Flashback des fêtes
Si tu n’as pas, comme moi, la « chance » d’habiter à plusieurs centaines de kilomètres de tes grands-parents et des frères et sœurs de tes parents, j’imagine que tu as dû supporter à Noël dernier d’interminables repas de fêtes en famille, trônant fièrement au milieu de la table des enfants, à laquelle il semblerait que tu sois éternellement destinée malgré ton Bac + X.
Ce n’est qu’après grande insistance de ta part que tu as enfin obtenu que le plateau d’huîtres, le plat de foie gras et le saumon mariné parviennent enfin jusqu’à toi, et à 21h30, tu étais déjà seule à table, tes petits cousins et cousines ayant fini d’ingérer leur deux-trois macaronis (vous avez déjà remarqué à quel point les mômes n’ont jamais faim durant les repas de famille ?) et s’étant réfugiés dans la chambre d’amis pour jouer.
A 22 h, les monstres étaient déjà de retour dans le salon, histoire qu’on n’oublie pas qu’ils existent, au cas où. Alors qu’ils voyaient très bien que leurs parents n’en étaient qu’à leur deuxième tranche de dinde farcie à la sauce aux champignons, ils ont sans scrupule interrompu leur plaisir gustatif toutes les cinq minutes pour demander « C’est quaaaaand minuiiiiit ?!! ». Parce que soyons clairs, ce qu’ils veulent, eux, c’est les cadeaux. La famille, ils s’en tapent.
Totalement épuisés par cette cacophonie de voix enfantines à laquelle s’ajoutait celle de Mamie (« Oooooh, mais donnez-leur donc leurs câââdeaaauuux, aux pauvres aaaanges, ils vont pas attendre en s’ennuyant pendant qu’on maaaange ! »), à 22h30, les adultes cédaient, et les gamins déballaient sauvagement leurs cadeaux, avec force cris de joie aigus, toujours histoire qu’on n’oublie pas qu’ils existent.
Toi, exilée solitaire à la table pour enfants désertée, tu avais abandonné tout espoir de voir repasser le plat de dinde farcie à la sauce aux champignons, et en plus, aucun de tes amis ne t’envoyait de SMS pour te souhaiter « Noyeux Joël et Beaux Nénés » (s’il vous plaît : cette blague ne se fait plus depuis 1996, même en Franche-Comté), alors tu n’avais rien d’autre à faire que de regarder ces avides marmots comparant à ce moment le degré de coolitude de leurs cadeaux respectifs.
Les filles, le rose et les fabricants de jouets
Et là, horreur, tu découvris la triste vérité de Noël : un tas de plastique. Du côté de tes cousins, beaucoup de couleurs variées. Du côté de tes cousines : un camaïeu de rose et violet du meilleur goût… Et à moins d’avoir des petites cousines déjà aussi dégourdies que Riley, il y a beaucoup de chances que ça satisfasse amplement tout ce petit monde. Du moins, jusqu’à environ 23 h, heure à laquelle les petites filles avaient fait le tour de toutes les possibilités créatrices de leurs nouveaux jouets, et tentaient d’amadouer leurs frères afin qu’ils veuillent bien partager les leurs avec elles.
Mais plus sérieusement : que nous dit Riley ? Et bien, que le marketing genré piège les petites filles et leur font désirer des trucs roses. C’est tout bêtement le principe de l’offre qui crée la demande. Les petites filles sont formatées.
Ainsi, lorsque Lego, la marque danoise de jouets la « plus populaire de tous les temps » selon Slate, après quatre ans de recherches et quelques millions de dollars gaspillés, lance (le 11 janvier 2012 en France) une gamme pour filles prétendant répondre aux particularités et aux désirs des filles, voilà ce qu’on obtient :
« Lego Friend ». Résumons, pour celles qui auraient peur de ne pouvoir se retenir de vomir en visionnant cette vidéo : du violet, un groupe de copines dont les figurines sont bien plus stylisées que celle des Lego traditionnels, du violet, peu de possibilités de construction, du violet, des « aventures » connotées typiquement féminines (décorer sa maison et aller au salon de beauté, puis manger des cupcakes au nouveau café du coin). Oh, et je vous ai dit qu’il y avait beaucoup de violet ?
Dictature de la dichotomie et abolition de l’universalité
Un article très complet de Rue89 nous en dit un peu plus sur la logique de marketing de Lego. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça transpire l’hypocrisie… Les petites vidéos promotionnelles françaises sur le « clan Legoni » laissent sans voix. Elles insinuent qu’il est de la plus haute importance de séparer le groupe enfantin en deux : d’un côté les garçons, et de l’autre les filles.
Cette dichotomie des sexes devrait s’opérer dès le plus jeune âge, parce que, apparemment, si les garçons et les filles jouent ensemble, il pourrait se passer quelque chose de très grave qui troublerait l’équilibre du monde…
Le Lego de base me semblait pourtant un jouet universel et extrêmement ludique, s’adressant à l’enfant avant de s’adresser à un sexe en particulier. Dans l’article de Slate, on apprend que « la plupart des personnes abordées pour les besoins de l’enquête ont émis le souhait de retrouver la version originale des vieux jouets », signe qu’il faut laisser nos enfants être des enfants avant d’en faire des hommes et des femmes.
Le problème va au-delà d’une simple question de jouet. Le discours de la direction de Lego va à l’encontre de la théorie des genres, selon laquelle l’homme et la femme ne naissent pas homme et femme, mais que la société les fait le devenir (« On ne naît pas femme, on le devient », S. de Beauvoir, tout ça…). Comme l’explique Dalibor Frioux dans l’article de Rue89, c’est un discours « essentialiste » que produit Lego (aimer le rose et les cupcakes ferait, si l’on en croit Lego, partie de l’essence de la femme). On sait bien que ce discours est faux, puisque si beaucoup de petits garçons refusent de jouer à des jeux dont le marketing vise les filles, les petites filles, elles, désirent souvent jouer à des jeux plus aventureux et plus ludiques, dont le marketing le plus souvent vise les garçons.
Plus t’es femme, moins t’as de choix
Malgré les possibilités et les libertés que les femmes d’aujourd’hui ont acquises, en formatant l’imagination des petites filles de cette manière, on leur laisse bien peu de choix concernant ce qu’elles pourraient devenir et ce qu’elles pourraient accomplir à l’âge adulte. Et quelle est la motivation d’un tel plan marketing ? Diviser les marchés, créer un désir spécifique à chaque marché, répondre à ce désir par une offre correspondant à la demande créée, et ainsi gagner du fric (c’est chic).
Si certaines personnes un peu trop candides semblent trouver que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, Anita Sarkeesian n’est bien sûr pas de cet avis. Sur son site, elle a posté deux vidéos ‘ach’ment bien documentées à propos de Lego, de Lego Friend, et de la stratégie marketing de la marque à travers les âges.
(On attend encore les sous-titres français pour la deuxième vidéo)
Est relevé le caractère ségrégationniste de ce nouvel univers Lego dédié aux filles : là où les boîtes de Lego dont le packaging vise les garçons proposent une multitude de thèmes (de pompier à astronaute), les filles sont cantonnées à l’univers qu’elles connaissent déjà. Puis, elle nous offre une énumération des précédents essais de la marque pour vendre des jouets aux petites filles (perso, moi j’avais « Paradisa », qu’on voit à 6:40, et le seul truc qui m’amusait, c’était de remplir la piscine d’eau et de jouer avec la voiture…). Dans la suite, je découvre qu’il existe un pack Lego qui permet de construire le château de Poudlard, et depuis, j’hésite à me l’acheter…
Et vous, vous vous souvenez de jouets pour filles de votre enfance totalement WTF et chiants à mourir, mais que la publicité télévisée vous faisait indubitablement désirer ?
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Les Commentaires
J'offre toujours un livre aux enfants et bébés, mais il faut bien ajouter quelque chose (c'est environ 15 ? un livre) du coup qu'offres-tu un petit garçon de 2 ans ou une petite fille d'1 ans et demi ? En général j'offre les animeaux de la ferme (ce qui me parait être unisex) mais les anniversaires reviennent TOUS les ans, de même que noël, et de plus si tu es marraine.... bref il y a beaucoup trop d'occasions d'offrir des cadeaux et pas assez d'offres au niveau des jouets unisex... on a vite fait le tour...