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Gender budgeting : dépense-t-on plus pour les hommes que pour les femmes ?

Nous allons nous éloigner un peu de la psychologie sociale pour aborder une thématique sans catégorie fixe. Ayant à voir à la fois avec les sciences humaines et sociales, la politique, l’économie, et j’en passe, nous allons causer du Gender Budgeting – ou de Budgétisation sensible au genre.

Avant de nous lancer, accordons-nous : « sexe » et « genre » sont différents. Le premier réfère à des distinctions biologiques tandis que le second se rapporte à une construction sociale et culturelle. Partie intégrante des Gender Studies (reconnues d’intérêt majeur par l’Union Européenne, au passage), la budgétisation sensible au genre analyse toute forme de dépense publique ou privée (selon l’angle du genre, vous l’avez compris) et son impact (direct ou indirect) sur les situations des femmes et des hommes.

A priori, les budgets doivent répondre aux besoins de tous, sans discrimination (je sais, vous avez envie de lol-er), en partant du principe que nous sommes tous égaux. Le truc, c’est que nous ne faisons pas partie d’un groupe homogène et que les budgets et politiques n’auront pas les mêmes résultats selon les groupes. En ce sens, le gender budgeting, c’est n’est pas la volonté de créer des budgets séparés pour les femmes et les hommes, mais plutôt le souhait de voir les tendances budgétaires en fonction de l’impact sur les hommes et les femmes, en ayant conscience des relations de genre qui sous-tendent notre société (Sharp, Ronda, 1999). Vous me suivez ?

Évidemment, la budgétisation par le genre n’est pas une fin en soi, mais simplement un moyen pour parvenir à l’égalité, une manière de concrétiser nos belles idées sur l’égalité des femmes et des hommes. Autrement dit : où vont les $$$ et à qui profitent-ils ? Les politiques sont-elles concrètement égalitaires ? Vous vous en doutez, la question est un poil rhétorique…

Depuis 2005, une équipe de l’ADES CNRS de l’université Bordeaux III se penche sur la question (entre autres sujets) en étudiant les équipements et espaces publics de loisirs des jeunes locaux (cf. un article d’E. Maruejouls et Y. Raibaud relatant une partie de leurs travaux dans « Pour aller plus loin »). L’intervention publique a-t-elle des effets sur les pratiques sociales des filles et des garçons ? Pour l’heure, en ce qui concerne les trois domaines ciblés (activités sportives, centres de loisirs et espaces jeunesses, activités culturelles et artistiques), les constats sont édifiants.

#1 Le sport, c’est le truc des p’tits mecs

65% de garçons pratiquent une activité sportive, contre 35% de filles. Les licenciés sont largement plus nombreux dans les sports exclusivement masculins que dans les sports exclusivement féminins. Et cherry sur le cupcake : dès l’école primaire, les choix d’activités sportives se soumettent aux stéréotypes de sexe. A partir du collège, les jeunes quittent l’offre municipale pour se tourner vers les clubs spécialisés ; à ce moment, certains décrochent – ce décrochage est plus marqué pour les filles.

genderbudgeting

En prime, au même moment, les pratiques sportives commencent à séparer les sexes : la non-mixité s’installe, plus question de mélanger filles et garçons. Non seulement certaines pratiques deviennent complètement non mixtes (danse pour les filles et rugby pour les garçons), mais en plus, les sports pratiqués par les deux sexes séparent alors les filles des garçons. C’est la win !

#2 Les centres de loisirs et espaces jeunesses, c’est le truc des p’tits mecs aussi

L’hégémonie des garçons sur l’espace public est sans appel,

deux tiers du public fréquentant les équipements de quartier sont des garçons et leur temps de présence dans les espaces jeunesses est plus important que celui des filles. De leurs côtés, les filles disparaissent dès l’entrée au collège de l’offre publique de loisirs et se cantonnent aux activités dites « féminines » (gym, danse…)

#3 Les activités culturelles et artistiques, c’est un truc de p’tits mecs et de p’tites nanas – mais ça reste stéréotypé

Si cette fois, l’offre publique est relativement mixte, les activités continuent à se soumettre aux stéréotypes de genre : les filles joueront de la flûte et de la harpe pendant que les garçons gratteront leurs guitares et taperont sur leurs batteries. Lorsque des espaces et ateliers sont proposés (par ex., atelier formant à la création d’un groupe), les pratiques restent quasi-essentiellement masculines.

Par ailleurs, une nouvelle fois, les chercheurs remarquent un décrochage plus marqué chez les filles dès l’entrée en 6ème.

Ok, mais que signifient ces résultats ? Quel rapport avec le gender budgeting ? Toutes ces remarques statistiques nous montrent que, sur le territoire étudié, l’offre publique de loisirs s’adresse majoritairement aux garçons, que l’on consacre plus d’argent public aux loisirs des garçons qu’à ceux des filles. Ces chiffres disent aussi que, puisqu’elles ne bénéficient pas de moyens aussi importants, les filles désertent dès la 6ème et disparaissent de l’espace public (ce qui n’est ni une volonté de leur part, ni une caractéristique intrinsèque de la condition féminine, puisque lorsqu’une offre leur est proposée – qu’elle soit exclusivement dédiée au public féminin ou à un public mixte, elles participent). L’étude questionne également la pertinence des pratiques non mixtes, renforçant les inégalités.

Par ailleurs, E. Maruejouls et Y. Raibaud soulignent que les pratiques générales de loisirs sont sous le joug des stéréotypes de genre : les garçons doivent aller vers des activités « viriles » et « agressives » tandis que les filles doivent se tourner vers des activités « gracieuses » et « sensibles ». Si l’on schématise, les filles = au foyer.

Finalement, dans leurs conclusions, les chercheurs interpellent : est-ce que cette éducation genrée sur la manière d’occuper l’espace public ne prépare pas à l’hégémonie masculine dans la ville ? Quelle place est possible pour celles et ceux qui n’entrent pas dans les stéréotypes de genre ? Comment sortir de la non mixité ? Les politiques publiques peuvent-elles ignorer le sujet ?

Pour aller plus loin

L’article d’E. Maruejouls et Y. Raibaud (ayant eu l’occasion d’entendre l’une présenter ses travaux et de collaborer rapidement avec l’autre, je peux vous le dire : leurs réflexions sont passionnantes) – Un manuel de l’institut pour l’égalité des femmes et des hommes sur la mise en œuvre du gender budgeting dans les administrations belges -Et pour les veinardes qui seront tentées d’y aller, le programme d’une journée organisée par le CNRS sur les « recherches genre »


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Les Commentaires

19
Avatar de Justine_
22 février 2012 à 14h02
Justine_
Voilà, je parlais plutôt des réactions d'enfants issus de différents milieux sociaux.
D'expérience personnelle, je ne me retrouve pas dans cette façon de voir les choses : autour de moi, les gens n'ont pas tellement raisonné ainsi, et les activités ont été choisies en fonction des goûts et non du sexe.
Mais en est-il de même dans tous les milieux, dans toutes les cultures ? Je m'interroge simplement

Est-ce qu'une enfant élevé par un père sexiste qui répètera "le foot, c'est pour les garçons" sera à égalité dans ce type d'étude qu'une enfant élevée dans un univers où on se fiche des jeux/activités prétenduments genrées ?

On considère effectivement que tout peut dépendre de la socialisation : par l'environnement familial, social, l'école... Les cercles dans lesquels on évolue pourront favoriser ou non certaines réactions de notre part. Reste que nous évoluons malgré tout dans une société plus globale avec des stéréotype, préjugés, etc, desquels nous aurons du mal à nous défaire, même avec un milieu personnel non sexiste.

daffy duck finalement, c'était la journée du premier degré aussi dans ma tête !
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