Et si, au lieu de parler de fantômes ou de gens fous, on dénonçait un système qui n’a fait qu’une bouchée de ses jeunes acteurs au nom de l’appât du gain ?
Construit en trois parties, le documentaire Glee : gloire et malédiction (The Price of Glee en anglais) retrace la descente aux enfers d’une série diffusée entre 2009 et 2015 qui sera allée trop loin, trop vite vers le sommet, au point de se brûler les ailes dans un paroxysme de violence encore difficile à croire des années plus tard.
Glee : Gloire et Malédiction est principalement centré sur la trajectoire des trois membres du casting ayant connu un sort atrocement tragiques : Cory Monteith, mort à 31 ans d’une overdose, Mark Salling, retrouvé pendu à l’âge de 35 ans, après son arrestation pour possession d’images de pornographie infantile ainsi que Naya Rivera, retrouvée noyée à l’âge de 33 ans.
Grâce à de témoignages édifiants, des images d’archives et des informations longtemps restées dans l’ombre, le documentaire a surtout l’intérêt d’ouvrir de nouvelles perspectives sur une histoire tristement célèbre, nous permettant de l’envisager sous un tout nouvel angle.
Et si, plutôt qu’une affaire de malédiction ou de fantômes, l’enfer de Glee était dû à ce que le capitalisme a de plus violent ?
Au début, tout sourit à Glee
Ils sont beaux, jeunes, ambitieux talentueux. Ils vivent dans un monde où tout n’est que joie, chant et danse. L’histoire des débuts de Glee est tout aussi idéale que l’univers de la série. Portée par des acteurs inconnus, la série a rencontré un succès démesuré dès son lancement. Ce ne sont pas moins de 9 millions de spectateurs qui regarderont le pilote en mai 2009, ce chiffre atteignant rapidement 20 millions pour les premiers épisodes de la série.
Au début, le sort était loin de s’acharner contre Glee. Bien au contraire, le timing était heureux puisque la série a joui d’un changement historique : l’explosion de twitter et de Facebook, qui a atteint les 250 millions d’utilisateurs l’année de la sortie de la première saison. Les fans de Glee sont parmi les premiers à avoir suivi leurs idoles sur les réseaux sociaux, partageant du contenu sur la série, étendant ainsi son succès et son influence bien au delà de la petite lucarne. Quoi de mieux pour un programme dont le concept pourrait aujourd’hui être comparé à celui de TikTok – on prend des chansons aussi célèbres que diversifiées pour contenter tout le monde, on remet au gout du jour des titres moins connus et on danse.
Avant-gardiste, la série s’est aussi très vite démarquée par son inclusivité. Au lieu d’être reléguées au second plan, les femmes, les personnes racisées, LGBT ou encore handicapées de Glee sont représentées et célébrés dans des séquences folles de créativité et d’émotions, comme celle où des joueurs de foot interrompent un match pour chanter du Beyoncé, ou qu’un chœur de personnes sourdes chante Imagine de John Lennon en langue des signes.
Quelques dizaines de millions de dollars de plus… Mais à quel prix ?
Face à un tel succès, les acteurs de Glee sont devenus les victimes d’un système en quête d’une gloire et d’une rentabilité toujours plus dévorantes… Et destructrices. À ces jeunes acteurs propulsés au rang de star, on a demandé l’impossible.
Le documentaire évoque des journées de travail qui duraient de 4 heures du matin à 18 heures. Quand ils ne répétaient pas, ils tournaient, ils apprenaient des chansons. Quand ils n’apprenaient pas de textes, ils enregistraient un album, ou partaient en tournée pour des spectacles. Souhaitant étendre le phénomène et amasser quelques millions de plus, le créateur de la série Ryan Murphy a mis en place les spectacles Glee (intitulés Glee Live ! In Concert !), qui se jouaient tous à guichets fermés.
La tournée de 2011 a engrangés plus de 40 millions de dollars grâce à 31 spectacles, joués dans 21 villes. On le rappelle : ces 31 spectacles sont assurés par de jeunes acteurs, qui ont déjà une série de comédie, de danse et de chant à tourner.
Glee est une incarnation de la violence du capitalisme
Si le documentaire privilégié ton intimiste (on découvre notamment de nombreuses images de Naya Rivera enfant, tandis que c’est principalement le meilleur ami de Cory Monteith qui est interrogé à propos de ce dernier), il vaut surtout pour les moments où il évoque les exigences de la production. C’est ce que l’on retiendra le plus de Glee : Gloire et Malédiction.
Au-delà de leurs problèmes personnels, d’addiction ou encore de santé mentale, les membres du casting de Glee ont été déphasés du reste du monde, poussés jusqu’aux limites de la productivité, de la performance et c’est indéniablement ce qui aura participé à leur perte.
S’ils étaient en couple entre eux plutôt qu’avec des personnes extérieures, c’est parce qu’ils vivaient coupés du reste du monde à cause du travail, de la fortune et de la célébrité. L’une des images les plus marquantes du documentaire est sans doute celle d’un tunnel de fortune construit sur les quelques mètres séparant les coulisses et le plateau de tournage, pour que les acteurs ne soient pas assaillis de fans, qui allaient parfois jusqu’à les agresser.
Ce tunnel apparaît comme une métaphore de ce que sont devenues leurs existences : plus la série devenait énorme, plus ils disparaissaient.
Glee est devenu un système fondamentalement malsain : enfermés sur eux-mêmes, incités à devenir des concurrents dans une série comptant 17 stars, les acteurs s’aimaient, se détestaient et se déchiraient. De quoi alimenter leur surexposition sur les réseaux sociaux, créer du buzz et des potins sur des histoires d’amour ou de rivalité, et brouiller encore plus les pistes entre la série et la vie privée.
Dans ce contexte de trouble entre la vie réelle et la fiction, il est glaçant de se rappeler que Ryan Murphy a souhaité continuer la série après la mort de Cory Monteith et tuer le personnage de Finn, alors même que plusieurs acteurs étaient contre cette idée. Une décision que Murphy a annoncé regretter presque 10 ans plus tard, en 2022…
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