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Culture

3 grandes reines entre mythe & histoire

Elles ont existé… Ou peut-être pas. En tout cas, tout ce qu’on en dit ne s’accorde pas forcément. Et pourtant, elles ont réussi à marquer l’histoire et les esprits d’une manière ou d’une autre. Retour sur trois reines légendaires.

Il se passe un truc fabuleux avec l’Histoire, c’est que quand on ne sait pas trop quelque chose, qu’on n’est pas bien certain, ou alors qu’on n’en sait absolument rien, on brode un peu les détails, et ce qui fait défaut à l’Histoire est complété par le Mythe. Notez les majuscules.

Après, il faut bien voir que la frontière entre l’Histoire et le Mythe n’a pas toujours été bien marquée ; fut un temps, l’historien était un mythographe, ou en tout cas on ne lisait pas ses écrits comme on lirait un historien aujourd’hui. Pour vous donner une idée, on a commencé à parler d’historien avec Hérodote et son Histoire : appelé « le père de l’Histoire », ce Grec un peu bizarre qui a vécu au Vème siècle avant J.-C. s’était mis en tête de voyager pour écrire ce qu’il voyait, un peu comme une enquête – ce qui a pu être la première définition d’historia.

On prend du recul et des pincettes, quand on a des écrits d’un historien de la Grèce Antique entre les mains — comme avec tout document historique, vous me direz, mais mention spéciale à ces gros mythos de Grecs. Ne serait-ce déjà que parce que notre conception n’est pas la même, et que la distinction qu’on opère aujourd’hui entre le mythos (fable, invention) et le logos (discours, raison) n’a pas toujours été aussi claire.

L’histoire de cette distinction est assez longue, d’où une certaine propension à « mythifier » des évènements et/ou des personnalités historiques. Si on rajoute à cela tous les documents qui n’ont pas été retrouvés et qui auraient procuré davantage d’éléments de comparaison, on se retrouve avec des personnalités qui ont marqué l’histoire alors qu’on ne sait même pas si ce qu’on sait d’elles est vrai… à commencer par leur existence. Et moi, ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce sont ces grandes reines que l’on dit « mythiques »…

Femmes de pouvoir : où commence l’Histoire, et où s’arrête le mythe ?

La reine Cléopâtre

Fatalement, Cléopâtre, la plus connue. Son personnage a tellement fasciné à travers les siècles qu’il a continué à survivre dans les pièces de théâtre, les opéras, les livres et les films. Ce qui a d’ailleurs contribué à embellir son histoire. Car qui était Cléopâtre ? On en sait des choses sur elle ! Ou on pense en savoir… Il y a les idées reçues qu’a engendré cette fascination, mais aussi le fait que l’Histoire est écrite par les vainqueurs.

Déjà, Cléopâtre VII Thea Philopator, reine d’Égypte au premier siècle avant J.-C., n’était pas égyptienne. Ni même grecque, en fait. On penche pour dire qu’elle aurait été macédonienne. Ah, et elle n’était pas destinée à devenir Pharaon(ne) et à régner ! Si dans la société égyptienne de l’époque la femme avait plus de droits que, mettons, dans la société romaine, on ne pensait pas à elle pour autant pour s’occuper des affaires du pays, hein, faut pas déconner.

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Buste de Cléopâtre VII, au Altes Museum à Berlin

Mais la réalité serait encore mieux : issue de la dynastie des Ptolémée, elle est exilée par le Pharaon actuel, son frère Ptolémée XIII. On ne fait pas de sales coups à sa soeur. Celle-ci n’apprécie guère, lève une armée contre lui, et récupère le trône. Voilà : là, Cléopâtre est reine, et peut devenir la séductrice extravagante et un poil instable dont le nez a obnubilé nombre de poètes et de philosophes. Sauf si elle a été plus que ça…

Le problème étant, vous vous en doutez vu le titre de cet article, qu’on manque de sources historiques fiables à son égard. C’est même épatant à quel point elle est restée dans les annales en laissant si peu de traces derrière elle ! Il ne reste pas même un petit document officiel qui aurait pu passer entre ses mains ou sous sa dictée… et il faut attendre pas loin d’un siècle pour que Plutarque, historien romain, écrive sur elle. (Et les Romains ne la portaient pas dans leurs coeurs.)

Ainsi Cléopâtre devient assez vite une séductrice ambitieuse qui dégage une aura de danger pour les mâles qui l’entourent. Ses relations supposées avec Jules César et Marc-Antoine n’arrangent pas le tableau de cette femme lascive, opportuniste et d’une sexualité dépravée.

Les plus romantiques se sont attardés sur la romance en elle-même plutôt que la manipulation. Quoi qu’il en soit, il faut bien voir que niveau stratégie politique, le but de Cléopâtre était assez clair, et de la part d’un individu à la tête d’un pays, plutôt logique : elle passe son règne à tenter de préserver la paix et l’autonomie égyptienne, un équilibre précaire en ces temps de domination romaine, et qui nécessitait d’entretenir des relations complexes avec Rome. Elle y parviendra pendant la majeure partie de son règne.

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Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort, Alexandre Cabanel. Via

Comment a-t-elle donc fait ? Était-ce sa beauté fatale, qui mettait tous ces grands chefs à ses pieds ? Des historiens de l’Antiquité tendent à la décrire non pas avec la beauté d’une Elizabeth Taylor, mais avec un esprit vif et une intelligence redoutable. Physiquement, d’après quelques bustes et pièces de monnaie, elle aurait même été plutôt banale… Mais son charme et sa culture (elle aurait parlé plusieurs langues), en plus de son intelligence, en faisait une fine stratège.

Enfin, son suicide rendu célèbre notamment par Shakespeare, qui a des allures de drama queen, paraît trop romantique pour être crédible. Si elle se tua effectivement alors que Marc-Antoine était mort et l’Égypte perdue, certains historiens avancent que cela aurait été à l’aide d’un poison mortel, certes, mais rapide et efficace, sous forme de boisson par exemple — pas d’aspic, dont le venin tue, mais lentement… L’agonie, c’est bien une idée de romantique, ça. Chez les gens pratiques, on veut en finir vite avant qu’on vienne nous cueillir et nous guérir, pour mieux nous juger.

Une vie un peu démythifiée, mais une personnalité qui demeure impressionnante. L’aura de mystère perdure, c’est un fait, et la femme stratège de talent prend des allures de castratrice. Femme fatale, femme de pouvoir, qu’importe : la reine Cléopâtre est entrée dans la légende avec un goût de victoire, en entraînant son peuple avec elle.

La reine de Saba

Si on est d’accord pour dire que Cléopâtre a au moins existé, on n’en est pas si certains pour la reine de Saba. Déjà, le royaume de Saba, on ne sait pas trop bien à quoi ça correspond, même si on penche plutôt pour le Yémen et/ou l’Éthiopie. Et cette souveraine aurait régné (et vécu) (logique) vers le Xème siècle avant JC. Ce qui n’arrange rien.

Comme pour Cléopâtre, aucun document officiel attestant de l’existence d’une reine de Saba ne nous est jamais parvenu. Mais, difficulté supplémentaire, plutôt que d’être citée dans des écrits se voulant historiques, elle est évoquée dans les livres sacrés des religions musulmane, chrétienne et juive — et (pour une fois) les trois s’accordent relativement bien sur l’histoire. Dans les grandes lignes.

Pourtant, elle tourne elle est devenue une reine mythique. Une femme qui avait le toupet, encore une fois, d’être à la fois belle et puissante… il faut croire que c’est un bon départ dans la vie pour la mythification. Elle aurait été aussi très riche, très sage, et très intelligente, ce qui aide, d’une, à impressionner les gens, et de deux, à se retrouver au fil de l’histoire avec l’étiquette « magicienne », « sorcière » ou « dépravée ».

Mauvaise langue mise à part, on a surtout parlé d’elle pour son lien avec le roi Salomon, qu’elle serait venue visiter en grande pompe à Jérusalem : or, pierres précieuses, esclaves, bijoux, épices, décolleté, chameaux… Si elle a vraiment mis le paquet, tout ce faste aura au moins aidé à alimenter la légende ! Parce que si ça se trouve, il n’était question que de commerce entre les deux royaumes.

saba1The Visit of the Queen of Sheba to King Solomon — Sir Edward John Poynter

À partir de là, l’histoire diffère un peu selon les traditions, juives ou musulmanes. Cette dernière donne d’ailleurs le nom de « Bilqis » à la reine de Saba, et la place au coeur de plusieurs légendes qui font varier sa relation avec le roi Salomon entre mariage, discussions cordiales, et mise à mort. Une légende éthiopienne raconte qu’elle a même eu un fils avec lui, Ménélik Ier, premier roi d’Éthiopie. Dans l’Ancient Testament, la reine éprouve la sagesse de Salomon en lui posant des énigmes.

Toujours selon l’Ancien Testament, la reine avait l’intention d’éprouver la sagesse de Salomon en lui donnant un certain nombre d’énigmes à résoudre… Et serait repartie suffisamment impressionnée pour se convertir à sa foi. Dieu unique, tout ça. Ce qui explique peut-être que la légendaire reine de Saba a été moins diabolisée que cette perverse de Cléopâtre. Ça, et le fait qu’on sait encore moins de choses d’elle — si ce n’est qu’elle était un très bon parti.

Queen Guendoloena (Gwendolen)

Il n’y a pas que la Méditerranée dans la vie ! Partons voir un peu chez les Celtes, qui ont leur lot de femmes de caractère. On va faire original, et choisir non pas Boadicée (à laquelle nous reviendrons probablement), mais Guendoloena… Même si le problème de la reine Guendoloena — mais on va dire Gwendolen parce que c’est relou à écrire — c’est qu’on est à peu près certains qu’elle n’a pas existé. Pas en tant que telle, en tout cas.

Et pour cause : l’histoire de la reine Gwendolen, grande reine de l’île de Bretagne, est narrée par Geoffroy de Monmouth dans son Historia regum Britanniae au XIIème siècle après JC, le même individu qui raconte également la vie de Merlin dans Vita Merlini. L’Historia est en effet un exemple type du jeu entre l’histoire et le mythe, qui s’empare allègrement et de façon totalement assumée des faits réels pour les broder sur une toile mythique.

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Bon, j’aurais peut-être moins galéré à illustrer Boadicée.

Geoffroy de Monmouth nous dévoile donc l’histoire de la fille du roi de Cornouailles, Corineus, rendue remarquable par ce qui ressemble à un caractère bien trempé ! Promise à Locrinus, roi des Bretons, elle a l’air plutôt satisfaite de l’avenir de reine qu’on a tracé pour elle, ce qui la pousse à veiller de près à ses intérêts. Comme lorsque ce petit fou de Locrinus se montre bien plus intéressé par Estrildis, la fille du roi de Germanie, et qu’elle le menace pour qu’il l’épouse comme promis.

Comment se montre-t-elle si convaincante, cette femme seule face à un roi qui veut tak-tak, et à son armée ? Il doit y avoir un peu du fait que son père est un allié puissant, et un peu de son sale caractère. Au pif.

Dans tous les cas ça marche bien, du moins dans un premier temps, parce que Locrinus l’épouse, et qu’elle parvient même à avoir un fils avec lui, Maddan, futur petit roi de Bretagne. Malheureusement pour Gwendolen, le mariage n’est pas un enchantement et n’empêche par Locrinus d’aller fricoter avec Estrildis et lui faire un enfant, à elle aussi. Alors quand son père, Corineus, meurt, Locrinus en profite pour se dire qu’il ne va pas se faire dicter sa conduite par une bonne femme, et répudie Gwendolen.

Le malheureux.

Gwendolen, alors reine répudiée, s’enfuit en Cornouailles, mais pas dans l’intention de pleurer sur son sort : elle lève une puissante armée et part en guerre contre son ex, qui finit tué dans la bataille qu’elle remporte. Son trône récupéré, cette fois pour elle toute seule, et sans oublier de mettre à mort l’impudente Estrildis, la reine Gwendolen règne pendant quinze ans, avant de donner les rênes à son fils Maddan et de se retirer pour ses vieux jours en Cornouailles.

Il est donc fort possible que cette femme, qui a voulu le pouvoir et l’a obtenu, n’a jamais existé. Mais, encore une fois, notre manque de sources et de documents datant de cette époque nous empêche de le prouver. Sa légende ressemble cependant, en plus minimisée, à celle du Roi Arthur, lui aussi roi de Bretagne légendaire, dont on ne parvient à prouver l’existence mais qui trouble beaucoup d’historiens.

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Qu’est-ce que j’disais.

Pas aussi connues que les deux reines précédentes, elle est néanmoins présente des siècles plus tard dans des oeuvres littéraires telles que The Faerie Queene de Edmund Spenser, ou des poèmes de William Blake, principalement comme une figure romantique.

Cette reine de Bretagne vindicative prend des allures de symbole, une image du pouvoir et de justice comme le roi Arthur. L’image d’une femme de pouvoir qui, comme Cléopâtre, comme la reine de Saba, sème le trouble dans les esprits et dans l’Histoire — parce que c’est le symbole qui fait le mythe.

Pour aller un peu plus loin… Cléopâtre. Au-delà d’un mythe, Michel Chauveau La Reine de Saba : légende ou réalité, André Kaplun Histoire des rois de Bretagne, Geoffroy de Monmouth (trad. Laurence Mathey-Maille) (sa version Google books) « Cléopâtre n’est pas celle que vous croyez » Traces de Cléopâtre dans l’Histoire et dans la littérature L’encyclopedia Universalis, la reine de Saba « Sur les traces de la reine de Saba » L’encyclopedia Universalis, Geoffroy de Monmouth


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Les Commentaires

22
Avatar de MsOriginalDoll
27 février 2015 à 17h02
MsOriginalDoll
Je ne connaissais pas la Reine Gwendolene et comme quoi, on en apprends tout les jours :3
1
Voir les 22 commentaires

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