Attention ! Si tu n’es pas à jour sur Game of Thrones, tu vas te faire spoiler très fort !
Ce dimanche, c’était l’épisode 3 de la saison 4 de Game of Thrones, intitulé Breaker of Chains. Après le très puissant The Lion and the Rose, qui a ravi bien des fans puisqu’on y assistait à la mort du détestable King Joffrey (et donc à la fin de la carrière de Jack Gleeson… tristesse), il fallait calmer un peu le jeu et redonner un peu de place aux personnages cool mais dont tout le monde se fout. Genre Davos.
Mais si ! Davos ! Ser Davos ? Le chevalier Oignon ?
Lui, là.
L’épisode était donc un peu plus calme, composé de dialogues savoureux (Tywin, je te suivrais jusqu’au bout du monde, même si t’es un bel enfoiré), de scènes d’exposition annonçant des évènements à venir, et de quelques moments chargés en émotion.
Et au milieu de ça, on trouve la scène qui a fait bondir tout le monde, fans de la première heure comme nouveaux arrivants : Jaime violant Cersei au pied du corps de Joffrey.
D’une scène ambiguë… à un viol punitif
Bien des choses se mêlent pour faire de ce viol — pas le premier, et pas le dernier dans Game of Thrones — un épisode particulièrement choquant : sa dimension incestueuse, la transgression des codes religieux, la présence du corps de Joffrey (fils de Cersei et Jaime, rappelons-le !), et la violence brute, crasse, animale de Jaime, qui ne ressemble pas à ce qu’on connaît de lui.
Il y a bien une scène de sexe similaire dans le livre, et elle non plus n’est pas tout à fait basée sur le consentement. Alors que dans la série, Jaime est revenu depuis plusieurs semaines aux côtés de Cersei qui refuse ses avances et l’accable de reproches, dans le livre, il arrive à King’s Landing et revoit sa soeur pour la première fois depuis des années, dans le Septuaire, aux côtés du corps de Joffrey.
Voici la scène selon le livre, racontée du point de vue de Jaime :
« Elle l’embrassa. D’un baiser léger, furtif, par lequel ses lèvres n’avaient fait qu’effleurer les siennes, mais il la sentit toute tremblante quand il l’enlaça.
— Sans toi, je n’étais pas entière.
Il n’y avait aucune tendresse dans le baiser qu’il lui retourna, il n’y avait rien d’autre que de la faim. Elle s’ouvrit pour accueillir sa langue.
— Non, protesta-t-elle d’une voix mourante en sentant sa bouche glisser le long de son cou, pas ici. Les septons… — Les Autres les emportent, si ça leur chante.
Il l’embrassa de nouveau, l’embrassa, muet, l’embrassa jusqu’à ce qu’elle se mette à geindre. Alors, il flanqua les cierges par terre d’un coup de pied, puis, la soulevant jusque sur l’autel de la Mère, il lui retroussa jupes et fourreau de soie. Elle lui martelait la poitrine à coups de poings languides en invoquant tout bas les risques, le danger, les septons, Père, la fureur des dieux… mais lui, loin d’en rien entendre, dénoua ses chausses et se mit en devoir de grimper tout en écartelant les blanches jambes nues, tandis que ses doigts remontaient le long d’une cuisse fourrager les sous-vêtements. Et il venait de les arracher en les déchirant quand il vit le sang qui les maculait, mais qu’est-ce que ça pouvait bien faire ?
— Vas-y, chuchotait-elle à présent, vite, vite, tout de suite, fais-le tout de suite, fais-le-moi là…, Jaime Jaime Jaime !
Elle le guida de ses propres mains.
— Oui, dit-elle quand il fonça, mon frère, frère chéri, oui, comme ça, oui, je t’ai, tu es chez toi, de retour chez toi, tu es chez toi.
Elle lui embrassa l’oreille, passa la main dans le chaume râpeux qui lui tapissait le crâne. Jaime s’engloutit en elle, s’abolit au fin fond de sa chair. Il sentait le cœur de Cersei battre au même rythme effréné que le sien, et il sentait semence et sang se fondre en une moiteur unique. »
Cette scène est donc déjà violente dans le livre puisque Cersei refuse et se débat, mais finit par céder et s’abandonner au désir et à l’amour qu’elle ressent pour Jaime (son frère jumeau) (rappelons-le) (personne n’est sain d’esprit à Westeros c’est pas possible).
Rien de tout ça dans la série : Jaime se plaint que Cersei soit une femme « pleine de haine » et que les Dieux l’aient forcé à être amoureux d’elle, puis la jette à terre et la viole, sans qu’elle ne cesse de se débattre. Le Jaime du livre cède à une pulsion lubrique et dévastatrice à laquelle Cersei finit par céder à son tour ; le Jaime de la série punit Cersei la mauvaise femme, la femme haineuse, qui a osé refuser ses avances depuis son retour à King’s Landing. Il la punit en la violant, et en ne montrant aucun respect pour son deuil, en souillant le corps de son fils.
Quand une adaptation dénature les personnages
Je ne suis pas en colère parce que la série s’éloigne des livres ; j’essaie, dans la mesure du possible, de séparer les deux, parce que ce sont quasiment deux oeuvres différentes et que ce qui rend bien dans un chapitre de 30 pages sera mortellement ennuyeux à l’écran. C’est ainsi.
Par contre, quand l’adaptation prend le personnage de Jaime, qui est clairement sur un chemin de rédemption et a déjà protégé des femmes (notamment Brienne) du viol, et le mène à violer sa soeur, la seule personne qu’il a jamais aimée, sous le coup de la colère, de la frustration et de l’orgueil, LÀ, je bous. C’est un acte plein de haine, et ça redessine le personnage d’une façon que je trouve déplorable.
Aucun personnage de Game of Thrones
n’est tout blanc ou tout noir, c’est ce qui rend la saga si passionnante. Difficile, en général, de dégager de vrais « méchants » ou de vrais « gentils ». Mais les héro-ïne-s réagissent le plus souvent à des émotions bien humaines qu’on peut comprendre en les regardant à travers le prisme de notre propre conscience. Ce n’est pas le cas de Jaime dans cette insoutenable scène de viol, qui annule tout ce qui nous a été conté jusqu’alors sur sa relation fusionnelle avec Cersei.
« Jaime saisit sa chance »
Le plus inquiétant dans tout cela, ce sont les déclarations d’Alex Graves, réalisateur de l’épisode, dans une interview pour HitFix :
« À la fin, ça devient une relation consentie, parce que tout devient toujours excitant pour eux, surtout une lutte de pouvoir. »
Je dois être bête, je ne vois pas de relation consentie dans cette scène.
Et le journaliste de l’encourager, en concluant à son tour :
« Jaime saisit sa chance d’accomplir enfin l’acte dont il a été privé depuis le début de la guerre contre le Nord, même s’il doit se montrer violent au début pour obtenir ce qu’il désire. »
L’acte dont il a été privé… comme si le sexe lui était dû, comme si Cersei, lui ayant déjà ouvert ses cuisses par le passé, était forcée de le faire à nouveau dès qu’il le désire, y compris au pied du cadavre de son fils.
Si on peut imaginer que Jaime est, peut-être, un sacré enfoiré et que cette scène a pour seul but de nous le montrer rapidement, je ne vois pas comment on pourrait défendre le point de vue du réalisateur qui estime que Cersei passe (comme dans le livre, donc), de la résistance au consentement. La scène s’achève sur elle, se débattant toujours, et Jaime grognant « I don’t care » — « Je m’en fous ».
L’auteur des livres, George R. R. Martin, a brièvement évoqué cette scène sur son blog :
« Toute la dynamique est différente dans la série, puisque Jaime est de retour depuis au moins plusieurs semaines, et s’est retrouvé en compagnie de Cersei à de nombreuses occasions. Ils se sont même disputés. Le cadre est le même, mais les deux personnages n’en sont pas au même point que dans les livres, ce qui peut expliquer que Dan & David [qui adaptent les livres pour HBO] ont modifié la scène. Mais ce n’est que mon avis ; nous n’avons jamais discuté précisément de cette scène. […]
Cette scène a toujours eu pour but d’être dérangeante… Mais je suis sincèrement désolé si elle a dérangé des gens pour les mauvaises raisons. »
Soit dit en passant, ce n’est pas la première fois qu’HBO modifie une scène de sexe consenti en viol. La première nuit de Daenerys avec son nouveau mari, Khal Drogo, est dans la série un viol brutal se déroulant sur une falaise, dans la douleur et les larmes. Au contraire, dans les livres, il se montre doux et prévenant, apprend à Daenerys le désir et le plaisir, et cela explique en grande partie l’affection, puis l’amour qui se développe entre eux.
Plus que de la déception : de la colère
Du coup, du haut de mon petit tabouret de fan de Game of Thrones qui s’efforce de pardonner plein de choses au duo chargé de l’adaptation, je crie ma colère. Je suis en colère parce qu’on a pris des personnages fascinants entretenant une relation complexe pour en faire de la bouillie, parce qu’on a changé la personnalité de Jaime et Cersei du tout au tout, et parce qu’il n’y a pas de bonne raison pour ça.
Mais surtout, je suis en colère quand je vois que certaines personnes peuvent tourner cette scène, regarder cette scène, et y voir une relation consentie. Je suis en colère quand des hommes voient une femme se débattre, verbaliser à de nombreuses reprises son refus, se faire plaquer au sol et violer, et y voir une excitation, un jeu de pouvoir.
Et je suis aussi un peu en colère parce qu’on a encore eu droit à des femmes nues, minces, épilées et inutiles d’un point de vue scénaristique, grâce au lupanar préféré des scénaristes, le bordel de Littlefinger. Ça faisait longtemps, tiens. Au moins deux épisodes.
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Les Commentaires
Je vous laisse @AimyLulu et @destynova lire mon commentaire au dessus. J'explique que Jaime viol Cersei à côté de leur fils mort dans la série et dans les livres.
(Et d'ailleurs je dis que meme si l'auteur du livre a dit que ce n'était pas un viol, cela ne veut pas dire que ce n'était pas le cas (les showrunners ont dit que ce n'était pas un viol dans la série ... et ensuite ils ont reconnu leur erreur.) L'auteur peut se tromper et est capable de ne pas bien traiter son sujet.)