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Le génocide arménien, 100 ans après — Je veux comprendre

Le 24 avril, on commémore le centenaire du génocide arménien, qui a décimé plus de 75% de la population de ce pays. Retour sur l’« autre » génocide européen, celui dont on parle moins.

– Article initialement publié le 24 avril 2015

« Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. »

Ce texte est celui d’un télégramme émis par le gouvernement turc. Ce sont ces mots et les horreurs qu’il a engendrées qui démontrent la réalité du génocide de la population arménienne vivant dans l’Empire Ottoman, entre 1915 et 1916.

Le premier génocide arménien

Il y avait eu une première salve de massacres, perpétrés dans les années 1890. En Europe, à la fin du XIXème siècle, les nationalismes gonflent. Les Empires éclatent pour laisser place aux États-nation, dont l’identité et l’unité se construisent souvent par opposition aux voisins. Ceux qui n’ont pas la même langue. Ceux qui n’ont pas la même culture. Ceux qui n’ont pas la même religion.

Les populations arméniennes sont chrétiennes, alors que les autres peuples de l’Empire Ottoman sont musulmans. Le sultan Abdul-Hamid II utilise la religion pour renforcer le tissu « national » de la future Turquie, et contribue à cristalliser la haine des minorités chrétiennes présentes sur le territoire, dont la principale : les Arméniens.

Plus de 200 000 Arménien•ne•s sont massacré•e•s, près d’un million sont spolié•e•s de leurs biens. Leurs lieux de culte sont pris pour cibles, détruits, convertis en mosquées.

La communauté internationale reste passive et silencieuse. Il faut dire que les tensions s’accroissent aux frontières de l’Europe : à quelques années du déclenchement de la Première guerre mondiale, la poudrière chauffe.

Le site Hérodote relate la suite des événements politiques qui ont amené la jeune garde au pouvoir à orchestrer et perpétrer un véritable génocide, en massacrant près d’un million et demi d’Arménien•ne•s :

« Soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d’Asie mineure dès leur prise de pouvoir. On compte ainsi 20 000 à 30 000 morts à Adana (Cilicie) le 1er avril 1909…

Ils lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens, en s’appuyant sur le ressentiment et la haine des musulmans turcs refoulés des Balkans.

Ils réécrivent l’Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d’Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913. »

Le 24 avril 1915, la date-clef

La guerre éclate, et elle ne tourne pas en faveur de l’Empire Ottoman, engagé aux côté de l’Allemagne et de l’Autriche. Le 24 avril 1915, 600 membres de l’élite culturelle arménienne sont arrêtés, sur ordre du préfet de police de la capitale (Constantinople, aujourd’hui Istanbul).

Ces exactions marquent le début de plusieurs mois de persécution des Arménien•ne•s : des familles entières sont déportées, épuisées dans le désert, les femmes sont violées, les enfants noyés, les hommes assassinés…

Cette vidéo de l’INA retrace la mise en place du génocide, qui a abouti à l’extermination des deux tiers de la population arménienne (1,2 à 1,5 millions de personnes), mais aussi à la mort de plusieurs centaines de milliers d’Assyro-Chaldéens.

En 1916, le gouvernement turc passe à la vitesse supérieure, en décidant d’exterminer les survivant•e•s aux marches infernales et aux camps de concentration. C’est le contexte de ce télégramme, envoyé à la préfecture d’Alep, qui transmet l’ordre de « mettre fin à l’existence » des Arméniens, « aussi criminelles que soient les mesures à prendre ».

Anna, une lectrice qui nous a confié son témoignage, raconte les horreurs dont sa famille a été victime :

« Je suis une descendante du premier génocide du XXème siècle.

Mes parents et grands-parents m’ont toujours parlé de la tragédie arménienne. En revanche, mes deux arrière-grands-mères […] étaient évidemment moins disposées à parler du massacre car elles ont connu et vu de leurs propres yeux, la barbarie humaine à son apogée.

Leurs histoires sont quasiment les mêmes horribles histoires que racontent tous les rescapés du génocide arménien.

L’une a survécu parce qu’à l’arrivée des Turcs dans sa maison, elle a eu le temps de se cacher dans un placard. Mais elle a aussi vu sa mère enceinte de 8 mois se faire égorger et éventrer. On lui a retiré le fœtus qui a été criblé de balles…

Est-il possible de se construire après une telle atrocité ? Je me le demande encore. »

C’est ce génocide que l’on commémore aujourd’hui, cent ans après.

Cent ans après le génocide, le déni turc

Le 29 janvier 2001, la France a adopté une loi pour reconnaître publiquement le génocide arménien, qui continue d’être nié par le gouvernement turc. Il faut savoir qu’à la fin de la guerre, le régime politique qui s’est mis en place en Turquie a conservé les mêmes fonctionnaires que ceux qui ont fomenté et perpétré le génocide.

Hakki Akil, l’ambasseur de Turquie en France, n’admet pas le terme de « génocide » face à Jean-Pierre Elkabbach : « c’est à un tribunal de déterminer si les évènements de 1915 peuvent être qualifiés de génocide contre les Arméniens ». 

Difficile donc pour le gouvernement issu d’un régime qui tire ses racines de cette époque, d’admettre la responsabilité d’un crime contre l’humanité. « C’est comme si on avait repris tous les Maurice Papon possibles. Les responsables matériels du génocide se sont retrouvés à des postes clés, ce qui explique la position négationniste », explique Philippe Videlier, historien au CNRS et auteur de Nuit turque à France TV info.

Difficile de reconnaître ce génocide pour le gouvernement turc, mais cette reconnaissance est nécessaire, indispensable. Comme l’a souligné François Hollande, lors de son discours prononcé à Erevan, à la cérémonie de commémoration :

« Reconnaître le génocide est un acte de paix […] C’est avec la disparition d’un million et demi d’Arméniens que le mot « génocide » a été « inventé ». »

« C’est répéter les massacres que d’ignorer, ou de feindre d’ignorer ce qui s’est produit dans l’Histoire »

Le Président est revenu sur la loi de reconnaissance du génocide arménien, avec un message subtilement dirigé à l’attention des autorités turques :

« Cette loi de 2001 fut un acte de vérité. Cette loi était nécessaire, car il n’y a que la vérité qui puisse apaiser les vivants et rendre justice aux morts. Cette loi, elle était et elle est respectueuse car la lucidité n’accuse pas le présent au nom des erreurs du passé.

Cette loi est conforme aux valeurs de la République française, car la France doit toujours être aux côtés de ceux qui se battent pour la reconnaissance de leur droit le plus sacré, et le premier droit, c’est celui de la mémoire.

La France lutte contre le négationnisme, le révisionnisme, l’effacement des preuves, parce que c’est répéter les massacres que d’ignorer, ou de feindre d’ignorer ce qui s’est produit dans l’Histoire.

La France ne fait pas de distinction entre les tragédies : elle reconnaît le génocide des Cambodgiens, et celui des Tutsis, et c’est la raison pour laquelle j’ai autorisé la déclassification des archives de la Présidence de la République française sur le Rwanda.

La France dénonce avec autant de force tous les massacres, où qu’ils se produisent, et qui révèlent des crimes contre l’humanité. Chaque fois que des chrétiens sont tués parce qu’ils sont chrétiens, chaque fois que des juifs le sont parce qu’ils sont juifs, des musulmans parce qu’ils sont musulmans, la France est présente et agit.

Au Moyen Orient, au moment même où je parle, une entreprise systématique et méthodique d’éradication est à l’oeuvre. Les musulmans sont par leur nombre les premières victimes, mais c’est toute la mosaïque de peuples, de religions de cette région, qui est devenue une cible.

Les chrétiens d’Orient, notamment les Arméniens de Syrie, les Turkmènes, les Kurdes, les Shabaks, toutes les minorités sont aujourd’hui menacées par l’exil, l’asservissement et la mort. La barbarie des terroristes de Daech frappe jusqu’aux vestiges de notre patrimoine commun, parce que les terroristes veulent toujours tuer, non pas seulement le présent, mais aussi ses racines. »

L’intégralité du discours de François Hollande à Erevan, pour la commémoration du génocide arménien.

« Transmettre l’histoire de cette tragédie aux nouvelles générations »

« La France ne donne pas de leçons, elle sait ce qu’est le poids de l’Histoire, ce que le passé de nos nations compte de périodes glorieuses, mais aussi de temps plus sombres.

Commémorer un génocide n’est pas ouvrir un procès, c’est évoquer la souffrance et la peine de ceux qui ont survécu et de leurs enfants. C’est reconnaître une tragédie qui par son ampleur a frappé l’humanité toute entière.

Commémorer un génocide, c’est lutter pour que le souvenir de cette horreur puisse empêcher qu’une autre horreur ne se répète, ou ne se reproduise.

Voilà pourquoi célébrer le centenaire du génocide arménien était pour la France un devoir. Pour rappeler l’ampleur des victimes, pour saluer la dignité des vivants, et surtout pour transmettre l’histoire de cette tragédie aux nouvelles générations. »

On ne m’enlèvera pas de l’idée que ce passage contient un message pas vraiment subliminal à l’attention des lycéen•nes du Supplément qui ignorent la signification d’un génocide, et à tou•te•s ceux qui croient aux théories du complot, au mépris des (très lourdes) vérités historiques.

« Être aujourd’hui à Erevan, c’est également contribuer à l’apaisement, à la réconciliation, au dépassement. Car la mémoire ne doit pas être utilisée pour diviser, mais pour unir. »

Le poids et les vertus du souvenir

Les « nouvelles générations » d’Arménien•ne•s ont pour beaucoup trouvé refuge et résidence ailleurs, mais n’oublient pas leurs racines. Suite à notre appel à témoins, plusieurs madmoiZelles ont accepté de nous parler de leurs racines arméniennes, et du spectre de cette période.

Ainsi, Marion raconte :

« Mes grands parents ont voulu retourner chez eux en 1947, ils sont arrivés en URSS et on leur a retiré leurs passeports. Ils sont restés coincés en Arménie soviétique pendant vingt ans. Ils ont essayé de retrouver sur place la trace de leur maison familiale et d’autres membres de la famille, mais sans succès. Tous avaient péri durant le génocide.

Mon père et ses deux frères sont nés et ont grandi sous la dictature. Ils ont manqué de tout. Mon oncle qui avait un an était nourri d’eau et de sucre. Non pas que ma famille manquait d’argent, mais les commerces manquaient de tout.

Ils ont réussi à fuir l’Union soviétique en 1968. Ce fut pour eux un deuxième déracinement. Ils n’ont plus jamais parlé arménien depuis leur retour, par souci d’intégration, par pudeur et douleur intérieure. Ils n’ont moralement jamais pu retourner en Arménie.

Aujourd’hui, mon père tente de faire des recherches, de remettre en ordre l’histoire familiale, mais c’est très difficile. Il n’existe pas d’archive en URSS, tout a été détruit. Je ne peux pas lui faire plus plaisir que lorsque je lui achète un nouveau livre d’un historien méconnu qui parle du génocide arménien. »

D’autres témoignages sont à lire dans l’article de Mélissa : Le génocide arménien raconté par les madmoiZelles d’origine arménienne.

À lire aussi : « Comme le papier », la quête de Waxx sur ses origines arméniennes, rencontre System Of A Down

Mise à jour du 29 avril 2015

Le studio 2veinte a réalisé ce court métrage de trois minutes pour illustrer le centenaire du génocide, un hommage visuel à la mémoire des victimes.


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Les Commentaires

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Avatar de Sill
28 avril 2015 à 23h04
Sill
J'avoue (honteusement) que je ne savais rien du génocide arménien avant cette commémoration. C'est terrible, mais ça montre bien que malgré la loi de 2001 c'est un fait historique qui n'est pas abordé dans l'enseignement, ou si peu (pour que je ne m'en souvienne absolument pas c'est que ça n'a pas dû occuper plus de quelques secondes d'un cours).
Et c'est terrible cette mauvaise foi de la part de Hakki Akil...
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