Aujourd’hui c’est la commémoration du centenaire du génocide arménien perpétré par la Turquie entre 1915 et 1923. François Hollande a prononcé un discours à Erevan, à lire dans l’article Le génocide arménien, 100 ans après — Je veux comprendre.
Cet anniversaire est d’autant plus sombre que, comme l’expliquait Léa Bucci,
« Les Arménien•ne•s estiment qu’1,5 million des leurs ont été tué•e•s. Aujourd’hui encore, le bilan des victimes de ces événements tragiques est imprécis. Tous les pays n’ont pas reconnu ces massacres comme un génocide : aujourd’hui, ils ne sont que 23 dans le monde, dont la France. Le dernier à l’avoir fait est la Syrie, en mars dernier. »
Des madmoiZelles d’origines arméniennes nous ont apporté leurs témoignages sur le génocide dans leurs familles, comment il a influé sur leur propre construction, et la façon dont elles aimeraient qu’on en parle.
Une douleur transmise de génération en génération
Gabrielle G-M tient tout d’abord à préciser ses liens avec l’Arménie :
« Je souhaiterais contextualiser ma situation familiale. Car aujourd’hui, la majorité des descendan-te-s des rescapé-e-s sont des personnes « d’origine » arménienne. Nous faisons partie de la diaspora et nous soutenons du mieux que nous le pouvons le pays arménien, mais nous sommes avant tout des Français-es (et/ou autres) et nous souhaitons être considéré-e-s comme tel-les.
Ainsi, je suis « arménienne » à ¼ de par mon grand-père maternel, qui est lui-même né en France de deux parents arméniens rescapés du génocide.
Ma mère a conservé des liens forts avec des cousins arméniens vivant en Arménie. La situation du pays étant difficile, nous les aidons financièrement. Mais nous aidons également le reste de la population : la diaspora arménienne dans le monde est la principale source de revenu de l’État arménien… Nous ne sommes pas arméniens, mais nous sommes les derniers fragments d’une civilisation en train de s’éteindre progressivement au profit d’entités qui ont fait de notre culture un champ de mort(s). »
Nathalie raconte quant à elle comme elle a découvert ses origines, et le génocide qui les marque :
« Dès mon enfance, j’ai commencé à questionner mes parents après m’être fait traiter de « sale arabe ». Je me posais beaucoup de questions sur ma différence à travers mon physique « typé » et mon nom finissant par -ian. Pendant toutes ces années, mon père né à Marseille de parents arméniens rescapés du génocide, était quasi muet tant le sujet est lourd.
Il n’y avait pas de communication sur la question, je me rappelle simplement de la sensation de ne pas être d’ici et pas comme les autres…
Je me rappelle que mon arrière grand-mère Balian me parlait dans une langue que je ne comprenais pas et qu’elle me serrait dans ses bras avec une telle intensité que je retenais ma respiration. Je me rappelle du bruit des deux machines à coudre sur lesquelles mes grand-parents travaillaient chaque jour sans relâche pour élever leurs sept enfants dont mon père. Je me souviens des plats préparés par ma grand-mère. Je la revois dans sa cuisine préparant les beureks et baklavats en boxant la pâte dans une bassine… et toutes les spécialités qui ravissaient mes papilles.
C’est ma mère française qui m’a informée à partir de ce qu’elle sait. Ma grand-mère Balian était originaire de Konya, issue d’une famille d’artisans orfèvres et bijoutiers, mon grand père Sevikian était de la région d’Adana ; ils sont tous les deux arrivés à Marseille en bateau.
Je n’ai pas été bercée par la langue arménienne car mon grand-père avait imposé que seule la langue française soit parlée car il fallait s’intégrer, faire profil bas dans le pays d’accueil. Ma grand-mère parlait ainsi arménien avec sa mère en cachette… Pendant toute mon enfance, j’ai éprouvé de la culpabilité, et j’ai été assez isolée. Pour moi, nous avions dû faire quelque chose de très mal pour avoir fui le pays.
Malgré l’importante communauté arménienne à Marseille, nous n’avions aucun lien avec d’autres Arménien•ne•s, toujours dans un souci d’intégration imposé par le grand père, et je pensais donc que nous étions tout seuls dans notre différence. […]
Ma vision a commencé à changer lorsqu’à 20 ans je suis partie aux États-Unis. On a continué à me poser la question de mes origines, surtout des Iraniens en exil qui me prenaient pour une Iranienne. Lorsque je disais que j’étais d’origine arménienne, ils me prennaient dans leur bras comme si j’étais leur cousine… Ils étaient tellement contents que j’ai fini par me dire que finalement, mes origines n’étaient pas une tare et que je devais en être fière. J’ai alors décidé que même si je me mariais, je garderais mon nom arménien qui représente mes racines.
C’est à mon retour des États-Unis que j’ai réussi à communiquer avec mon père sur le sujet.
Je ne comprends pas pourquoi mon grand-père nous a privés de notre patrimoine culturel. Je le vis comme une injustice. J’ai été coupée de mes racines. Je l’ai particulièrement regretté lorsqu’Henry Verneuil a fait appel à la communauté arménienne pour faire de la figuration dans le film Mayrig. J’ai participé aux scènes où des Arménien•ne•s débarquent des bateaux à Marseille. Les autres figurant•e•s s’adressaient à moi en arménien et je ne comprenais pas la langue, ce qui m’a extrêmement frustrée. J’ai ressenti des torrents d’émotion lorsque les femmes arméniennes se sont mises spontanément à chanter en arménien et que les figurants ont réclamé à Verneuil de s’adresser à eux dans cette langue.
Je tente malgré tout de comprendre la position de mon grand-père qui pensait bien faire en souhaitant s’intégrer à tout prix, quitte à renoncer à sa culture d’origine. Je comprends que c’est lié à une énorme souffrance, mais malgré le manque, la non pratique de la langue, je me sens arménienne et la souffrance m’a bien été transférée, je la porte en moi dans mon cœur et dans mes tripes. »
Janis a elle aussi appris graduellement la douleur dont ses origines sont imprégnées :
« Mon plus lointain souvenir à propos de l’Arménie, d’être Arménienne et ce que ça voulait dire, remonte à mes 5 ans quand mon père m’a expliqué quelles étaient mes origines et combien je devais être fière de celles-ci. C’est à ce moment que le sujet du génocide est venu ; il m’a raconté comment mes ancêtres, ma famille, avaient dû fuir face à l’armée turque. Il n’a pas employé de mots pour enfants, il m’a juste énoncé les faits tels qu’ils étaient.
Il ne l’a pas connu mais il en parle avec douleur, cet événement fait partie de lui comme de sa mère, ma grand-mère qui est née en France après la fuite de ses parents d’Arménie. Elle ne m’a raconté que plus tard comment sa tante, lors de l’exode, avait été retrouvé un matin par sa mère, morte, encore adolescente ; elle m’a raconté comment les femmes enceintes se faisaient éventrer, comment la moitié de ma famille avait disparu, toute l’horreur d’un génocide. »
Suzanne a également pris conscience petit à petit de l’histoire de sa famille :
« Je suis Arménienne depuis toujours et je vis en Belgique depuis mes trois ans. Mes parents ont fui l’Arménie un peu avant la chute de l’URSS pour s’installer ici. Nous étions la première génération venue d’Arménie à immigrer en Belgique. À l’école personne ne connaissait les Arménien•ne•s, personne n’en parlait et encore moins dans les cours d’histoire ou de géographie.
Je savais que j’étais loin de mon pays, mais à 4 ans je ne savais pas où il était, je pensais qu’il était sur la lune. La première fois que j’ai entendu parler du génocide arménien, c’était par le biais du film Mayrig, qui reste encore aujourd’hui l’un des plus beaux films pour moi, pour nous.
J’y retrouvais toutes les références de ma culture et quelques mots en arménien. Et la question qui restait pour moi un mystère : pourquoi tout le monde pleure quand le vieux monsieur raconte son histoire ? Les images étaient dures, il y avait du sang, mais il m’était impossible de comprendre ce qui causait tant d’émotion — difficile d’expliquer à une petite fille de cinq ou six ans ce que cela signifie.
Ce film m’a marquée au plus profond de moi, j’y ai reconnu la retenue des Arménien•ne•s face à un pays inconnu, ce besoin de se faire discret, de rester poli, de ne pas déranger les autres… Mes parents se comportaient de la même façon.
Quelques années plus tard on recevait des cassettes vidéos de sketchs fait en Arménie, l’un des seuls moyens de garder le contact avec notre pays, notre culture. Un des sketchs concernait le génocide — parce qu’on sait en rire aussi, gentiment, sans exagération. C’est dans ce sketch que j’ai appris la date fatidique de 1915. Étant plus âgée, j’ai demandé ce qu’il s’était passé et pourquoi tout le monde riait en voyant cet humoriste entrer dans un taxi et demander au chauffeur de l’emmener en Turquie pour combattre le génocide. Même le chauffeur riait : mais c’était en 1915 ça, t’es en retard mon vieux, descend de mon taxi.
Moi aussi j’étais en retard dans l’histoire de mon pays et ma culture, et j’en voulais à mes parents et à l’école de ne jamais en parler.
Plus tard les histoires des grand-parents sont arrivées, des ancêtres qui ont caché des enfants dans les entrailles de chevaux pour éviter que les Turcs ne les trouvent, d’une arrière-grand-mère qui avait le cou et la tête qui tremblaient tout le temps car elle avait été pendue puis sauvée…
L’école c’est important mais pas le 24 avril, non, ce jour là on ne va pas à l’école ; on va à l’église, on se retrouve entre nous, on s’habille bien, on achète des fleurs, on pleure, on fait le deuil ou du moins on essaye.
Il est vrai que le génocide ne fait pas partie de notre vie tous les jours mais il est là. On ne rate jamais une occasion d’en parler, de lire un article, de regarder un reportage, d’expliquer aux gens, de raconter notre histoire. Comme une blessure, un devoir de mémoire. »
Jenna a quant à elle toujours vécu en sachant :
« Je ne saurais dire à quel âge j’ai entendu ce mot pour la première fois. « Génocide ». Je l’ai toujours entendu. De la bouche de mes parents, de mes grands-parents. Aujourd’hui, la simple évocation de ce mot, dans les journaux, dans une conversation, à la radio, n’importe où, ravive en moi une plaie toujours ouverte. Pourquoi, puisque je ne l’ai pas vécu ? Puisque mes parents ne l’ont pas vécu ? Puisque mes grands-parents ne l’ont pas vécu ?
Parce que la blessure n’a jamais cicatrisé, et qu’elle a traversé un siècle sans que ce génocide n’ait jamais été reconnu en tant que tel par le gouvernement turc. Parce que sans reconnaissance, pas de réparation. Et sans réparation, pas de guérison. Pas de guérison tant qu’une partie de mes ancêtres ayant péri dans d’atroces souffrances, au même titre que plus d’un million d’arménien•ne•s, n’auront pas eu justice. Et la justice aujourd’hui, c’est entendre enfin « pardon ».
Quand on évoque le martyr arménien, on parle de guerre, de massacres. Or, lorsque l’on décide, au niveau étatique, l’éradication systématique de tout un peuple, femmes et enfants compris, ce terme de « massacre » est-il suffisant ? Est-il juste ? Non. Nier, c’est injurier la mémoire de nos morts.
L’histoire de ma famille diffère très peu de celle de beaucoup d’autres : fuyant le génocide, mes arrière-grands-parents ont réussi à fuir en France. Premier exode. Cela aurait pu être la Grèce, l’Italie, les États-Unis… Le destin a choisi un bateau français. Mes grands-parents voient donc le jour en France, ils y grandissent, ils y vivent. Mais au lendemain de la seconde guerre mondiale, la diaspora arménienne est conviée par la propagande stalinienne à revenir sur sa terre, à y retrouver ses racines, arrachées par le génocide. Nous sommes en 1947, et mes grands-parents suivent leurs parents en quête de cette terre promise. Deuxième exode.
Une fois sur place, l’utopie se transforme en déception, l’espoir s’efface et les larmes coulent. Le joug communiste est robuste, il est meurtrier, il emprisonne. Des dizaines d’années passées dans la peur, durant lesquelles le rêve d’une France passée se fera de plus en plus ténu. Mes grands-parents ont 20 ans, et ils rêvent. Ils rêvent de leur enfance heureuse, ils rêvent de cette France natale et ils vont en rêver jusqu’au jour où enfin ils parviendront à y revenir. Nous sommes dans les années soixante, mes parents sont adolescents, à leur tour de quitter une terre natale pour une terre promise. Troisième exode.
C’est donc en France que mes parents vont se rencontrer, c’est en France qu’ils vont s’aimer, c’est en France que je vais naître. Et que cette histoire va m’accompagner. »
Anaïs continue elle aussi de penser à ce que sa famille a vécu :
« Née d’un père d’origine arménienne et d’une mère d’origine française, j’ai eu la chance de grandir dans une famille multiculturelle. Étant plus proche géographiquement de ma famille « côté arménien », j’ai été plongée très jeune dans le passé d’une famille meurtrie par les massacres mais qui a réussi à se reconstruire grâce à la force et l’énergie de nos aïeuls.
Très tôt, ma grand-mère, qui avait hérité de l’histoire vécue par ses parents, me contait la vie en Arménie avant le génocide, les troupeaux de moutons que mon arrière-grand-père élevait, l’harmonie paisible qui pouvait y régner. Puis l’horreur, la traversée du désert, la perte de toute une famille, voir ses propres enfants mourir à cause d’une barbarie sans nom. La volonté d’exterminer tout un peuple. Le génocide.
S’est ensuivie une longue marche vers la délivrance, entremêlée d’arrêts dans d’autres pays d’Orient, et enfin l’arrivée à Marseille, carrefour de la Méditerranée. Comment arrive-t-on à se reconstruire après avoir vécu tant d’horreurs ? J’admire la force de mes arrière-grands-parents, la capacité qu’ils ont eu à rebâtir une vie, à recréer une famille, à s’intégrer à cette nouvelle patrie et à faire en sorte que leurs enfants ne vivent plus jamais dans la pauvreté et la souffrance. Et tout cela sans jamais se plaindre, en prenant ce que la France voulait bien leur donner, un travail, un petit bout de terre, une nationalité pour leurs enfants. »
Fany porte l’histoire de ses arrières grand-parents en héritage :
« J’ai vingt-cinq ans, et je suis issue d’un mariage improbable et qui d’ailleurs n’a pas duré. Ma mère est française et arménienne, mon père français et suédois. Depuis petite je connais mes origines mais tout se limite un peu au folklore, à des atmosphères, à de petites traditions : casser des oeufs peints avec ma soeur à Pâques ou respirer l’odeur du mahleb dans la brioche.
J’ai connu mon arrière-grand-mère arménienne. J’ai mangé sa cuisine, senti l’odeur particulière de son appartement, que je n’ai d’ailleurs retrouvée qu’en Grèce chez des amis de mon père. Mais je ne comprenais souvent pas un mot de ce qu’elle disait, elle ne parlait pas bien français. Elle n’était pas là pour amuser la galerie, mais elle était gentille. Je sais que petite elle est passée par la Grèce, qu’elle faisait des tapis et qu’elle ne gagnait pas trop mal sa vie car les enfants tissent mieux que les adultes. Puis elle a épousé mon arrière grand-père et eu plusieurs enfants dont ma grand-mère.
Ce que je connais de plus dur sur le génocide, c’est sûrement son mari qui l’a vécu. C’était un kiliç artigi, un reste de l’épée. Il faisait partie de ces femmes et de ces enfants qui ont été épargnés pour être vendus car ils ne représentaient pas un danger mais une marchandise. Il a vu ses parents se faire trancher la tête au sabre, puis il a été recueilli par une famille turque. Il s’est enfui, il ne voulait pas vivre avec eux, il ne voulait pas se convertir. Alors il a fait le colporteur, est passé par le Liban et, je ne sais trop comment, il est arrivé en France.
Quand on est petit, on nous parle un peu du génocide, on nous dit que les Turcs ont tué presque tous les Arméniens. Ce qu’on découvre en grandissant est encore plus horrible. On découvre qu’ils ne nous ont laissé qu’un bout de terre minuscule et si insignifiant que personne n’en parle jamais, que la Turquie nie toujours ce qui est arrivé et ça, ça nous emplit de colère. On ressent une terrible injustice. Savoir que l’on est vivant parce que nos ancêtre ont fui… c’est difficile. »
Pour Éva ian, la douleur du génocide est encore vivace :
« J’ai été informée très tôt de la question du génocide ; dès mon plus jeune âge je manifestais dans les cortèges du 24 avril. C’est d’ailleurs un 24 avril que ma mère (née d’un père et d’une mère rescapés du génocide) et mon père (100% saucisson d’Ardèche) ont décidé d’apprendre l’heureuse nouvelle de ma prochaine venue dans ce monde. Puis je n’ai jamais cessé de participer à des manifestations de commémorations.
Le génocide arménien est un sujet fréquent dans ma famille et dans ma vie.
J’ai aussi fait un long travail par rapport à mon prénom. Car il a une histoire : Éva, c’était d’abord ma grand-tante maternelle qui a été assassinée pendant les événements de 1915, et n’a jamais eu de sépulture. Mon arrière grand-mère se faisait violer pendant ce meurtre. Lorsque j’entends la négation du génocide, je me sens trahie, poignardée, tuée comme une deuxième fois, j’ai l’impression qu’on ne reconnait pas mon existence, car sans génocide de 1915, il n’y aurait pas d’Éva née en 1995. »
Marion résume ce que beaucoup de madmoiZelle d’origine arménienne ont expliqué :
« Le génocide arménien est un traumatisme qui se transmet de génération en génération. D’abord parce que mes grands-parents paternels ont perdu leur père ou leur oncle ou leurs grands parents, décapités. Mon grand-oncle a été assassiné de plusieurs balles dans le dos. Il avait quatre ans.
Ensuite parce que nous n’avons rien, pas un souvenir matériel ni d’archive écrite ou de photo : tout a été pillé, notre famille a fui sans rien emporter et s’est retrouvée en France. Déracinée. »
Le génocide arménien, un massacre encore souvent passé sous silence
Comme les madmoiZelles viennent de l’évoquer, la douleur du génocide arménien encore présente est pour beaucoup due à la négation du massacre, qui n’est pas de l’unique fait des Turcs.
Janis raconte ainsi :
« Les rares fois où j’ai entendu parler du génocide en dehors du cercle familial sont à l’école. Je me souviens d’un maigre article dans mon livre d’histoire en troisième, de rien au lycée. J’ai fait des études de relations internationales et pas une seule fois il n’a été question d’un cours sur le génocide arménien, au contraire d’autres génocides.
Parfois, mes amis me disent « Oh, on a parlé du génocide arménien en cours l’autre fois » mais c’est rarement le cas, la plupart d’entre eux n’avaient jamais entendu parler du génocide avant de rencontrer un Arménien ou une Arménienne. »
Fany a été directement confrontée au manque d’informations sur le génocide et sur les Arméniens :
« Tout ça on ne le découvre pas à l’école, parce qu’à l’école on ne parle pratiquement que de la Seconde Guerre mondiale et de l’extermination des juifs, sûrement parce que les Français l’ont vécu. On parle peu du concept de génocide en lui-même, de ses objectifs.
J’ai toujours su que je n’étais pas à 100% d’origine française. Longtemps ça a été difficile de savoir ce qui me définissait vraiment. J’avais plusieurs cultures, mais incomplètes. Les autres petits Arméniens que je connaissais avaient deux parents arméniens, moi j’étais mélangée. Je suis châtain, j’ai les yeux verts ; quand je rentre dans une épicerie arménienne on se dit que je suis grecque ou entièrement française.
Lors d’un cours sur l’immigration en terminale, j’ai dit à un prof qu’il y avait une mafia arménienne aux États-Unis, au même titre qu’une mafia italienne, mexicaine… Il m’a dit que j’étais raciste. Il était interdit de dire quelque chose de négatif sur un peuple auquel on n’appartenait pas. Alors je lui ai dit que j’étais d’origine arménienne. Il a refusé de me croire et m’a répondu que c’était impossible avec la tête que j’avais ! J’ai claqué la porte. »
Célia regrette le peu de temps consacré à l’histoire du génocide, et plus généralement l’intérêt limité qu’il semble susciter chez les personnes non concernées :
« En troisième, quand on a parlé de la Première Guerre mondiale, le prof a rapidement évoqué le génocide, et j’avais été un peu choquée qu’il ne s’attarde pas plus. Je crois que rares sont les personnes qui se souviennent de ce petit aparté sur le génocide. Je ne blâme pas les profs qui ne sont pas responsables du programme. On n’a pas le temps, en cours d’histoire niveau collège et lycée, de s’attarder sur tous les épisodes meurtriers de l’histoire dans le monde.
Néanmoins, à chaque fois que le sujet était mis de côté, je ressentais une pointe de déception. J’aurais bien aimé que les profs approfondissent. J’ai toujours eu l’impression que ce sujet était de l’ordre du familial, et que je ne pouvais m’exprimer sur ce sujet qu’entre « Arméniens ». Ce sujet n’intéresse pas ceux qui ne sont pas concernés, je crois, et c’est dommage.
Les seules personnes non-originaires d’Arménie qui se sont vraiment penchées vers moi quand je leur ai annoncé mes origines sont des personnes d’Algérie ou de Syrie par exemple, dont le peuple a souffert ou souffre toujours.
Quand je parle de mon origine, peu de gens réagissent en parlant du génocide. C’est un événement oublié de l’Histoire pour beaucoup. J’ai eu l’occasion d’en parler à une Turque en seconde : son déni m’avait profondément blessée, même si, en y repensant, je me dis que c’est sûrement à cause de son éducation — apparemment, en Turquie on apprend que ce sont des terroristes arméniens qui ont commencé, et il y a eu autant de morts dans chaque camp.
J’ai grandi en évoquant mes origines régulièrement, mais en en parlant réellement seulement en famille. J’ai été confrontée à un Franco-Marocain qui ne comprenait pas mon désir de voir la Turquie arrêter le négationnisme. Pourtant c’est important pour moi pour les mêmes raisons que les Juifs n’apprécient pas qu’on nie l’existence des camps : c’est nier la souffrance de milliers de gens. »
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Pauline aussi a été confrontée à la version différente de Turcs :
« En Allemagne, j’ai rencontré deux Turcs et un Arménien (il y a une forte communauté à Berlin), et c’est là que le sujet est revenu plusieurs fois. Il se trouve que ces deux amis turcs de 26 et 29 ans ne croient absolument pas au génocide. Pour l’un, il s’agit d’une guerre, la Turquie conserve des documents comme preuve. Pour l’autre, le sujet est tabou. Il est très difficile d’en parler car chacun campe sur ses positions ou se ferme.
Par contre, j’ai rencontré un Arménien qui étudiait dans la même fac à Potsdam, et lui est plutôt dans l’extrême inverse dans la reconnaissance du génocide et presque un boycott des turcs.
Le sujet est très tabou sur place également. J’ai passé une semaine à Istanbul chez l’habitant avec une amie. Les trois hôtes d’entre 27 et 28 ans pariaient sur mes origines, qu’ils pensaient marocaines, ou turques, mais jamais l’Arménie n’a été avancée. J’ai laissé plané le doute exprès, non pas par honte, mais parce que c’est un sujet qui fâche…
Mon amie m’a demandé pourquoi je ne parlais pas de mes grands-parents, et je lui ai explique que c’est toujours quitte ou double, même pour les jeunes générations : ils écoutent l’histoire qu’on leur enseigne, le « pas de génocide ». Au cours d’une autre conversation avec les Turcs, j’ai pu glisser la question du génocide arménien, en rapport avec notre discussion, et là les deux m’ont regardé, l’un m’a dit « ah non, on ne commence pas sur ce sujet-là ». Je n’ai pas insisté.
Et si pour les Turcs la question du génocide est éludée, en France très peu de livres d’histoire en parlent, et je n’ai aucun souvenir d’avoir étudié le génocide arménien au cours de ma scolarité. »
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Une histoire constructrice d’identité
Mais même si l’école n’en parle quasiment pas, cela n’empêche pas cette partie de l’histoire d’influer sur la construction de l’identité des madmoiZelles d’origine arménienne, cent ans après les événements. La transmission de génération en génération empêche l’oubli, et beaucoup se sentent investies d’un devoir de mémoire et d’une certaine responsabilité.
Gabrielle G-M explique son rapport au génocide, et la place qu’il a dans sa vie :
« Quand on sait d’où l’on vient et ce que nos aïeux ont subi, la façon dont ils se sont battus, dont ils ont survécu pour avoir non seulement une meilleure vie, mais pouvoir aussi en assurer une à leurs futurs enfants, on a un rapport à la vie qui est très fort, mais paradoxalement pessimiste et fataliste.
À un moment j’ai commencé à bassiner mes proches avec le génocide et sa reconnaissance. Une amie a alors parfaitement résumé ma situation : on aurait dit que le génocide arménien était chez moi comme une crise d’herpès qui explosait sur mon visage ainsi qu’à la face des autres.
C’est dur à porter quand on est courant de l’histoire détaillée des membres de sa famille touchés par cet événement et que l’on n’arrive pas à canaliser sa soif de reconnaissance de la douleur que ça a pu procurer à nos aïeux, mais à nous aussi en tant que catalyseur de cette peine.
Je me dis parfois qu’une forme de stress s’est transmis : celui de la peur de devoir (re)faire face à ce type de situation. Et quand on connait l’ampleur du négationnisme d’État que pratique la Turquie, mais aussi la situation des Chrétiens en Orient, on se dit que cette peur est malheureusement bien fondée. »
Gayané est entièrement d’accord : cela a même énormément influé sur son orientation professionnel.
« Cet événement a un impact dans ma vie de tous les jours. Il est naturel pour nous de savoir que nos ancêtres ont été massacrés, on vit tous les jours avec. Le pire sentiment est bien sûr la négation du régime turc, qui nous prive de notre passé et nous empêche de nous construire, mais également celle des autres régimes qui pour des raisons politiques ou économiques (comme d’habitude j’ai envie de dire) ne prennent pas position, se cachent derrière des excuses diplomatiques et ne nous donnent pas la reconnaissance dont nous avons besoin pour faire le deuil.
Car c’est un deuil que tous les Arméniens, de la diaspora ou locaux, ont besoin de faire et qui nous est refusé. Renier la qualification juridique de ce qui est arrivé, c’est renier les souffrances mêmes de mes ancêtres et notre histoire à nous, enfants de la diaspora.
Cet événement m’a suivie dans toutes mes évolutions. Je suis actuellement en Arménie où je travaille dans une ONG féministe qui accompagne les femmes victimes de violences conjugales (qui n’est pas inscrite dans la loi arménienne, soit dit en passant) : je ressens une connexion particulière avec ce pays et avec mes sœurs de coeur qui y vivent.
La première fois que j’ai posé le pied à Erevan (la capitale), j’ai eu l’impression d’être de retour chez moi, même si je n’y avais jamais été. La communauté Arménienne, ici comme dans les autres pays de la diaspora, est extrêmement soudée : le sentiment de tristesse qui nous accompagne à chaque instant, comme une mélancolie, est lié à notre histoire tragique et aux affronts que la mémoire de nos ancêtres subissent : comment peut-on se construire une identité quand une partie du monde renie notre histoire ? J’ai une très grande famille Arménienne, pourtant je suis la première à revenir vivre ici (alors que je suis la seule à avoir un père qui n’est pas issu de la communauté Arménienne, ce qui est assez rigolo).
Je ressens une connexion avec cette terre, et je ne pense pas pouvoir l’expliquer. C’est un sentiment que tous les enfants de la diaspora éprouvent, surtout ceux ayant eu la chance d’avoir des grands-parents qui ont pu leur raconter ce qu’il s’est passé. »
Nathalie a également choisi une activité proche de ses racines et de son histoire :
« Ce n’est pas un hasard si j’ai radicalement changé de vie professionnelle pour me lancer dans la création de joaillerie il y a neuf ans. C’est une façon de me rapprocher des mes ancêtres et de développer de nouveaux liens avec la communauté des artisans arméniens qui fabriquent mes pièces. Maintenant j’entends souvent la langue arménienne lorsque je vais dans les ateliers, et cette nouvelle vie professionnelle révèle chaque jour un peu plus mon arménité.
Je peux dire que c’est une thérapie. La prochaine étape pour moi serait d’apprendre la langue. »
Anaïs explique elle aussi que le génocide a contribué à la forger :
« Toutes ces histoires font partie de mon héritage. Elles m’ont marquée tout au long de mon enfance et continuent de résonner en moi à chaque étape de ma vie.
Ma grand-mère avait l’habitude de me dire « Je suis une fille d’immigrés. Mes parents ont voulu que chacun de leurs enfants aient un métier pour réussir dans la vie. C’est également ce que j’ai souhaité pour mes enfants et c’est ce que je souhaite pour toi aussi ». C’est dans ces moments que l’on se rend compte qu’on est marqué par l’histoire de sa famille.
Bien sûr, je n’ai pas entrepris de « réussir ma vie » pour prouver la valeur de mes origines. Néanmoins, il y a toujours cette petite voix qui me dit que je serai honorée de rendre fière ma famille, qu’ils soient fiers d’avoir réussi à donner la vie dont ils avaient rêvé à leur descendants. »
Fany se sent également investie d’une certaine responsabilité :
« J’ai hérité d’un tempérament mélancolique. Je suis sérieuse, rarement légère et je n’aime pas me laisser aller. Je n’en ai pas le droit, je suis un reste de l’épée. »
Claudia insiste sur la transmission de la douleur :
« Cet événement a eu un gros impact sur moi. Quand votre famille a vécu pareil horreur, le souvenir se répercute sur les générations qui suivent comme un tsunami. On ressent chaque peur, chaque douleur…
Le génocide a fait partie intégrante de ma construction. Je n’ai jamais vécu une semaine sans faire quelque chose à propos de ce sujet ! Aujourd’hui je déteste l’injustice, ça me rend folle ! Quand on me parle des Arméniens, je peux être très susceptible. Et j’ai toujours voulu être forte et courageuse à l’image de ceux qui ont survécu. De plus, à la fac j’ai voulu en parler dans un mémoire et le sujet m’a été refusé…. J’ai vécu dans un monde négationniste toute ma vie, ça donne envie de lutter ! »
Janis se sent également investie d’une certaine mission :
« Cela a fortement influé sur ma propre construction. Déjà, ma famille m’a toujours rappelé que j’étais arménienne, que je devais en être fière parce que j’étais issue de survivants et que les origines font parties de nous. Quand j’étais plus jeune, étant métisse, je ne semblais pas arménienne mais plutôt italienne ou espagnole, et le fait de me rapprocher de mes origines est presque devenu une obsession, au point de rechercher les noms finissant en -ian dans les génériques de films, de reconnaître d’autres personnes de la diaspora.
Encore aujourd’hui, j’accorde une pensée quotidienne au fait d’être arménienne, d’avoir cette histoire familiale, je pense à mes ancêtres tout comme aux autres Arméniens morts lors du génocide et ça me pousse à réussir. »
L’importance de parler du génocide arménien
Devant le silence et la méconnaissance qui entoure trop souvent le génocide, les madmoiZelles ont insisté sur l’importance d’en parler vraiment. Gayané suggère ainsi :
« En ce qui concerne la façon dont on parle du génocide, je pense que les initiatives internationales qui se forment à l’occasion du centenaire devraient recommencer à chaque commémoration.
Je crois également qu’il est important que des figures médiatiques retournent au pays ou y organisent des évènements. Je pense en premier lieu au groupe System of a Down, dont le leader est extrêmement engagé dans la lutte contre le négationnisme, et qui va organiser un concert gratuit dans quelques jours à Erevan, mais également à Kim Kardashian (même si je ne suis pas fan du personnage), qui a fait une visite ultra médiatisée dans la capitale il y a quelques jours, à Ronda Rousey (championne de MMA), ou encore à Charles Aznavour qui est une véritable idole ici.
Les Arméniens sont très sensibles à ce genre de marque de soutien venant de personnalités étrangères.
https://youtu.be/0XAsYugjBgE
D’un point de vue local, je pense que des initiatives sont essentielles : il faut faire entendre la voix de la jeune génération, celle qui n’a pas été touchée directement mais qui possède une connexion énorme avec les événements. Je ne parle pas des associations créées par la communauté arménienne, mais des individus seuls, car la plupart ne sont pas fans de ces organismes et préfèrent agir de leur côté. »
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Nathalie souligne l’inégalable importance d’une reconnaissance du génocide par l’État turc :
« Il s’agit d’une souffrance individuelle et collective immense qui ne peut être apaisée que par la reconnaissance par l’État turc. La négation empêche le deuil, la guérison, la réconciliation. C’est important pour la société civile turque qui a le droit de connaître son histoire pour pouvoir regarder devant. Si le mot génocide est important dans la reconnaissance par les États, ce sont les réparations qui sont en jeu à présent.
Où est passé le traité de Sèvres qui devait être ratifié pour donner l’autonomie aux provinces arméniennes de l’ancien empire Ottoman ? Les puissances occidentales ont « oublié » de le ratifier. Ils ont laissé sacrifier le peuple arménien mais aussi tout le patrimoine culturel associés pour des intérêts d’alliance géopolitiques et économiques.
C’est malheureusement encore d’actualité avec les destructions de villages arméniens en Syrie et les massacres de chrétiens au Moyen-Orient avec les mêmes méthodes employées qu’il y a cent ans. Je réclame justice pour les morts dans l’immense cimetière à ciel ouvert en territoire turc et pour que les survivants et leurs descendants puissent soigner leurs plaies et transcender ce traumatisme atroce. »
Fany a le même souhait :
« Aujourd’hui, je souhaite que l’on cesse de mentir aux jeunes Turcs, que l’on ne manipule pas l’histoire et que l’on fasse honneur aux morts. Tout ça est arrivé. Ils vivent dans le mythe d’une démocratie forte et immaculée mais elle est bel et bien tachée, et elle l’est chaque fois que l’on traite les Arméniens de traîtres et d’assassins.
Ce n’est pas la peine de faire dix documentaires chaque année sur le sujet pour faire pleurer les enfants. C’est la vérité qui importe. Nous voulons dire que nous n’avons pas été effacés de la carte, que nous restons debout face à ceux qui nient, qui souhaitent encore nous voir disparaître. Il est question que les victimes du génocide soient canonisées par le Catholicos des Arméniens, je trouve que c’est une bonne chose. Ils sont morts pour leur foi chrétienne, ils sont morts parce qu’ils étaient Arméniens. Nous ne serons plus seuls à porter ces morts. »
Gabrielle G-M évoque à son tour le génocide culturel, et les positions de l’Europe et des États-Unis :
« En 2001 au Natchikevan, le cimetière arménien de Djoulfa datant du XVIe siècle a été rasé pour « éradiquer la présence arménienne » de cette petite enclave Azérie, de façon à pouvoir réécrire l’Histoire et attester du fait qu’il n’y a jamais eu d’Arménien en cette terre ; au même moment, les talibans détruisaient les Bouddhas de Bâmiyân. Les médias ont énormément relayé l’information concernant les Bouddhas — avec toute la dose de sérieux nécessaire — mais il n’en a rien été du cimetière arménien, alors que l’on assistait à un autre véritable acte de terrorisme, d’éradication culturelle, aux portes de l’Europe.
Aujourd’hui, le génocide arménien a pris la forme d’un génocide culturel. Seulement, quand c’est un État (l’Azerbaïdjan en l’occurence, mais l’État turc est compris dans le lot) avec lequel l’Europe et les États-Unis entretiennent des relations économiques et militaires cruciales, on oublie tout et on s’abstient d’en parler pour ne pas les froisser bien sûr… Surtout quand il y a du gaz et du pétrole à la clé.
J’aimerais aussi que l’on mette en avant les Turcs qui veulent reconnaître leur histoire et qui se mettent en danger pour que leur État prenne conscience que reconnaître ses torts est un acte de bravoure. Je pense à Hrant Dink en priorité — paix à son âme — mais aussi au Prix Nobel de littérature (et en exil) Orhan Pamuk, à certains politiques et féministes kurdes…
Que l’on cesse de mettre à l’honneur la division, et que l’on mette en lumière la réunion de deux peuples qui ont partagé une culture commune pendant de nombreux siècles. Et surtout, que l’on en tire des leçons. Car je retrouve cette douleur au Rwanda, au Congo, en Syrie… Partout où des gens sont tués pour leur appartenance culturelle et/ou religieuse, parce qu’ils ne rentrent pas dans le cadre d’une uniformisation nationale et/ou religieuse massive. »
Cécile souligne par ailleurs l’importance de tout ce que le génocide soulève pour l’enseignement de l’Histoire :
« J’aimerais, dans un premier temps, qu’il y ait un peu plus de place dans le génocide arménien dans les cours d’Histoire, ça va avec une réflexion plus large : sortir un peu de la stricte Histoire de France. Il me semble que le fait que ce génocide ait eu lieu a eu une influence sur la suite des événements du XXème siècle. Et puis j’ai l’impression que si les gens savent que ça a existé, ils savent juste qu’il y a eu un génocide des Arméniens, alors qu’à mon sens, il y a eu des conséquences humaines suffisamment importantes pour qu’on en sache un peu plus.
C’est aussi l’occasion d’aborder le sujet des migrations, des diasporas (il y a trois fois plus d’Arméniens en dehors d’Arménie qu’en Arménie), de la mémoire collective, de la reconnaissance de leurs fautes par les États… En fait, que ce soit à l’école ou ailleurs, je voudrais qu’on en parle comme de n’importe quel événement historique : qu’on sache ce qu’il s’est passé, pour avoir conscience que si quelque chose comme ça a pu se produire une fois, ça peut se reproduire (bon là c’est facile, ça s’est effectivement reproduit). On pourrait aussi voir comment ça peut expliquer le monde d’aujourd’hui. »
Pour Eva ian, cela va encore plus loin :
« J’aimerais que le génocide arménien soit évoqué pas seulement comme une justice que réclame un peuple, mais comme un crime contre l’Humanité qui est resté impuni.
J’aimerais que ce ne soit pas un sujet tabou. Qu’une reconnaissance puisse être faite par les États-Unis ou d’autres pays qui le souhaitent, qu’en France il y ait une loi pénalisant sa négation, sans que la Turquie « démocratique et laïque » d’Erdogan fasse un caprice en gelant ses relations économiques ou en rappelant son ambassadeur, et surtout que la communauté internationale lui cède.
Il est important de parler des Droits de l’Homme, parce que tout de même on est TOUS des êtres humains. »
Une madmoiZelle anonyme conclut :
« Une simple reconnaissance de la Turquie suffirait à nous apaiser, et je pense surtout aux Arméniens âgés, qui ont dû quitter leurs terres en tant qu’apatrides et munis d’un passeport Nansen « sans retour possible ». Savoir que la Turquie reconnait le génocide, c’est pouvoir enterrer symboliquement leurs parents ou grand-parents morts sans sépulture. »
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Les Commentaires
Je pleure, je pleure.
Merci pour tous vos témoignages. Ça me force à admettre que j'ai vraiment besoin d'en parler. De mettre des mots sur cette souffrance dont on ne parle que très peu chez moi.
J'avais idée de faire mon futur film de fin d'études (dans le cadre d'un master en réalisation) sur le rapport que j'entretiens avec la culture arménienne. C'est confirmé.
Je ne peux plus me mentir, faut que ça sorte.