— Article publié le 20 avril 2015
Godemichet : Il était une fois l’Homme
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en terme de petits plaisirs, l’homo sapiens ne manque pas d’imagination. On pourrait même dire que, dès lors qu’il a compris ce qu’on pouvait faire avec un pénis, son imagination s’est montrée si fertile que les premiers prototypes de préservatif ont mis bien du temps avant de retenir efficacement ses ardeurs..
« Qui a la plus grosse ? » fig.1
Preuve en est le nombre effarant de sex-toys divers et variés qui ont été inventés — aujourd’hui plus que jamais, à présent que le tabou derrière la masturbation et les jeux licencieux a commencé à se dissiper, ouvrant grand les vannes de l’originalité pour enfin permettre aux gens de faire tak-tak tranquillement dans leur coin. C’est pas croyable comme certain•e•s peuvent se mêler de ce qui ne les regarde pas, parfois…
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Comme il y en a bien trop pour que je puisse vous proposer autre chose qu’un catalogue (et qu’on n’est pas chez les 3 Suisses), nous allons pour aujourd’hui nous pencher sur un cas de sex-toy en particulier. J’ai nommé : le godemichet, ou la passion du phallus.
Godemichet : les suspicieux phallus de pierre de la préhistoire
La fascination pour cet appendice dynamique ne date pas d’hier. En même temps, qu’on aime jouer avec ou non, il faut admettre que le coup de l’organe qui pendouille, peut se dresser tout seul et crache quand on le frotte… Ni le lama ni la lampe d’Aladdin n’ont jamais su faire mieux. Par conséquent, il n’est pas rare pour un archéologue de se retrouver nez à nez avec un(e représentation de) phallus.
« Mais comment ils le faisaient rentrer ? »
Pour autant, rien n’indique que les gens, hommes comme femmes, se soient toujours montrés pragmatiques vis-à-vis de ces substituts de pénis. Chez les Romains, par exemple, si on taillait des phallus dans la pierre, c’était avant tout parce que c’était un « symbole de virilité », qui les rassurait peut-être. Déco, tradition, porte-manteau, arme… Allez savoir, en revanche, ce qu’en faisaient les civilisations les plus anciennes.
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On a retrouvé ce qui ressemble à des vestiges de godemichets, datant de l’ère paléolithique. Des représentations rudimentaires, quoique tout à fait reconnaissables, du fier organe dressé et figé dans la pierre.
Le double phallus de Gorge d’Enfer, le bien nommé.
Aller jusqu’à dire que ces dames ou ces messieurs les inséraient dans l’orifice de leur choix est un peu précipité — même si, à mon humble avis, mettre des trucs dans les trous est un réflexe humain aussi vieux que la recherche du plaisir. À l’heure actuelle, on en est encore à analyser les éventuelles traces de frictions pour déterminer si oui ou non on a fait autre chose que du tam-tam avec ces jolis phallus !
Godemichet : l’olisbos, le bien pratique phallus en cuir de l’Antiquité
Heureusement, les choses se sont clarifiées dans l’Antiquité. Bien sûr, le terme « Antiquité » est vaste, puisqu’il désigne une période pendant laquelle se sont développées des civilisations très différentes. Et si les histoires de cul, c’est universel, tout le monde n’en parle pas avec le même confort.
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Voyez par exemple, chez les Égyptiens : on ne sait pas exactement si ces dames utilisaient autre chose que leurs doigts, mais le profond respect pour le dieu Osiris et sa teub fertile est assez éloquent. En des termes plus sobres, disons qu’Osiris, sous la forme du Nil, féconde chaque année la terre fertile qu’est Isis. Et comme le Nil, c’est un peu la source alimentaire du pays, on comprendra pourquoi les Égyptiens représentaient parfois Osiris avec un fier phallus protubérant !
Chez les Égyptiens, déjà, on avait la gaule.
Chez les Romains cependant, malgré leur amour de la virilité, la chose semblait moins assumée. Comme nous l’apprend Thierry Éloi, un historien et maître de conférence qui était à ma fac (hé ouais), dans
L’Érotisme masculin dans la Rome antique, l’acte sexuel honorable ne sert qu’à la procréation : seuls les dépravés cherchent à se tripoter dans le seul but d’avoir du plaisir.
Monsieur s’en fiche, monsieur se tape des esclaves et des prostituées pendant ses campagnes. Monsieur se fiche de la gueule du monde, quoi.
Heureusement, chez les Grecs et les Japonais, on est plus détendus des fessiers. S’étaient-ils concertés ? De qui est venue l’idée en premier ? Aucune idée, mais forte de ma conviction selon laquelle l’homme et la femme sont très imaginatifs en matière de sexe, je pense que l’olisbos, le terme grec pour « phallus en cuir », s’est imposé naturellement chez les deux civilisations. Un godemichet, quoi.
Godemichet : du Moyen-Âge à la Renaissance, période chaste (sur le papier)
En revanche, le mot « godemichet » n’a rien de grec (et encore moins de japonais). Il provient du latin médiéval « gaude mihi », qui signifie « donne-moi du plaisir », et s’il est difficile d’en retrouver mention dans les manuscrits datant du Moyen Âge, il serait hâtif de l’en considérer absent. La société romaine rejetait tout type de pénétration en auto-didacte dans le seul but égoïste de se faire plaisir, mais ça n’empêchait pas les hormones de sévir !
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Était-ce trop réprimé au Moyen Âge ? Un article sur Rue89 cite l’historien Jacques Rossiaud, selon lequel des recueils de pénitences mentionneraient des femmes se donnant « du plaisir avec des légumes, des objets naturels et des objets fabriqués en bois ». La pratique était donc jugée honteuse, mais probablement pas rare. Ne prenons pas nos ancêtres pour des quiches : ils avaient perçu le potentiel du concombre bien avant nous.
Je ne vois pas ce que vous voulez dire.
D’ailleurs, avec la Renaissance, le concept du godemichet s’est progressivement imposé comme une évidence. Ben oui, on n’a pas toujours un pénis sous la main, merci bien. Alors la verge de substitution s’est déclinée sous plusieurs matériaux, selon les préférences, du cuir à la pierre, ou de l’ivoire au bois.
Elle n’était peut-être pas super flexible et s’apparentait de ce fait à une trique du feu de Dieu, mais c’était un début. (Et puis celles en ivoire devaient être jolies, sculptées et tout.)
Godemichet : le 19ème siècle, ou l’arrivée du vibromasseur steampunk
Et puis la révolution industrielle arriva, et avec elle, le progrès chez le godemichet. Enfin. Presque. D’un point de vue technique, on peut parler de progrès, puisque c’est aux alentours de 1880 que ce sex-toy se vit agrémenté d’un détail charmant qui le rendit comme doué de vie : il vibrait ! En somme, le vibromasseur était né.
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Bon, ce n’était ni subtil ni engageant, étant donné qu’il s’agissait, comme nombre de machines à cette époque, d’un engin à vapeur. Et pas d’un charmant petit vibromasseur portable avec un petit tuyau qui faisait « tchou-tchou ! », non. Plutôt d’un engin de torture qui, même s’il était conçu pour faire entrer et sortir un gros godemichet dans l’intimité des gens, ne criait pas « oh oui ! » de tous les pores inexistants de ses tuyaux.
Ce qui nous amène au point du vue, disons… « social » de la chose, qui puait pas mal du boudin. Non, les godemichet n’ont pas été inventés pendant l’ère victorienne pour faire plaisir aux gens, et plus particulièrement aux femmes. À cette époque, une dame qui montrait ses chevilles dénudées était d’une extrême indécence, alors vous pensez bien que le plaisir féminin, on préférait l’oublier.
Les godemichets ont été inventés pour traiter les cas d’hystérie. Il était acquis à cette époque que les femmes pouvaient souffrir de cette étrange névrose, qui dénotait surtout d’un mal-être au sein d’une société particulièrement répressive vis-à-vis des femmes, et d’une frustration sexuelle. Ce qui n’est pas forcément sans être lié.
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Seulement voilà. Plutôt que de se dire qu’il y avait peut-être une couille de trop dans leur potage patriarcal, les médecins du 19ème siècle ont préféré offrir un traitement « stimulant » à ces dames. C’est-à-dire quelques séances de stimulation vaginale pour les mener à l’orgasme délivreur, qui allait enfin les apaiser, ces hystériques nymphomanes. Tiens, paf, prends-toi quelques coups de bite, ça va te calmer ! (En gros.)
Non.
Si on devait voir un côté positif à la chose, on pourrait avancer qu’au moins, elles avaient enfin un orgasme. Mais ça ne tient pas, ne serait-ce que parce que ces séances médicales étaient loin d’ôter toute notion de culpabilité au plaisir féminin… Au contraire, dans cette société prude, seules les femmes issues d’un milieu aisé pouvaient prétendre à de telles séances, et elles demeuraient strictement confidentielles.
Au lieu de soulager ces femmes plongées dans un mal-être profond, devoir recourir à des méthodes considérées comme honteuses ne devait pas les aider côté estime de soi. N’est-ce pas effrayant à quel point on a su faire du plaisir charnel la source de nos pires troubles et déchirements mentaux ?
Le godemichet d’aujourd’hui, vers l’infini et au-delà
Fort heureusement, le godemichet n’est pas resté un objet froid et médical, et source de honte. Après la révolution industrielle, la révolution sexuelle a commencé à gronder ! C’est à partir du 20ème siècle que les choses se sont remises à bouger, avec l’arrivée de l’électricité dans les foyers, permettant au vibromasseur d’en bénéficier à son tour et de moins ressembler à un moteur à vapeur.
Vers les années 1930, on a fait des progrès significatifs dans le traitement des maladies sexuellement transmissibles, ne serait-ce qu’en s’intéressant à la question et en bossant sur les moyens de contraception et leur diffusion. Le préservatif est passé au latex, et non seulement c’était bien plus attrayant, mais cette matière a également inspiré l’industrie du sex-toy, qui a pété le feu dans les années 1950. Le grand moment du godemichet était enfin arrivé.
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Et quand je dis grand moment, je ne m’arrête pas à la multitude de formes, couleurs et fonctionnalités qu’il a pu prendre. Aujourd’hui, posséder un godemichet est loin d’être chose rare, et jouer avec, seul-e ou à deux, encore moins. Même si un petit groupe d’irréductibles emmerdeurs nous ressasse encore, parfois, que la masturbation c’est sale.
Bonjour Ulysse.
N’en déplaise aux emmerdeurs en question, le godemichet est devenu un objet d’émancipation, de libération sexuelle. Oui, cette chose incongrue aux airs de concombre a traversé les siècles avant de devenir socialement acceptable ! Voilà qui me paraît beaucoup d’effort pour laisser les gens se faire un peu plaisir dans l’intimité…
Pour aller plus loin…
« Le sexe dans tous ses états », Hors-Série Sciences Humaines « The History Of Female Sex Toys: From Early Dildos To Rampant Rabbits », une infographie du Huffington Post L’Érotisme masculin dans la Rome antique, par Thierry Éloi
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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