« Espèce de pas finie ! »
Il m’a fallu attendre le collège pour véritablement comprendre le sens de cette phrase. C’était un de mes amis qui l’avait prononcée lors d’un cours. Je suis allée le voir et lui ai demandé avec curiosité ce qu’il avait contre les prématurés.
– Non non, rien de précis. Pourquoi… T’en es une ? – Bah ouais… – T’es née quand ? – À six mois.
Gêne de sa part.
C’est à partir de ce jour que j’ai compris que dans la tête de pas mal de gens, les grands prématurés étaient la plupart du temps des personnes avec un retard mental. Avant pour moi, c’était juste comme une anecdote : être prématuré•e ou non, avoir les cheveux bruns ou blonds… Je pensais que c’était commun de naître en avance, alors qu’il y a en fait les « un peu en avance » et les extrêmement pressé•e•s qui ne voulaient pas rester tranquillement dans le ventre de maman.
Je n’ai jamais été très patiente.
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Qu’est-ce qu’un•e grand•e prématuré•e ?
J’ai donc posé des questions sur ma mère au sujet de ma naissance, et elle m’a raconté. Tout a commencé à vingt-huit semaines. Six mois « pleins » de grossesse pour ma mère, et bam : les nutriments ne passaient plus dans le cordon ombilical, mon coeur s’affaiblissait, il fallait me sortir de là. Cela se fit par césarienne. « Heureusement » pour moi, ma mère avait déjà subi une fausse couche pour les mêmes raisons, et était donc déjà au courant du risque de naissance précoce.
Je mesurais 30 cm, et je suis née à 740g pour retomber à 600g (mon poids espéré à la naissance par les médecins étant d’un kilo). Première étape de franchie, j’étais viable !
En effet, en-dessous de 500g, un bébé était alors déclaré non-viable, car les séquelles auraient été beaucoup trop importantes.
« La prématurité est une naissance avant le terme normal de grossesse. La durée normale de grossesse est de 40 à 41 semaines. Cependant, il existe des degrés de prématurité qui sont définis notamment par une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’âge gestationnel est un critère nécessaire et suffisant. Tout enfant né avant le terme de 37 semaines révolues d’aménorrhée (absence de règles), soit huit mois de grossesse, est considéré comme un prématuré.
« En termes cliniques, explique Pierre-Yves Ancel, coordonnateur de l’étude EPIPAGE 2 (unité Inserm 953), les grands prématurés sont des enfants nés entre 22 semaines et 32 semaines d’aménorrhée, quel que soit leur poids de naissance. En dessous, c’est ce que l’on appelle les fausses couches. »
En effet, la limite pratique de viabilité du très grand prématuré est estimée actuellement à 22 semaines d’aménorrhée. « Les différentes avancées scientifiques ont permis d’améliorer la survie de ces enfants, explique François Goffinet, directeur de l’unité Inserm 953 [Recherche épidémiologique en santé périnatale et en santé des femmes], mais il reste un risque essentiel : celui de la survenue de complications et de séquelles ». »
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J’ai passé trois mois en néonatologie, donc dans une couveuse, intubée un peu de partout. Il est en effet vital d’apporter au bébé les soins qu’il aurait dû continuer à recevoir au sein du ventre de sa mère. Mes parents sont venus me voir tous les jours. Si je le précise, c’est parce que certains parents ne venaient pas voir leur enfant, cela étant une épreuve émotionnelle très dure pour eux, et il paraît que les parents ont une influence non négligeable sur l’état de santé du bébé.
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Les premiers jours, je fus entre la vie et la mort, mes parents ayant juste en tête que je tienne le coup jusqu’au lendemain, et ainsi de suite. Il n’y avait aucune certitude sur le fait que le cerveau n’ait pas été atteint et que je ne vive pas avec de lourdes séquelles. Le doute et l’impossibilité de savoir si des facultés avaient été touchées étaient assez pesants pour mes parents. Ce furent de vraies montagnes russes, ma santé ayant chaque jour des hauts et des bas, et cela pendant trois mois.
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Par ailleurs, j’ai fait partie d’un protocole expérimental. Devant subir de nombreuses transfusions de sang, mes parents ont en effet accepté de participer au « protocole EPO ».
Cela consistait à donner à 50% des bébés un placebo (donc un médicament ne contenant rien d’actif), et à l’autre moitié une injection contenant de l’EPO. Le but était de de limiter les transfusions sanguines.
« L’érythropoïétine (EPO) est une hormone de nature glycoprotéique (protéine portant un glucide). Cette hormone est un facteur de croissance des précurseurs des globules rouges dans la moelle osseuse. Elle entraîne ainsi une augmentation du nombre de globules rouges dans le sang. »
On n’a jamais su si j’avais reçu le placebo ou l’EPO, mais en tout cas je n’ai plus jamais eu besoin de recevoir des transfusions après ça.
Du fait de ces transfusions sanguines, je dois être l’une des plus jeunes personnes à avoir subi un test HIV. En effet, c’est dans les années 80-90 qu’éclata « l’affaire du sang contaminé », avec des poches de sang touchées par le virus du SIDA. Mes transfusions étaient donc à risque.
Au bout de ces trois mois, ça a enfin été la libération de la néonatalogie, comme un premier obstacle de franchi. Je faisais alors, à neuf mois donc, la taille d’un nouveau-né et je pesais 2,7 kg. Après ma sortie de couveuse, ce fut un autre type d’angoisse : la suite sans les machines et l’équipe hospitalière pour me secourir, la solitude de ma mère face à son impuissance quant à mon état et souvent une culpabilité qui revenait, où elle se sentait fautive de ma prématurité.
Une fois sortie de la grande réanimation, mes parents purent enfin beaucoup plus me toucher sans avoir à se laver les mains à chaque instant, et commencer à me nourrir. Car je n’étais alimentée que via des tubes, qui me faisaient aussi respirer. Voir son bébé perfusé de partout pendant trois mois, ce n’est effectivement pas très joyeux.
Il m’a fallu apprendre à boire au biberon : le fait de téter le sein de la mère est un réflexe de naissance qui se perd !
Toutes ces petites étapes (pouvoir respirer par moi-même, me nourrir, sortir de la couveuse, me toucher) étaient donc de grandes victoires. Surtout, les médecins ont enfin dit à mes parents ce qu’ils attendaient : tout allait bien, le cerveau n’était pas atteint et c’était définitif. L’apaisement.
Les séquelles
Ma grande prématurité a cependant causé des problèmes respiratoires et d’évanouissements ; j’ai d’ailleurs toujours ces derniers. Ma mère est devenue une pro du malaise vagal. Il y a des parents qui chantent ensemble, ou qui font du sport ensemble… nous on a notre duo pour m’éviter de perdre conscience !
Je devais aussi prendre beaucoup de médicaments au début, dont des antirefluxs tout le long de la journée (avant et après les repas) ; ma mère devait donc s’occuper de son premier nouveau-né avec une charge de stress et de responsabilité plus importante.
« Les séquelles neurologiques et motrices observées chez les grands prématurés, en-deçà de 32 semaines d’aménorrhée, quel que soit leur degré, sont dues le plus souvent à des lésions cérébrales, dites destructives – des trous ou des plages de dégénérescence à l’IRM cérébrale, explique Pierre Gressens, directeur de l’unité 676 Inserm-Université Paris 7. Chez les extrêmes prématurés (24 à 26 semaines de grossesse), on retrouve plus rarement des lésions destructives à l’ IRM. Néanmoins, dans cette population de nouveau-nés extrêmement fragiles, des techniques modernes d’imagerie en IRM montrent souvent des anomalies plus subtiles qui suggèrent des perturbations des programmes de développement du cerveau : le fait d’être en dehors du ventre de la maman trop tôt va entraîner des anomalies dans le développement du cerveau. Ceci aboutit aussi à des troubles cognitifs et comportementaux. »
Les principales causes évoquées par les chercheurs sont un manque d’oxygène, une infection, ou une inflammation, qui vont entraîner une destruction de cellules dans le cerveau, ou perturber la maturation de ce dernier, et causer des dysfonctionnements. Dans le cas des extrêmes prématurés, on estime de plus en plus que le fait d’être exposé trop tôt à des stimuli externes excessifs et ce, de façon anormalement précoce, est une cause de la perturbation du développement cérébral. »
J’ai également eu de la kiné respiratoire un jour sur deux dans les premières années de ma vie, qui a permis de soigner des bronchiolites à répétition. Par ailleurs, j’ai fait de la rétinopathie à cause d’une forte exposition à l’oxygène en couveuse. C’est un « trou » dans la rétine, qui apparaît lorsqu’une zone de la rétine n’est plus oxygénée. Elle gonfle alors, et entraîne une vision constellée de taches noires. À force, cela peut faire perdre la vue. Gilbert Montagné est justement un prématuré de six mois ayant eu une rétinopathie qui a entraîné une cécité.
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Cela fut corrigé grâce à un travail d’orthoptie. J’ai eu des visites de contrôle à l’hôpital tous les mois dans mes deux premières années de vie, et j’ai porté des lunettes dès mes six mois.
Et il y avait les autres éventualités.
« Elle risque de ne pas avoir beaucoup d’appétit. Ses capacités sociales seront peut-être limitées. Ainsi que ses compétences scolaires, voire mentales. »
C’est sur ces perspectives encourageantes que mes parents ont commencé à m’élever, avec la peur (surtout dans les premières années) de me perdre. Ce sont des risques qui sont en effet possibles.
Il existe certains prématurés qui « se remarquent » une fois un peu plus âgés. Je n’avais jamais compris pourquoi, lorsque je disais que j’étais prématurée, les gens me répondaient « Tiens, j’aurais jamais deviné » ! Il est vrai que j’ai rencontré une personne dans la même situation que moi, qui possède quelques séquelles comme des difficultés légères d’élocution, mais prématurité ne rime pas forcément avec handicap.
Dans mon cas, je n’ai jamais eu à me plaindre d’un manque d’appétit, ni aucun trouble alimentaire. Je suis considérée comme une bonne élève et n’ai, au contraire, aucune difficulté à aller à l’encontre des gens. Disons que ce sont les séquelles possibles de la prématurité que j’appellerai « comportementales ».
Mais il va sans dire que naître à six mois comporte forcément quelques désagréments. Petite, j’ai eu de l’asthme, dû à l’immaturité de mes poumons à ma naissance, mais sans gravité. Question respiratoire, je ne fais plus du tout d’asthme au quotidien, uniquement lors de la pratique de sport d’endurance comme l’athlétisme ou la natation — évidemment, je n’ai découvert cet asthme à l’effort qu’en première. Si jamais su cela plus tôt, cela m’aurait évité bien des souffrances lors des cours de piscine…
Je fais aussi très facilement des malaise vagaux, avec perte de conscience ou non. Cela peut être dû à un stress, une fatigue, un coup de chaud. C’est parfois assez violent, mais on s’y fait une fois que l’on sait comment gérer la chose.
Comme dit plus haut, je ne mesurais que trente centimètres à la naissance. J’ai maintenant la taille tout à fait normale d’1m60. Cependant j’ai des pieds en canard (oui oui c’est bien dû à ma prématurité !) et des problèmes assez lourds de vision. Je suis myope astigmate et ma vision est de -5 d’un côté et -7 de l’autre (autant dire que je suis une taupe), avec une diplopie (vision double) fugace si je suis fatiguée. Je me suis déjà fait opérer deux fois des yeux pour corriger cela, et je devrai renouveler cette opération tous les cinq-six ans.
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Et il y a quelque mois, lorsque que j’ai atteint ma majorité, ma mère m’a fait faire quelques tests sanguins, pour vérifier si ma pilule était compatible (ma mère et sa famille ayant des problèmes de coagulation héréditaires). Résultat : défaut génétique de déficit en protéine S, ainsi qu’en anti thrombine 3. Ce sont tous les deux des inhibiteurs de coagulation, et ces déficits pourraient être à l’origine de ma prématurité. Il se peut donc qu’à mon tour, je donne naissance à un enfant prématuré. Mais tout cela est encore très vague, et l’on est loin de tout connaître sur le sujet !
En conclusion
Je suis persuadée que ces premières années difficiles m’ont forgée et m’ont donné certains traits de personnalité. L’optimisme est une partie intégrante de moi. Au-delà des conséquences physiques de ma naissance, elle a ainsi décidé de la personne que j’allais être, m’obligeant peut-être d’une certaine façon à entrer dans la vie avec volonté.
De plus mes rapports avec ma mère en ont sûrement été renforcés : nous avons dû nous battre pour être ensemble ! Cette histoire commune nous lie encore plus, et je suis fière d’elle comme de moi.
Si j’ai décidé de témoigner sur ce sujet, c’est d’abord parce que la prématurité reste quelque chose de peu connu lorsque l’on n’a pas de personnes prématurées dans son entourage. Et c’est aussi pour ceux et celles qui ont, auront de très grand•e•s prématuré•e•s ou en connaissent : le terme « grand préma » effraie parfois les gens, et je voudrais leur dire qu’un•e prématuré•e n’aura pas forcément de lourds problèmes tout au long de sa vie. Et surtout, il faut retenir que l’accompagnement parental du bébé, puis de l’enfant, est important.
Aujourd’hui lorsque les gens me disent que je n’ai pas eu de chance quant à ma prématurité, je leur réponds qu’au contraire, si je n’en avais pas eu, je ne serais pas là à parler devant eux !
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Les Commentaires
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Merci et très bonne maternité à vous