Mardi 9 mai, Marion Maréchal-Le Pen a annoncé son retrait de la vie politique. Elle a expliqué sa décision dans une lettre, citant divers facteurs.
D’une part, le fait qu’elle avait l’impression que chaque action qu’elle menait serait interprétée comme une guerre avec sa tante, Marine Le Pen.
D’autre part, elle a exprimé l’envie de se faire une expérience en entreprise. Et aussi, celle d’avoir davantage de temps à consacrer à sa fille.
Défendre Marion Maréchal-Le Pen ?
Bon. On a la base, et maintenant je l’annonce : je m’apprête à me livrer à une expérience pas agréable. Mais nécessaire.
Je vais, dans cet article, défendre les femmes politiques victimes de sexisme en général, en utilisant le cas particulier de Marion Maréchal-Le Pen.
Parce que je serais hypocrite de lutter contre le sexisme en politique, tout en regardant ailleurs lorsque ce sont mes adversaires politiques qui en sont victimes.
Et oui, suite à l’annonce de son retrait de la vie politique, Marion Maréchal-Le Pen a essuyé plusieurs commentaires sexistes, venant de son propre camp.
Alors je vais prendre sa défense, non pas d’elle et de ses idées, mais de la députée et de la mère de famille, au nom de toutes celles qui cumulent cette double casquette et qui ont eu à entendre les mêmes critiques.
La défendre est d’autant plus douloureux que Marion Maréchal-Le Pen elle même est loin d’être une féministe, puisqu’elle pousse des idées anti-choix, anti-Mariage pour tous, puisqu’elle est hostile au planning familial et j’en passe.
Mais je tiens à attaquer ses idées, et pas à la discréditer en raison de son genre.
Je vais donc prendre « sa » défense en quelque sorte, malgré le fait que les commentaires sexistes qu’elle endure… Viennent de son propre camp.
Gilbert Collard, nouvel exemple du sexisme en politique
Quand faut y aller, faut y aller alors venons en aux faits : interrogé sur le sujet au micro de France Info, Gilbert Collard a réagit à l’annonce de Marion Maréchal-Le Pen en rebondissant notamment sur l’aspect familial :
« Je l’ai vue dans ses difficultés avec sa fille. J’ai même été obligé, une fois, de monter à la tribune à sa place parce qu’elle avait reçu un coup de fil lui disant que sa fille était malade et qu’il fallait qu’elle parte d’urgence.
Je l’ai vue certains matins qui n’avait pas dormi parce que sa fille avait une rage de dents.
J’ai donc moi réellement vécu les problèmes de maman qu’elle avait avec sa fille. »
Et lorsque le journaliste lui demande s’il veut dire que ce n’est pas compatible avec une vie politique, Gilbert Collard répond le plus naturellement du monde :
« Ça dépend de l’intensité d’amour qu’on a pour ses enfants. »
Je. Bon. J’avais prévenu : voici une – nouvelle – très bonne illustration du sexisme du monde politique français, et peut-être en particulier de celui du Front National.
À lire aussi : Le Front National contre les droits des femmes, S94E27
Le syndrôme de la « mauvaise mère »
Ce qui est le plus saillant ici, c’est le coup classique de la culpabilisation des femmes qui sont mères et parlementaires à la fois, ou en général de celles qui ont choisi de mener une carrière en parallèle de leur vie de famille.
La rhétorique est implacable (non) : si tu aimes tes enfants, tu restes à la maison pour t’en occuper, voyons !
Alors, si on prend le message au pied de la lettre, pourquoi ne pas l’appliquer aux hommes aussi ? Si vous aimez vos enfants messieurs, choisissez-les plutôt que votre carrière !
C’est marrant, un paquet d’hommes ne doivent pas aimer leurs enfants du coup, à en juger par la proportion d’hommes aux postes de pouvoir… comparée à celle des femmes, effectivement. Pères indignes !
À moins que. À moins que cette injonction ne soit réservée qu’aux femmes ? À moins que seules les mères aient besoin de se consacrer entièrement à leur progéniture pour lui prouver leur amour ?
Que les hommes en soient dispensés, mais qu’il soit inconcevable pour une mère d’aimer ses enfants ET d’avoir envie en de se consacrer également à une activité professionnelle intense ? (Une passion sportive, un engagement politique, insérez ici tout projet différent de la maternité).
Faire peser l’entière responsabilité de l’éducation des enfants sur les femmes, revient à masquer complètement le problème de fond : celui du partage de la garde des enfants (et des tâches domestiques en général), celui du manque de places en crèches, celui des congés parentaux qui sont encore quasi-exclusivement pris par des femmes, celui du frein à l’embauche qui tourne autour de la « menace planante » d’une grossesse…
Et on y ajoute le poids de la culpabilité lorsque des femmes parviennent tout de même à franchir toute les haies précédemment citées, en plus de celles qu’elles rencontrent en politique au quotidien.
J’ai le sentiment qu’on nous bassine avec ce préjugé moralisateur vieux comme le monde :
« Toi qui ose essayer de t’affranchir de ton rôle au sein du foyer, tu es forcément une mauvaise mère. »
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Les « problèmes de maman » qu’on continue de laisser aux mamans…
Passée cette colère-là, j’ai envie de m’arrêter sur un autre aspect du discours de Gilbert Collard : eh les filles, on peut être rassurées hein, il sait ce qu’il dit.
Eh oui parce que lui, il a « réellement vécu les problèmes de maman qu’elle avait avec sa fille ».
C’est plus qu’en être le témoin, il a même été obligé de monter à la tribune la remplacer, nous dit-il !
Ce qui me pose problème ici, c’est l’observation passive qu’il fait des « problèmes de maman » qu’a pu rencontrer Marion Maréchal-Le Pen.
Comme si c’était là une réalité intangible, que pas un instant on ne pose la question : pourquoi est-ce aussi souvent la maman qu’on appelle ?
Je ne connais pas la situation personnelle de Marion Maréchal-Le Pen, la question mérite d’être posée en général. Il n’y a rien de « normal » à ce que ce soit systématiquement la maman qu’on appelle en premier…
Et compatir avec « les problèmes de maman » ne change pas la donne, à savoir : ils restent des problèmes… de « maman ».
C’est encore loin, le progrès ?
Tout ça au fond me rappelle un certain Laurent Fabius au moment de l’investiture de Ségolène Royal pour l’élection présidentielle de 2007. Elle était alors la compagne de François Hollande.
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Tous les deux avaient des responsabilités politiques à l’époque, mais cette investiture avait amené Laurent Fabius, amer, à poser une question dont on se serait bien passé :
« Mais qui va garder les enfants ? »
Britney veut savoir !
Il faut croire que 10 ans après, on n’a pas bougé d’un iota. Être femme politique et mère à la fois semble toujours aussi inconcevable pour certain•es. En tous cas, « ça dépend de l’intensité d’amour qu’on a pour ses enfants », y paraît. Cimer Gilbert.
Enfin, ça, c’est en France. Car ailleurs, visiblement ça peut se faire très bien. En témoigne cette parlementaire australienne qui a allaité son bébé au parlement il y a seulement deux jours.
Fou : cette femme allaite son bébé tout en exerçant une activité professionnelle, et l’équilibre de l’univers n’a pas été bouleversé ?! Incroyable.
« Si fière que ma fille Alia soit devenue le premier bébé à être allaité au Parlement ! Il faut plus de femmes et de parents au Parlement »
Vivement qu’en France aussi, on puisse être une femme politique et avoir une vie de famille à la fois, sans être renvoyées à cette image de mère indigne.
PS à Marion Maréchal-Le Pen : le féminisme, la lutte contre le sexisme, ça sert notamment à pouvoir être mère ET députée sans que des gros lourds viennent vous reprocher d’être une mère indigne ou manquer de professionnalisme quand vous avez l’audace de cumuler les deux.
L’accès à la contraception et le droit à l’avortement servent aussi, pour les femmes, à garder la maîtrise de leur corps, de choisir si et quand elles veulent devenir mère, en toute liberté. Faire des choix que le reste du monde est prié de respecter.
À bon entendeur…
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Les Commentaires
Mais quand bien même Je ne suis pas fâchée de la voir partir, tenir de tels propos (en même temps est-on surpris quand on sait de la bouche de qui ils proviennent ?) à son encontre uniquement parce que c'est une femme reste sexiste ! Big up @Esther pour cet article si juste !