Dans la vie, il y a des rencontres qui tiennent à peu de choses. Ma rencontre avec Abd Al Malik a été retardée de plusieurs mois. En février dernier, on m’avait vendu le disque et l’artiste comme "un gars qui fait du slam"… Moué. Premier réflexe (stupide) de ma part : ça y est, les ersatz de Grand Corps Malade débarquent. Et pourtant… Abd Al Malik est tout sauf un ersatz de qui que ce soit. Récit d’une découverte… 6 mois plus tard.
Avant de parler de l’album, parlons du personnage : Abd Al Malik a 30 ans, français d’origine congolaise, ayant grandi dans une cité strasbourgeoise. Un parcours en dents de scie : bon élève en classe, ayant fait pas mal de conneries avant de décider de s’en sortir… par la culture. Converti au soufisme, Abd Al Malik fait partie de cette clique de rappeurs qui a décidé de faire passer ce message : rap et hip-hop ne riment pas forcément avec grosses caisses thunées, orgies de nanas en strings (et plus si affinités), grosses bagouzes et paroles au choix haineuses et/ou lubriques.
Disons-le de suite : sauf quelques exceptions, le rap, c’est pas ma tasse de thé. Par contre, Gibraltar m’a séduit dès les premières notes. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il est réducteur de parler de "rap" quand on parle de l’oeuvre d’Abd Al Malik. Oui, c’est clair : Gibraltar risque fort de bouleverser le paysage du rap français et d’inspirer bon nombre de jeunes rappeurs en devenir. Une sorte de nouvel étalon en terme de qualité dans le milieu.
Musicalement
Musicalement, le mélange de paroles façon slam sur fond de piano, d’accordéon, de batterie est vraiment étonnant. Abd Al Malik a pris le pari osé de revenir aux origines de la musique afro-américaine (Gibraltar sent bon le blues) tout en y posant sa touche : il a collaboré notamment avec Gérard Jouannest et Marcel Azzola, qui ont autrefois travaillé avec Jacques Brel, référence absolue pour le jeune chanteur (d’ailleurs, Les Autres est une version revisitée de Ces gens-là de Brel).
Pour agrémenter son flow tranquille, il a également emprunté des samples soigneusement choisis à de nombreux artistes : Nina Simone, Keren Ann, Fairuz, Ziad Rahbani, Jean Ferrat… Wallen a été conviée à poser sa jolie voix dans un titre Adam et Eve, qui raconte une histoire d’amour comme seul le début du XXIème siècle peut en faire. Musicalement, une grande réussite, donc.
Sur le fond
Mais la vraie force de cet album, c’est ce qu’il raconte. Gibraltar, c’est la grande tarte : Abd Al Malik passe en revue de façon très personnelle des sujets qui vont de la vie quotidienne d’un jeune musulman en France (12 septembre 2001), à l’actualité et un point de vue sur la société française (Le grand frère et l’explosion du DC10 d’UTA, Saigne l’histoire d’une bavure policière), en passant par des témoignages du quotidien (Il se rêve debout, La gravité qui est l’une de plus belles chansons de l’album), de son quotidien passé ou actuel (Les autres, Soldat de plomb, L’alchimiste, Mourir à 30 ans…) ou des réflexions qui valent la peine sur sa "condition" d’artiste (M’effacer, Céline).
Son point de vue, ses mots, son message de paix, de tolérance et sa fierté d’être français méritent le détour, peu importe d’où tu viennes, qui que tu sois, quoi que tu fasses dans la vie. Il FAUT écouter Abd Al Malik, même si, comme moi, tu as grandi pour une petite bourgade tranquille, à des années-lumière de sa cité.
Comme un Jamel Debbouze mais dans un autre style, Abd Al Malik n’a pas peur d’élever le niveau, ce qui l’amène à citer au détour de 12 septembre 2001 "les trois D" : Deleuze, Derrida et Debray. Tu ne sais pas qui c’est ? A ton Google. Elève le niveau, boudiou.
Si tu cherches un CD à écouter en musique de fond, passe ton chemin. Gibraltar mérite que tu colles des écouteurs sur tes oreilles, que tu prennes un moment pour faire attention aux paroles, aux messages délivrés par la voix colorée d’Abd Al Malik. Gibraltar mérite que tu l’entendes.
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Les Commentaires
J'ai vu plusieurs interviews, j'aime bien ces idées, et je le trouve... intelligent.