, et m as rappelée le lendemain suite aux résultats des analyses qu'il avait fait faire, pour que je revienne tout de suite,parce que j avais un truc assez grave ( mais qui se soigne bien avec le bon traitement). On a parlé contraception aussi et il ne posait pas de stérilet, parce qu'il estimait qu il avait un risque que ça soit abortif , et donc que ça allait a l encontre de ses convictions... Mais il était pas du tout relou ni méprisant .
Au final je suis bien contente d être aller le voir parce que j aurais pu finir dans un sale état a essayer de prendre rdv ailleurs en urgence dans 8 mois ...
Il avait aussi diagnostiqué l endométriose de ma 2 recommandation, qui galerait depuis des années ( c était y a plus de 10 ans , on en parlait pas trop a l époque et tous les autres étaient passés a côté). ( Et d autres trucs sur la 1ere , mais je me souviens plus vraiment de quoi il s agissait) .Je n y suis plus retournée ensuite parce que j' ai déménagé .
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Voir les 23 commentaires

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