Si vous avez lu mes deux notes précédentes sur la Galice, En passant par Saint-Jacques-de-Compostelle et À boire et à manger, vous avez peut-être fini par comprendre deux choses sur ma personne au moment où j’ai posé les pieds en terre galicienne : la première, c’est que j’ai grandi dans une famille catalano-espagnole et ne suis donc pas étrangère à la culture espagnole.
La seconde, c’est que lorsque j’ai débarqué en terres galiciennes, dans ce côté de l’Espagne que je n’avais encore jamais vu, ce que j’y ai trouvé n’a pas exactement correspondu à ce quoi à quoi je m’attendais. À part la pluie, je veux dire.
Alors, d’accord, la Galice, ça reste une région d’Espagne, et j’y ai retrouvé les sonorités espagnoles qui m’étaient familières, un mode de vie, un rapport à la nourriture abordé plus tôt, la langue, l’esprit de fête nocturne et plein d’autres petits détails comme les noms de famille à rallonge à vous complexer un Français.
Un petit bout d’Écosse… en Espagne
Mais comme toutes les autres régions – ou « communautés autonomes » – d’Espagne, chacune apporte sa petite nuance, son timbre bien à elle, et la Galice est bien loin de déroger à la règle. Ce que j’ai compris dès ma très symbolique première journée à explorer Santiago de Compostela, alors que je remontais sous l’omniprésente bruine une étroite rue pavée m’emmenant sur la grand place de l’Obradoiro, où quelqu’un jouait… de la cornemuse.
Depuis les marches de la Cathédrale, c’était tout juste si je pouvais distinguer les collines noyées sous la brume, et pendant cinq minutes à écouter une conversation en galicien, je me suis demandé si je n’avais pas raté un tournant quelque part pour me retrouver en Écosse – clairement, on m’avait parlé d’Espagne, et je m’étais faite arnaquer quelque part.
Cette retranscription d’un court dialogue entre mon incrédule personne et une amie galicienne rend bien compte, je pense, de la confusion dans laquelle je me trouvais (si ce n’est de la confusion générale) :
– Mais naan, c’est pas une cornemuse, c’est une gaita ! – Et ça alors, c’est un kilt ou un string en poils de chameau ?* – Je…
Et ce jour-là, les mots « Galice » et « celtique » furent lâchés dans une même phrase. (Et ce sale joueur de fausse cornemuse a arrêté de venir en kilt. Okay, le fond de l’air est frais, mais il a qu’à mettre un slip.)
*Traduction approximative
La cornemuse, ce n’est pas que pour les Britanniques !
Quand on dit que les voyages, ça élargit l’esprit, on n’a pas forcément tort : en venant en Galice, j’ai enfin découvert que la cornemuse n’était pas un instrument propre à l’Écossais en kilt et béret à pompon, qui joue seul et d’un air super mystique en haut d’une falaise dominant les Highlands embrumées et la mer déchaînée (notons qu’il ne me reste plus qu’à aller en Écosse pour qu’on s’occupe de ma vision un brin stéréotypée dudit pays).
En fait, « gaita », ce n’est jamais que la cornemuse en espagnol, comme le biniou en Bretagne. Hé oui. Bon, il y a sûrement des différences entre les instruments, vu qu’il y a des différences de sonorités, mais j’avoue que je ne m’y connais pas assez pour en parler.
En revanche, je peux vous dire que s’il y a la « gaita galicia » (la cornemuse galicienne), il y a aussi la « gaita asturiana » (des Asturies), la « gaita-de-foles » (pour le Portugal), etc. – des voisins de la Galice, l’air de rien.
Ce type d’instrument est tellement ancien qu’il est impossible de parler de ses origines avec certitude, mais si aujourd’hui on l’assimile autant à la culture celtique, c’est très probablement parce que ce sont eux qui ont étendu sa pratique sur plusieurs territoires, de l’Irlande profonde au Portugal, en s’attardant sur la Galice, si fière aujourd’hui de ce qu’elle prétend être un patrimoine celtique. Tout ça pour dire que si la cornemuse, pour vous, ça sonne celtique, ce n’est pas qu’un cliché.
La Galice et sa culture « carrefour »
Et il se trouve que c’est la musique galicienne – après la gastronomie – qui a influencé ma vision du pays ; il n’y a, selon moi, pas plus éloquent, pas plus représentatif de cette « culture carrefour », cette personnalité à multiples facettes de la Galice, que les mélodies faussement simples qui s’échappent de gaitas, de harpes, de guitares, de violons, et surtout de ces flûtes au son si caractéristique.
Parfois joyeuses à vous faire taper dans les mains ou sautiller en rythme en oubliant l’estrella galicia que vous tenez à la main, soudain lentes et calmes, presque une complainte… mais toujours entêtantes parce que si répétitives, et avec ce petit je-ne-sais-quoi derrière, cette mélancolie présente dans les danses les plus endiablées.
Découverte d’artistes galiciens
Le musicien/compositeur galicien le plus connu dans cette veine est probablement Carlos Nuñez, que je vous encourage à aller écouter en fermant les yeux et en essayant de déterminer si les plaines brumeuses qui se dessinent devant vous sont irlandaises, bretonnes ou galiciennes.
En écoutant son célèbre An Dro, balade bretonne/galicienne, on aurait bien du mal à parler d’autre chose que de musique celtique ! Et que dire de la balade O Son Do Ar de cet autre groupe galicien populaire, Luar Na Lubre, ou des flûtes de Milladoiro ?
La Galice, un pays celte ?
Car la Galice se rattache (à titre officieux comme nous le verrons plus loin) à la communauté des « pays celtes », dont font notamment partie l’Irlande, l’Écosse et la Bretagne. Si vous allez au festival celtique de Lorient, vous pouvez être sûrs d’y trouver au moins un artiste galicien, chantant en galicien, parfois en anglais, mais aussi en espagnol.
Car c’est la petite particularité de la Galice, qui se révèle dans sa musique. Celte, certes, mais non sans cette petite sonorité espagnole, qui peut être un jeu sur le rythme du tango, mais aussi une influence du Portugal, ou même tout simplement une voix chaude qui chante une complainte en galicien, cette langue à la fois si proche et si éloignée de l’espagnol.
La musique traditionnelle galicienne, c’est un carrefour entre les sonorités espagnoles et le folklore celtique tel qu’il fut adopté et adapté par une multitude de petites régions s’y reconnaissant, qui chante l’amour de son pays et la mélancolie de ses côtes sous le brouillard.
L’identité galicienne VS le tourisme de masse
Bon, ça ne satisfait pas toujours certains touristes qui tiennent à trouver en Galice les images qu’ils avaient de l’Espagne, et c’est pourquoi l’on peut trouver dans la plupart des petites boutiques de souvenirs des robes de sévillanes pour les enfants ou des mugs avec des taureaux dessus.
Je n’ai jamais eu l’impression que les Galicien-ne-s s’en offensaient, mais je trouve ce genre d’assimilation avec les régions espagnoles les plus connues dommage, parce qu’elle empêche de vraiment prendre le temps de découvrir l’identité de chacune, et en l’occurrence l’identité galicienne. Je veux dire, si c’est de l’espagnol que vous voulez, entre deux joueurs de gaita, c’est pas les « croquetas » au poulet qui manquent ! (Comment ça, « c’est réducteur aussi » ?)
« Aqui no Espana » ? Ben, un peu quand même !
Ceux concernés par cette identité galicienne s’en montrent fiers ; ce sont des vieux galiciens dont l’accent est tellement proche du portugais que les pauvres petit-e-s Français-e-s ont du mal à les comprendre, mais aussi des jeunes.
D’ailleurs, la grosse majorité de ces derniers sont bilingues espagnol/galicien, et choisissent en général leur langue principale en fonction de leur famille, sans pour autant rejeter la seconde à laquelle ils peuvent repasser sans problème.
Ainsi, en me voyant arriver, pauvre petite Française, dans un groupe de galiciens où chacun parle ce qu’il veut, il n’est pas rare que ceux qui parlaient galicien passent automatiquement à l’espagnol pour me permettre de suivre la conversation.
Bon, il y aura toujours des extrémistes comme partout pour écrire « AQUI NO ES ESPANA » sur les murs – « ici c’est pas l’Espagne » — mais je me suis sentie moins agressée qu’à Barcelone en parlant catalan à un espagnol ou espagnol à un catalan, par exemple.
Dans les groupes modernes, du pop/rock galicien et folk
Beaucoup de groupes pop/rock chantent en galicien – avec toujours cette influence du folk celte. On y retrouve souvent cette volonté d’ouverture sur le monde, avec des influences musicales venues de bien loin.
Je peux vous citer par exemple Berrogüetto, Os Resentidos, ou Siniestro Total (une mention spéciale à Dame comida qu’un de mes colocs s’était employé à me coller dans la tête pendant des mois) (allez-y, écrivez un mémoire en chantant « donne-moi à manger », vous !).
https://youtu.be/wX_jObwNkpU
Il y en a pour tous les goûts, mais j’y relève en général une note un peu humoristique, un ton un peu léger et surtout une volonté de faire danser les gens.
On se rend compte que la musique occupe une place de choix en Galice avec le nombre de groupes locaux qui se produisent régulièrement à Santiago, ou A Coruña, Pontevedra, Vigo, et jusque dans les plus petits villages… Au même titre que la musique traditionnelle, au fond.
La Galice, un pays celtique ? Officieusement, oui…
Il ressort donc de la musique galicienne une appartenance aux « pays celtes » qui, si elle n’est pas officielle, n’empêche pas des artistes galiciens de se produire aux plus grands festivals et autres rencontres interceltiques.
Pourquoi pas officielle ? Parce que beaucoup arguent, après enquête de votre envoyée spéciale préférée sur le terrain (moi), que pour pouvoir aspirer à une place dans la communauté celtique, il faut que le pays/territoire soit marqué par une langue celtique. Ce qui est le cas de la Bretagne (breton), du Pays de Galles (gallois), de l’Irlande, etc…. Mais pas de la Galice.
On dirait UN PEU la Comté quand même.
Le galicien est une langue tout ce qu’il y a de plus latin, assez proche de l’espagnol mais surtout du portugais.
Aucune trace celtique du côté linguistique. Ni dans la langue pratiquée aujourd’hui ni dans une quelconque langue morte, peut-être à cause de la romanisation ayant balayé l’expansion celtique pendant l’Antiquité.
Mais vous croyez que les Galiciens lâcheraient l’affaire ? Ils font preuve d’un attachement immuable à leurs « racines celtiques », aux vestiges de cette civilisation antique parsemés un peu partout dans le paysage, et s’il n’y a rien dans la langue, c’est dans le passé de la Galice qu’il faut aller chercher les traces du passage celtique avant l’arrivée des Romains.
Un aspect celte ancré au coeur du pays
J’ai envie de dire que la trace celtique la plus évidente, c’est le temps qu’il fait, mais ça ne fait que mettre encore une fois en avant mon acharnement météorologique, et je me suis dit que consulter la météo tous les quarts d’heure en espérant que ça fera partir la pluie, ça a un petit côté malsain.
Et puis malgré toutes les légendes qui traînent, je ne pense pas pouvoir affirmer sans problème que les celtes ont jeté une malédiction (du genre danse de la pluie) à la Galice avant de laisser le coin aux romains.
Mais n’empêche qu’on parle d’un climat tout à fait adapté à l’ambiance « highlands » et autres tertres aux fées irlandais. Vous vous souvenez ? La Galice, c’est : « très, très vert ». Et c’est très, très beau, aussi. Une vraie terre de légendes. Légendes dont la culture galicienne est pleine, de manière assez subtile, comme à travers les chansons, qui en disent parfois plus que vous ne le pensez.
Des castros, villages celtes, enfouis sous la terre galicienne
Une autre trace un peu plus sérieuse nous vient de découvertes archéologiques, qui ont dévoilé par exemple l’existence de nombreux « castros » en terres galiciennes. Les castros, ce ne sont rien d’autre que des vestiges d’un type particulier de village celte, des fortifications dont les pierres assemblées en cercles les uns à côté des autres définissent le paysage depuis les vertes collines de Galice.
Ces ruines insolites confirment l’hypothèse de certains selon laquelle se serait installé en Galice (« Gallaeci ») le même peuple celtique ayant habité la Bretagne – mais qu’en Galice, il n’aurait pas résisté aussi bien à l’expansion de l’Empire romain.
Et que dire de la tour d’Hercules, siégeant fièrement au-dessus de Coruña, un des plus anciens phares du monde, érigé par les romains quelque part vers la fin du Ier siècle (oui, bon, ça je l’ai googlé), et au pied de laquelle s’étend l’impressionnante « Rose des vents », censée représenter les différents peuples celtes ?
Assez troublante également est la présence considérable de signes de pratiques païennes, devenues pratiques catholiques avec le temps, comme les « milladoiros », des monticules de pierre érigés avec le temps et le passage des pèlerins.
Notez que si vous dites n’importe où dans le reste du monde que vous êtes Français-e, il y a de fortes chances pour que la première chose que l’on vous réponde soit « Ah, Paris… ». En Galice, c’était de la Bretagne qu’on me parlait — ce petit bout excentré d’Espagne, avec ses crêpes appelées « filloas », n’est peut-être pas surnommé « la Bretagne espagnole » pour rien…
Crêpes ou filloas ? En tout cas ça a l’air bon.
Parce que si les traces historiques de civilisations celtes de ce côté-là de l’Espagne, si vite romanisé, sont encore contestées, il n’en reste pas moins que les Galiciens sont profondément attachés à ce qu’ils voient comme une facette essentielle de leur identité et de leur histoire.
D’ailleurs, vous l’ai-je déjà dit ? En Galice, on fête très sérieusement la St Patrick. Enfin, très sérieusement… Ce n’est pas comme si on déconnait avec la bibine le reste du temps.
La St Jean est également une nuit très importante ! Fêtes païennes, christianisées ou pas trop, fêtes catholiques, espagnoles ou un brin celtiques… Non, on ne laisse rien de côté.
Alors, la Galice celtique, ça vous tente ?
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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Ah, c'est un peu loin, mais quand je pourrai m'y rendre, j'irai aussi! Cette culture ne cesse de m'attirer. Ces religions, légendes, musiques...