Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Wild Bunch. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait.
La part de l’autre est un sujet qui me fascine. Début décembre, j’ai eu la chance d’assister à la projection de Grave, le long-métrage de Julia Ducournau, au PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival), d’où il est reparti avec deux prix.
La projection a été suivie d’une séance de questions-réponses. Seule la jeune Garance Marillier, 18 ans, répondait aux interrogations des spectateur•trices. Et elle a eu cette phrase édifiante, dont le sens évident m’a transcendée : Grave est un film sur la part de l’autre.
C’est l’histoire de Justine, une jeune femme confrontée à la part de l’autre en elle. La part de monstre qui l’habite. Une part de soi que l’on aimerait refouler bien profondément, mais qui la dépasse et l’engloutit. C’est cette idée qui est terrifiante, pour moi, au-delà de tout cauchemar.
Grave, plus subtilement qu’une séance de psychanalyse, m’a placée face à l’une de mes pires angoisses : qui serais-je si je laissais la part de l’autre l’emporter sur moi-même ?
Tour d’horizon des pires alter-ego qui pourraient me dépasser et m’engloutir comme l’héroïne de Grave...
Interview de Garance Marillier, aka Justine dans Grave
Garance Marillier, 18 ans tout juste, m’a parlé de sa préparation pour le rôle, de la difficulté d’incarner un personnage en proie à une telle bataille intérieure. Et elle est passionnante à écouter !
Dexter, le justicier qui ne prend pas de gants
Dans une autre vie, j’aurais pu être Dexter. C’est sûr. Confrontée à une pulsion de revanche et de justice aussi violente que celle d’un enfant qui a vu sa propre mère être sauvagement assassinée devant lui, j’aurais pu moi aussi, méticuleusement, découper les pires criminels de mon ère.
Dexter, le fameux tueur en série dont la série (pun intended) s’est achevée sur sa 8ème saison, a toujours eu ma sympathie.
Pourtant je suis républicaine, pourtant dans mon esprit, la loi prime sur tous les instincts. Et je ne peux croire un seul instant que mon besoin de vengeance surpasse un jour mon profond respect pour les institutions républicaines.
Pourtant, que fait Dexter, sinon assouvir ses propres passions au nom d’un idéal commun : celle d’une justice intraitable, rendue par et pour le peuple ?
L’assassin méticuleux poursuit ceux qui échappent à la justice, voire sabote leurs dossiers au tribunal lorsqu’il s’estime plus apte à rendre cette justice, qu’il bafoue alors lui-même, en se faisant juge et bourreau sans procès.
C’est que le monstre prend le dessus sur l’homme intègre et respectueux des institutions. Dexter l’appelle « son monstre », « son passager sombre », mais si c’était lui-même, tout simplement ?
Et si j’avais les moyens de rendre la justice de la manière dont Dexter la rend, aurais-je la patience et la retenue de voir des criminels être absous pour vice de procédure ? Rien n’est moins sûr. Et cette pensée me terrifie.
Frank Underwood, le Machiavel des temps modernes
Je suis profondément démocrate. Et pourtant,
le semi-tyran fictif incarné par Frank Underwood dans House of Cards me séduit comme aucun homme (politique) avant lui.
Le wanna-be président des États-Unis ne s’embarrasse pas des futilités telles que le suffrage universel (ce mépris est signé Frank Underwood, pour vous servir et pour votre plus grand bien, à condition que vous lui fassiez confiance… !).
Que ce soit pour l’accession au pouvoir ou pour le garder, Frank Underwood ne recule devant aucune manipulation, aucun coup.
Voilà quatre saisons que je suis pendue aux moindres faits et gestes de ce personnage, mi-héros mi-tyran, semi-dictateur et semi-sauveur. Il me paraît convaincu du bien-fondé de ses actions, et je m’interroge : est-ce de la confiance ou de l’aveuglement ?
Et sa posture de leader inébranlable, est-ce une confiance sincère ou un autoritarisme de façade ? Frank Underwood me fascine autant qu’il m’effraie.
Je voudrais un leader aussi détaché des tragédies individuelles qu’il peut l’être, et aussi passionné par le destin collectif que par le sien.
J’ignore s’il aspire aux pouvoirs suprêmes parce qu’il est convaincu de détenir la clé de l’avenir, ou s’il est rongé par l’ambition personnelle jusqu’à l’aveuglement.
J’ignore quelle part de lui élève son être au rang d’héraut de la Nation, et quelle part de lui le ronge, jusqu’à provoquer sa perte dans la prochaine saison (je suppute) (mais j’en sais rien) (mais si t’as des infos, je prends).
Je ne sais si j’admire ou si je crains Frank Underwood. Et cette dualité me fascine autant qu’elle me surprend.
La part de l’autre, le roman qui m’a bouleversée
La part de l’autre est un roman d’Eric-Emmanuel Schmitt. Il raconte la vie d’Adolf Hitler, en deux versions. D’un côté, le Hitler que l’Histoire connaît : celui de l’Anschluss au Génocide.
De l’autre, celui que le monde aurait pu ignorer : le jeune artiste, admis aux Beaux-Arts, qui affrontera ses démons et ses frustrations à travers son expression artistique.
J’ai lu La part de l’autre alors que j’étais étudiante à Sciences Po, et ce roman m’a bouleversée. Il a mis des mots trop tranquilles sur une réalité qui me panique.
Et si j’avais fait d’autres choix ? Et si ce que je suis, ma respectabilité, ma vie entière, n’était qu’une version domestiquée de l’animal que je suis ?
Pas un jour ne se passe, depuis la lecture de cette histoire, sans que je n’interroge mon inconscient. Qui suis-je vraiment ? Quelle part de l’autre ai-je écrasée pour être moi ? Serais-je meilleure ou pire ?
C’est en ce sens, sans doute, que l’histoire de Justine dans Grave m’a happée et touchée à ce point. C’est aussi pour ça que je la trouve terrifiante : parce qu’elle renvoie à la part de l’autre, à cette menace contenue qui échappe complètement à la protagoniste.
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Les Commentaires
Je l'ai aimé car je me pose souvent cette question sans oser jamais en parler et je vois maintenant que je ne suis pas la seule.
Depuis toujours, j'ai une colère ou une noirceur en moi et c'est vrai qu'elle me fait peur du moins si un jour elle prenait le contrôle (là j'ai l'impression d'être dans Split en parlant ainsi ^^'). Je ne sais si mes nombreuses lectures, les films et séries que j'ai visionné ont aidé à la nourrir, mais je sens qu'une partie de moi est froide, voir sociopathe, que les émotions ne l'atteignent pas et que si le pire devait m'arriver, dans une situation qui m'amène à n'avoir aucun contrôle, j'ai l'impression que l'Autre saurait quoi faire. Après ce n'est pas une partie qui aime la destruction ou la mort, les cascades de sang etc. Non en fait, elle en a que faire. Mais indifférente jusqu'au bout d'une telle façon que j'ai l'impression que rien ne peut la toucher. Elle me semble froide, tel un vampire mélancolique dans les anciennes Fantasy (bien bien bien avant des films et séries d'ados qu'on nous sert maintenant à toutes les sauces). Des fois, cette insensibilité dans la vie quotidienne me touche, j'ai l'impression d'avoir un coeur de pierre, sauf quand il s'agit d'injustice, là par contre mes valeurs prennent le dessus et même si j'ai la trouille je la sens, cette partie, tout au contraire sûre d'elle et décidée que rien ne peut effrayer, même pas la mort car elle n'a aucun maître et est prête à rendre tous les coups qu'on a pu lui faire. Parfois, l'assurance qu'elle a m'aide tant, qu'il m'arrive de me dire c'est bizarre on dirait un démon qui "m'épaule" mais qui est à l'opposé de moi qui suis plutôt trouillarde, mais jamais lâche. Le courage et la justice font parties de mes grandes valeurs que mes passions littéraires et cinématographiques ont bizarrement contribué à alimenter et donc des fois je me dis qu'il en est peut être de même pour cette Autre, comme un Alter Ego dans certains Comics (ou alors je devrais consulter ah ah).
Ps : merci Clémence, tu m'as donné envie de lire ce livre ;-)