J’avais peut-être un peu trop de caféine dans le sang, mais il y avait aussi de l’appréhension avant de mettre en marche ce Grace/Wastelands. Avoir peur d’écouter un disque, c’est tout de même pas banal. Il faut bien dire à ma décharge que Peter Doherty, qu’il énerve ou fascine, ne laisse personne indifférent, et ce de gré ou de force. Au-delà de toutes ces histoires de drogué, l’histoire de Peter Doherty pourrait être un vrai film hollywoodien dont le scénario s’écrit en ce moment même. Du duo de libertines formé avec son ami d’enfance, leur starification, leurs embrouilles et réconciliations multiples, les filles, la liberté, la drogue, la séparation, les rumeurs, les deux nouveaux groupes qui tentent tant bien que mal de faire oublier les Libertines… Et puis voici cet album solo, nouveau rebondissement dans l’histoire de ces deux frères maudits dont on sait qu’ils finiront par se retrouver… Non ?
Grace/Wastelands est une réussite, et s’est imposé en tant que tel très rapidement. Je pense qu’une partie non négligeable du crédit doit revenir à Graham Coxon et aux divers musiciens des Babyshambles ayant participé à la conception du disque. L’instrumentation est fantastique, bien plus complexe que je ne l’aurais imaginé, les arrangements sont à tomber par terre et ils se sont même permis un morceau qu’on croirait sorti des années 1940 (”Sweet By and By”), où l’on imagine un Pete Doherty, verre de bourbon à la main, chantant son amour perdu dans un club de jazz de la Nouvelle-Orléans… Auriez-vous imaginé ça ? Du jazz ?! Ce disque est étonnament éclectique, très travaillé, loin, très loin, à des années-lumière d’un disque enregistré entre deux séjours en désintox. Peter Doherty tient là un disque qui fera taire bon nombre de détracteurs et qui ne fera plus dériver chaque conversation comportant son nom vers une diatribe anti-drogues.
Tout pourtant n’est pas excellent. J’ai trouvé les quatre dernières pistes plutôt emmerdantes par rapport aux huit précédentes. Gentillettes, charmantes, mais emmerdantes. Il faut dire que les deux premiers tiers du disque sont vraiment surprenants. Ils m’ont parfois fait penser (comme dans “A Little Death Around the Eyes”) à l’ambitieux premier disque des Last Shadow Puppets, qui a rappelé à tout le monde que s’adjoindre les services de cordes pouvait être bénéfique pour n’importe quel groupe de rock.
“Arcadie” est une très jolie entrée en matière, avec une mélodies à la Dylan ou Bert Jansch, une bonne façon de se réhabituer (sans jeu de mots) à la voix spéciale de Peter Doherty. La première vraie surprise est “Last of the English Roses”, qui sonne comme du Gorillaz, avec un texte très anglophile, et un double-sens qui n’est véritablement apparu qu’avec le clip. Les choeurs sont accrocheurs – cette chanson risque de devenir un incontournable des karaokés anglais – et entourés par une mélodie assez troublante, pas mélancolique, pas vraiment romantique, mais plutôt fantômatique, ce que le clip n’a pas vraiment réussi à reproduire.
“1939 Returning” est tout simplement splendide, la plus belle chanson de l’album. Les violons sont superbes, avec ces petites touches arabisantes qui rendent la chanson impossible à situer dans le temps et l’espace. Tout comme sur l’automnale et magnifique “Salome”, le chant de Doherty est parfait. Sérieusement, je ne crois pas l’avoir entendu si bien chanter sur un disque. La musique qui l’accompagne correspond plus à ses textes poétiques que celle de Down in Albion des Babyshambles. Elle est plus cinématique, elle est fait plus appel à l’imaginaire et nous met dans les meilleures conditions possibles pour nous laisser embarquer dans ses histoires romantiques… C’est beau !
“Through the Looking Glass” est ma deuxième chanson préférée du disque, littéralement extraite de sessions des Libertines, enregistrées à Paris entre leurs deux albums. La seconde guitare de Graham Coxon est très présente, et je n’ai pas pu m’empêcher d’imaginer ce que cette chanson aurait pu donner avec Barât à sa place et aux choeurs. “Palace of Bone” aurait pu être chantée par Alela Diane dans son Pirate’s Gospel. Elle commence comme une chanson de The Coral, et continue dans un style folk-blues terriblement addictif. Cinématique, le mot me revient encore à l’esprit. J’adorerai voir le clip de cette chanson !
Et puis à partir de “Sheepskin Tearaway”, j’ai commencé à m’emmerder. C’est beau, c’est très bien joué, bien chanté, mais ça ne suffit pas pour me toucher. Tout ce que j’ai envie de faire arrivé à ce moment, c’est remettre le disque sur “Arcadie” et tout réécouter jusqu’à “Palace of Bone”, encore et encore…
On aimerait que le film de Peter Doherty se termine bien : “Et il continua à faire des disques merveilleux, vécut heureux et eu plein d’enfants”, mais en même temps on aimerait bien de nouveaux rebondissements, un nouvel album des Libertines, d’autres voudraient un petit scandale… On en veut toujours plus, mais ce n’est pas une raison pour bouder notre plaisir à l’écoute de cet excellent album.
J’avais aucune raison d’avoir peur finalement :-)
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