À Gérardmer, au coin d’un hôtel embrumé, il ne serait pas étonnant de croiser Dale Cooper ni même la Dame à la bûche, un peu plus haut sur la colline.
Car la ville a de faux airs de Twin Peaks.
Le festival de Gérardmer et ses petites habitudes
Cette petite ville qui dort dans les montagnes accueille chaque année, dans un brouillard épais, le festival international du film fantastique.
Un évènement pour les riverains comme pour les festivaliers, venus hurler devant le grand écran de l’espace Lac tels des loups-garous à la lune.
Dans les salles de cinéma et aux bars d’à côté, les professionnels côtoient les amateurs, et c’est dans une ambiance de colo que tous et toutes débattent !
Quand ils défendent ou assassinent un film dehors, leur souffle produit de la vapeur dans la nuit.
Oui, il fait froid en février à Gérardmer.
Un froid dont on parle du matin au soir sans jamais se fatiguer. Peut-être parce qu’on est encore mieux dans une salle de cinéma quand on s’est bien gelés avant !
Pour voir les films, on fait la queue dans la neige, un café brûlant à la main, pour se remettre de la cuite de la veille.
Il faut dire qu’ici on lève bien le coude, y compris les présidents du jury Benoit Delépine et Gustave Kervern, qui ne manquent jamais l’occasion d’en faire une bonne blague et de rendre hommage aux tenanciers de bars locaux.
Les deux amis ont présidé comme ils créent : avec impétuosité et malice.
Les jurys du festival de Gérardmer 2019
Sous leur égide, Astrid Bergès-Frisbey, Marie-Gillain,
Yann Gonzalez ont assisté à toutes les projections avant de rendre leur verdict dimanche soir.À leurs côtés dans cette mission, il y a aussi le jury SyFy, le jury jeune et le jury de la critique.
Chacun des comités sélectionne le film qu’il juge le meilleur. Et tant qu’à faire, ça se décide autour d’une fondue et d’une bonne bouteille de Brouilly.
Cette année, j’ai eu l’honneur de faire partie du jury de la critique avec des confrères journalistes.
Philippe Rouyer (Positif, Le Cercle de Canal+), Bruno Icher (membre du comité de sélection de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes), Stéphanie Belpêche (Le JDD) et Philippe Guedj (Le Point pop) ont été mes camarades de la semaine.
Un certain fossé générationnel nous sépare et pourtant, l’ambiance de colonie de vacances est bien là.
Dans la voiture, les avis se cognent, mais avec bienveillance, la même d’ailleurs que celle dont notre bon président Philippe Rouyer fait preuve avec ses poulains !
Lui, c’est un passionné. Un vrai de vrai qui a le mot élégant même lorsqu’il parle trop fort. Philippe donne son avis sans dévaluer celui des autres, écoute et challenge son jury, qu’il paterne sans le couver.
Notre joyeuse troupe a dévoré autant d’images que de fromages fondus, avide d’en voir plus, pour trouver LE film.
Les films primés à Gérardmer 2019
Tout y est passé : un escape game mortel, des gamins monstrueux, un type qui change de corps tous les jours, la troisième guerre mondiale, une dérive éternelle dans l’espace, une Lucy sud-coréenne, des zombies véganes, des vampires qui se castagnent au sabre, une télé très méchante et des marionnettes nazis.
Un programme riche en diversité, dans lequel chacun et chacune a pu trouver son compte.
Au moment des délibérations du Jury de la Critique, deux films se sont distingués, mais un seul a bien sûr triomphé.
Voilà au passage le palmarès complet du festival dominé par la création suédoise The Unthinkable, qui a remporté pas moins de 3 prix.
- Grand Prix : Puppet Master : The Littlest Reich de Sonny Laguna et Tommy Wiklund
- Prix du Jury ex-aequo : Aniara de Pella Kagerman et Hugo Lilja et The Unthinkable de Crazy Pictures
- Prix de la critique : The Unthinkable de Crazy Pictures
- Prix du jury Syfy : The Witch de Park Hoon-jung
- Prix du jury jeunes : The Unthinkable de Crazy Pictures
- Prix du public : Puppet Master : The Littlest Reich de Sonny Laguna et Tommy Wiklund
Crazy Pictures, un collectif inspirant
J’ai pu interviewer l’équipe de The Unthinkable, composée d’amis d’enfance faisant partie pour la plupart du collectif Crazy Pictures. Un groupe de jeunes gens qui façonnent le cinéma de A à Z, de son idée à sa conception.
Ils font tout eux-mêmes : l’écriture, la réalisation, le montage, la musique, les effets spéciaux etc.
Au départ, The Unthinkable c’est une idée rendue possible grâce au lancement d’un Kickstarter. Et puis, grâce à d’autres financements, l’équipe a réuni 1,8 million d’euros, ce qui est peu pour parvenir au résultat actuel.
Pourtant, le film use et abuse de scènes d’hélicoptères impressionnantes et de plans superbes sur des arbres dont la cime est en feu.
« En fait, ce sont surtout des images de synthèse. Parfois aussi, on a bossé avec des maquettes. »
Le résultat est bluffant. Le film a d’ailleurs l’air beaucoup plus cher que certains autres, qui ont coûté plus d’argent.
Aux côtés de The Unthinkable, ce sont Aniara, Puppet Master : The Littlest Reich et The Witch qui ont été primés.
Gérardmer 2019, un festival humaniste
Dimanche soir, lors de la cérémonie de clôture, les différents jurys se sont succédés sur scène pour remettre aux équipes des films gagnants un trophée tout simple.
Le diner qui a suivi était pantagruélique, et tout le monde s’est pressé autour des stands à huîtres, à foie gras et à poissons.
Après quelques coupes de champagne, l’atmosphère s’est réchauffée, devenant propice aux confidences.
Autour des grandes tables en partie éclairées à la bougie, les réalisateurs ont donné des secrets de tournage à des journalistes ravis.
Je vais faire des films !
J’ai profité de cette proximité avec celles ceux qui façonnent le cinéma pour me donner de nouveaux objectifs.
Je vais faire des films, moi aussi. Des courts métrages pour commencer, et peut-être même un long, un jour.
L’équipe suédoise Crazy Pictures m’a appris qu’il est possible de tout faire soi-même, pourvu qu’on y croit un peu, et qu’on travaille beaucoup.
Les personnalités inspirantes de Gérardmer 2019
Porteurs d’un message positif encourageant la débrouillardise, ces jeunes ont fait fureur à Gérardmer, et ils n’ont pas été les seuls.
Invité d’honneur, l’acteur Uko Kier (Suspiria, Du sang pour Dracula, My Own Private Idaho, Histoire d’O etc) a fait le show juste avant la projection de Puppet Master : The Littlest Reich, dans lequel il joue.
Marchant d’un bout à l’autre de la scène, ses yeux bleus fixés sur l’auditoire, il a raconté ses débuts d’acteur, ses amitiés avec les plus grands, et a fait rire la salle, déjà charmée avant même qu’il n’arrive.
Avant lui, Yann Gonzalez a rendu un hommage vibrant à ce « mage de la marge », dans un texte aussi puissant que les films qu’il pétrit (Les rencontres d’après minuit, Un couteau dans le cœur).
Après cette cérémonie, les festivaliers ont parlé longtemps de l’hommage de Yann Gonzalez, et de la classe d’Udo Kier.
Gérardmer 2019, festival humaniste
Le pessimisme et la résignation face à notre monde qui va de mal en pis ont été le fil rouge de la compétition, mais c’est l’humanisme qui a fait les temps forts de Gérardmer 2019.
Si la question « l’homme est-il un monstre ou le monstre un homme » posée par Justin P. Lange, réalisateur du film en compétition The Dark, peut paraitre d’actualité, surtout dans The Unthinkable, la monstruosité est en tout cas absente de Gérardmer, ville lumineuse même en plein brouillard…
Vivement l’année prochaine !
À lire aussi : Le palmarès du festival du Film Fantastique de Gérardmer
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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