Girlfriend dans le coma est une chanson des Smiths, mais également un très joli roman de Douglas Coupland. Après une oeuvre qui a marqué le grand public (avec son roman Génération X), Coupland se penche une fois de plus dans son livre sur les adolescents, un de ses thèmes de prédilection. D’apparence assez simple, ce livre révèle en réalité l’un des grands talents de l’écrivain : décrypter le temps qui passe et l’évolution des gens. L’histoire peut paraître très fantaisiste : une jeune fille de 17 ans, Karen, tombe dans le coma lors d’une soirée. Elle se réveille 17 ans plus tard et retrouve ses amis ainsi que son petit-ami de l’époque, Richard. Problème : la fin du monde semble proche…
Un traitement spécial de l’apocalypse
La fin du monde est très présente dans tout le livre. Avant de tomber dans le coma, Karen a écrit une lettre à Richard pour lui dire qu’elle a vu des fragments de l’avenir, et qu’elle préfèrerait dormir plusieurs siècles afin d’échapper à ça. A son réveil, des signes montrent que la fin du monde est sur le point d’arriver. Celle-ci arrive bien, avec tout son lot d’angoisse, de peur et d’espoir. Néanmoins, contrairement à de nombreuses fins du monde, celle-ci aura une tournure quelque peu spéciale à la fin du roman. Plus qu’une fin, l’apocalypse est ici vue comme un renouveau, voire un réveil. En vivant cette fin du monde, les personnages sont en réalité sortis de leur innocence, de leur léthargie.
Une métaphore de l’adolescence
Les héros du livre sont montrés à deux temps : premièrement à l’adolescence, avant le coma de Karen. Le lecteur les retrouve 17 ans plus tard, à son réveil. Entre temps, ceux-ci ont trouvé du travail et « une vie ». Néanmoins, aucun n’a réellement évolué
: Richard vit comme un éternel adolescent, Wendy n’est pas heureuse dans sa carrière ni réellement amoureuse de son compagnon… Karen, une fois réveillée, reste une adolescente de 17 ans dans le corps physique d’une femme de 34 ans. Finalement, tous les personnages sont à l’effigie de Karen : des adolescents piégés dans des corps d’adultes. Aucun n’est pleinement satisfait de sa vie et reste bloqué sur des étapes marquantes de l’adolescence : la mort brutale d’un de leurs amis (Jared, mort d’une leucémie), le coma de Karen, et la désillusion du passage adulte (à laquelle nous sommes tous confrontés). Ces adultes encore trop jeunes dans leur tête n’ont, pendant 17 ans, pas réellement évolué. Grâce à son héroïne qui se réveille après 17 ans de coma, Coupland parvient à nous montrer une certaine idée de l’adolescence : une période dont il est difficile de se détacher, mais surtout une période où tous les espoirs sont permis mais difficilement réalisables. La fille de Karen et Richard, âgée de 17 ans,est une nouvelle « preuve » de cet âge charnière : elle aussi va tomber enceinte au même âge que sa mère, flottant entre une innocence normale à son âge et des responsabilités d’adulte qu’elles tente de gérer. C’est donc avant tout un livre initiatique, essayant de nous traduire le difficile passage entre deux âges, entre deux modes de vie.
Un roman poétique
On remarque dans le romans quelques passages relativement poétiques et oniriques, autrement dit touchant aux rêves. L’un des plus touchants est la rencontre, via le rêve de Richard et le coma de Karen de ces deux amoureux séparés. Ils se retrouvent, dans leur inconscient, sur la Lune. Cette lune n’est pas pleinement découverte : elle est bosselée, se cache, puis elle va finalement les séparer. Ces retrouvailles nous montrent combien il est difficile de s’accrocher à la réalité, à des valeurs terrestres alors que tout évolue si vite. Richard ne semble pas grandir (il reste, une fois adulte, encore plein d’espoir envers Karen, et surtout amoureux) et souhaite rêver de Karen. Karen, elle, en ayant « espéré » plus tôt dormir pendant des siècles pour éviter de voir le monde s’enlaidir, réalise le rêve de milliers de personnes : celui de fuir ses problèmes en mettant la tête dans un trou, en l’occurrence ici l’oreiller. En se réveillant dans un monde dont elle ne comprend plus les codes (la technologie a beaucoup avancé en 17 ans), Karen illustre un malaise bien courant : celui de ne savoir à quoi se raccrocher, à ne pas savoir s’ancrer. Ainsi, en se retrouvant sur la Lune, les deux amoureux « s’ancrent » ailleurs, là où le monde terrestre n’a plus d’importance.
C’est donc un roman qui semble partir dans de nombreuses directions (beaucoup de personnages et d’événements différents) mais qui rejoint en réalité une « seule » vérité : celle du temps qui passe. En adoptant plusieurs styles (onirisme, science-fiction, roman d’amour ou d’initiation), Coupland réussit néanmoins à insuffler au lecteur la volonté d’aller plus loin que son nombril adolescent : la volonté, peut-être, de comprendre la vie d’adulte. Estampillé un peu à tort comme un livre pour les jeunes, c’est en fait un livre assez riche de sens pour être lu par tout le monde. N’hésitez surtout à à y jeter un coup d’œil si vous tombez dessus.
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